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La démarche compréhensive guidant la présente recherche, celle-ci s’inscrit, du point de vue théorique, dans les théories de l’action. Il s’agit de considérer l’individu comme un acteur social lequel interagit dans un certain contexte socio-historique. On reconnait à cet individu une certaine marge de manœuvre, une capacité d’action et de réflexion. Comme le remarquent Jean-Michel Baudouin et Janette Friedrich (2001), les théories de l’action ne constituent pas un

« paradigme unifié », mais résultent de plusieurs travaux d’équipes de recherche sur des terrains diversifiés.

En portant mon intérêt sur l’individu et son expérience, je rejoins les propos de Lhotellier (2007) lorsqu’il dit ne pas vouloir contribuer davantage à la montée de l’individualisme, mais du vivre ensemble. Il s’agit de considérer l’être humain dans sa totalité afin d’éviter le risque de catégorisation. Cela peut être le cas, à titre d’exemple, avec le chômage, où l’on prend en compte uniquement la personne à travers la dimension de l’emploi. Le défi consiste à considérer l’individu comme « acteur » dans un contexte donné, empreint de contraintes en tous genres.

Comme évoqué, les pratiques d’accompagnement, et plus particulièrement l’activité de conseil, visent l’action de la personne. La médiation par le conseil est censée permettre à la personne de

« restaurer son pouvoir d’agir en situation » (Lhotellier, 2001, p. 62). Il semble pertinent de clarifier ce que l’on entend par « agir ». Lhotellier (2001) considère l’action comme un ensemble de conduites où chaque action est structurée en fonction de plusieurs niveaux de sens :

- L’expérience vécue immédiate (moment de subjectivation à explorer, à développer) ; - Le comportement comme transformation de l’expérience en objectivation observable,

communicable ;

- La praxis, comme un moment de reprise du sens de l’agir au travers des rapports sociaux et de leur transformation historique.

Ces trois moments sont en interaction permanente et une action est définie comme sensée par le travail effectué à ces trois niveaux. L’acte de tenir conseil vise donc cet agir sensé, celui-ci – seul – pouvant « […] valider en définitive la démarche autonomisante d’un individu responsable » (Lhotellier, 2001, p. 85).

Lhotellier définit une action comme sensée, lorsqu’elle est « significative aux différents niveaux d’implication socio-temporelle », dans la mesure où l’acteur va considérer

« l’ensemble des données factuelles pertinentes à une situation », mettre en œuvre « un système de valeurs cohérent par rapport à la situation » et produire une action dans un espace-temps optimal (2001, p. 63). Lhotellier associe la question du sens, des connaissances et des valeurs :

J’entends par sens l’agir sensé de la personne. Le sens est l’articulation vivante, vivifiante de nos connaissances (distanciation mais appropriation du savoir) et de nos valeurs symboles dans le déroulement d’une histoire en devenir. La connaissance est une construction personnelle et pas une imposition. Le processus par lequel nous associons des connaissances (provisoires) à des valeurs vécues constitue le travail de notre sens. (2001, p. 196)

Tout comme Yann Serreau (2013), mon orientation pour ce travail est de considérer que nous sommes, pour une part, acteurs et actrices de notre vie. Cette caractéristique d’être acteur peut également être nommée « agentivité », cela en référence aux travaux en psychologie d’Albert Bandura (1986, 2002). Cette agentivité se caractérise par l’intentionnalité (faire des choix), la pensée anticipatrice (prévoir des projets d’actions), l’auto-réactivité et l’autoréflexion (c’est-à-dire mettre en place des actions pour réguler ses projets), (Bandura, 2009, pp. 22-30, cité par Serreau, 2013, p. 118). L’agentivité se définit par « cette capacité humaine à influer intentionnellement sur le cours de sa vie et de ses actions » (Carré, 2004, p. 30). C’est l’intention qui va permettre d’élaborer des plans d’action ou des projets. L’individu joue un rôle dans son développement personnel.

Baudouin (2010), à travers la notion d’agentivité, pose la problématique du pouvoir biographique du sujet sur son parcours de vie. Il définit l’agentivité de manière élémentaire et primordiale comme la capacité d’agir de la personne, « quels que soient les champs d’action concernés et quelles que soient les questions que l’on peut se poser sur l’autonomie ou l’indépendance de cet agir par rapport aux contextes culturels dans lesquels il se déploie » (p. 5).

Baudouin souligne le fait que les recherches en sciences humaines et sociales font état d’une riche terminologie pour rendre compte de l’agir humain, notamment les termes anglo-saxons d’agency (traduit en français par agentivité) et celui d’empowerment. Danvers (2009) désigne l’empowerment comme « l’élévation de la capacité d’avoir du pouvoir » (p. 205). C’est un processus social par lequel l’individu accroit son pouvoir, son contrôle sur sa situation et

« contribue à des changements sociaux qui permettront d’améliorer ses conditions de vie et celles de ses pairs » (European Commission, DG XIII, mars 1999, cité par Danvers, 2009, p. 205). Comme le souligne alors Baudouin (2010), le concept d’empowerment présente la particularité d’articuler individuel et collectif, cela « dans une logique de transformation commune » (p. 3). L’empowerment intègre donc le thème du pouvoir d’action et pourrait être traduit comme « appropriation du pouvoir d’agir ». La notion d’empowerment allie à la fois capacité d’action et prise de conscience (Baudouin, 2010).

Quand est-il alors du « pouvoir d’agir » ? À ce stade de la recherche, j’ai pris comme référence le mémoire d’une ancienne étudiante en Formation des adultes, Saskia Weber Guisan (2016)4, portant sur la thématique du pouvoir d'agir et ses constituants, cela dans le champ de l'activité bénévole. Je reprends ci-après quelques-unes de ses références aux travaux de Yann Le Bossé (2003, 2008) sur les notions d’empowerment et de pouvoir d’agir.

4 Publié en juin 2018 dans les Cahiers de la section des Sciences de l’éducation https://www.unige.ch/fapse/publications-ssed/publications/cahiers/catalogue/140/

À propos de l’empowerment en particulier, Le Bossé (2003) souligne le fait qu’il ne s’agit pas seulement de mieux gérer une situation, mais de contribuer à la définition de celle-ci. Ainsi, une démarche d’empowerment est toujours reliée à une question de changement et « consiste à exercer plus de contrôle et à devenir l’acteur de sa propre destinée » (Weber Guisan, 2016, p. 18). En effet, les individus « tentent de devenir les auteurs et les acteurs des événements qui les touchent plutôt que d’en subir les conséquences » (Le Bossé, 2003, p. 42, cité par Weber Guisan, p. 18). Pour Le Bossé, il semble justifié de traduire la notion d’empowerment par l’expression de pouvoir d’agir « dans la mesure où le terme pouvoir vise dans ce cas cette nécessité de réunir les ressources individuelles et collectives à l’accomplissement de l’action envisagée » (Le Bossé, 2003, p. 45). Le pouvoir d’agir devient synonyme de « pouvoir de surmonter ou de supprimer les obstacles à l’expression de ‘l’être au monde’ » (Le Bossé, 2003, p. 45). Il s’agit donc d’« être en mesure d’agir », c’est-à-dire d’avoir les moyens de se mettre en action (Le Bossé, 2003, p. 45). Ces propos rejoignent ceux précédemment abordés à travers les travaux de Lhotellier et la démarche du tenir conseil qui, plaçant l’acte sensé comme référence fondamentale, pose la question du pouvoir de l’acteur.