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o Une définition minimale : être avec et aller vers

Dans leur article, Éric Gagnon, Pierre Moulin et Béatrice Eysermann (2011) écrivent que c’est au cours de ces dernières années que le mot « accompagnement » s’est largement diffusé et a gagné en popularité pour qualifier des pratiques d’intervention auprès de publics divers et dans des secteurs eux aussi divers. Cet attrait pour l’accompagnement s’explique, de prime abord, car le terme permet de se détacher d’une conception de l’assistance comme une aide inconditionnelle à la personne. L’accompagnement n’est pas une prise en charge ; il ne s’agit pas de « faire à la place » de l’autre, mais de lui permettre d’exercer un contrôle plus grand sur sa vie. Par conséquent, l’accompagnement « témoignerait de la promotion de l’autonomie […]

et d’une transformation de l’assistance » (Gagnon, Moulin & Eysermann, 2011, pp. 91-92). Un tel constat rejoint les considérations précédemment développées quant à la montée de l’individualisme, d’une norme d’autonomie et de responsabilisation de soi (Ehrenberg, 1995).

Maela Paul (2002, 2003, 2009a, 2009b) a fait de l’accompagnement son champ de recherche principal et ce depuis une dizaine d’années maintenant. Ces travaux illustrent comment l’accompagnement est devenu incontournable dans notre paysage social depuis près de vingt ans. Si le secteur du travail social a été historiquement le premier à recourir aux pratiques d’accompagnement, celles-ci ne peuvent être conçues que dans la diversité.

Paul (2009a) mentionne d’ailleurs les quatre champs de pratiques professionnelles suivants comme étant les plus concernés : le travail social, l’éducation et la formation, le secteur de la santé et la gestion des emplois et des compétences (insertion, orientation, Ressources Humaines). Cette diversité des pratiques professionnelles pose-t-elle des difficultés à une définition du terme « accompagnement » ? Pour Paul (2009a), l’accompagnement est fondamentalement « une pratique contextuelle » (p. 52). Celui-ci ne peut être réduit à un mode uniforme et « désigne tant une fonction qu’une posture, renvoyant à une relation et à une démarche qui, pour être spécifiques, n’en sont pas moins vouées à devoir s’adapter à chaque contexte et chaque matrice relationnelle […] » (Paul, 2009a, p. 13).

Pour la présente recherche, le champ professionnel de l’accompagnement qui m’intéresse en particulier est celui du secteur du travail (gestion des emplois et des compétences), où l’on va notamment retrouver des enjeux liés à l’orientation et aux transitions professionnelles.

Paul (2003) fait remarquer que le mot « accompagnement » est absent de la plupart des dictionnaires spécialisés, dont ceux d’éducation. Constat également partagé par Boutinet (2007b) mentionnant que le terme n’apparait qu’en 2002 avec la sortie du Dictionnaire des sciences de la formation. Un peu avant, en 1996, le terme figurait dans le Dictionnaire de la Formation et du Développement personnel (1996, éd. ESF) et désignait « [u]ne fonction qui, dans une équipe pédagogique, consiste à suivre un stagiaire et à cheminer avec lui durant une période plus ou moins brève afin d’échanger à propos de son action, d’y réfléchir ensemble et de l’évaluer » (Paul, 2003, p. 123).

Du mot latin accumpagnis, le verbe « accompagner » évoque à la fois une relation particulière ainsi que son mouvement, son déplacement :

Il y a bien effectivement une structure identique et constitutive de toutes les formes d’accompagnement inscrite dans la sémantique même du verbe accompagner, accumpagnis, ac- (vers), -cum- (avec), -pagnis (pain), dotant l’accompagnement d’une double dimension de relation et de cheminement. Ainsi la définition minimale de toute forme d’accompagnement est : être avec et aller vers, sur la base d’une valeur symbolique, celle du partage. (Paul, 2009b, p. 95)

Figure 1 - Ce qu’accompagner veut dire, Paul, 2003.

À propos du terme compain, « compagnon », Paul (2003) explique qu’étymologiquement, il avait d’abord le sens de « celui qui vit et partage ses activités avec quelqu’un », puis désignait celui qui est « logé à la même enseigne », c’est-à-dire vivant dans les mêmes conditions et partageant les mêmes contraintes. Compagnons, accompagnant.e et accompagné.e peuvent-ils alors se confondre ? Dans le premier cas, la relation vise à reconstituer un « ensemble », alors que dans le second, la relation entre les deux pôles est différenciée et productrice d’un dynamisme. Ainsi, l’accompagnement est effectif uniquement si la visée est transformatrice, qu’un déplacement se produit. En se référant à Guy Le Bouëdec (2001), Paul (2003) rappelle que « l’accompagnement n’est pas seulement partage et communion : il est aussi passage et dépassement » (p. 128).

D’un point de vue strictement sémantique, « accompagner » veut dire : « Se joindre à quelqu’un pour aller où il va en même temps que lui. » (Paul, 2002, p. 54). Cette définition minimale révèle une démarche d’accompagnement faisant intervenir trois logiques : relationnelle, temporelle et spatiale.

Paul (2003) explicite cette tridimensionnalité comme suit :

- la dimension relationnelle « (se) joindre à quelqu’un » renvoie à une idée de « jonction », au fait de se mettre ensemble, de s’unir ;

- la dimension spatiale est pensée sur le mode d’un déplacement « pour aller où il va », elle renvoie à l’idée d’un lieu vers un autre, de changement de place ou de position ; - la dimension temporelle « en même temps que lui » renvoie à une idée de synchronicité

et de simultanéité temporelle.

Comme le remarque Paul (2009b), il n’y pas de règles définies pour accompagner car l’accompagnement est « par essence une ‘com-position’ : chaque binôme constitue une matrice relationnelle différente » (p. 96). La dimension relationnelle est première et constitue une opportunité de cheminement, de pouvoir « passer à autre chose » (Paul, 2002, p. 54).

L’accompagnement s’inscrit dans une certaine durée et passe vraisemblablement par différents stades devant permettre ce cheminement. Tout accompagnement est dès lors temporaire, il a un début, un développement et une fin (Paul, 2009b).

À travers sa dimension spatiale, l’accompagnement induit la question de direction, aller vers.

Se pose alors la question de savoir où ? Cette direction n’est pas à prendre au sens hiérarchique mais comme synonyme d’orientation. Fondamentalement, il s’agit « d’aider autrui à faire les choix qui orientent sa vie » (Paul, 2009b, p. 97). Ces choix peuvent intervenir à la suite d’une transition liée à un événement particulier qu’il s’agit de dépasser. Pour cela, la fonction de la personne qui accompagne est « de soutenir au sens de valoriser celui qui est accompagné » (Paul, 2009b, p. 96). Par cette fonction, le ou la professionnel.le possède toujours un rôle second, mais nécessaire pour donner lieu à un dépassement. Paul (2009b) parle d’un effet d’ensemble comme caractérisant l’accompagnement car chacun et chacune, c’est-à-dire celui ou celle qui accompagne et la personne accompagnée, est amené.e à s’impliquer et cela à tous les stades du cheminement.

À travers cette idée de cheminement, l’accompagnement porte bien son intérêt sur la mise en mouvement de l’individu et moins sur un but à atteindre. En effet, « [s]e donner une direction constitue une ressource mais ne détermine pas le but » (Paul, 2009b, p. 97). Paul parle alors de non-prédictibilité car la mise en mouvement produit de la mise en mouvement, le changement est possible en permanence.

Concernant plus spécifiquement la posture générale de l’accompagnement, pour Le Bouëdec (2001), celle-ci va concerner

les situations où il y a un acteur principal que d’une manière ou d’une autre, il s’agit de soutenir, de protéger, d’honorer, de servir, d’aider à atteindre son but ; en aucun cas il ne peut être question de le supplanter en prenant sa place ou le devant de la scène, ou la direction des événements, ou tant simplement en prenant l’initiative.

Posture modeste donc ; à côté de ; de mise en valeur d’un autre ou d’autre chose ; de service ; de retrait, d’ombre, de second plan ; posture essentielle pourtant […]

(cité par Vitali & Barbier, 2010, p. 1)

Je reprends ci-dessous les cinq caractéristiques évoquées par Boutinet (2004, p. 3, cité par Havet, 2006, p. 170) permettant de synthétiser les idées principales auxquelles renvoient la démarche d’accompagnement :

- une situation psycho-sociale qualifiée de duale et symétrique parce que constituée d’une personne accompagnée et d’une personne accompagnatrice ;

- la notion de cheminement, d’itinéraire, de marche que l’on accomplit ensemble sans que les finalités soient bien explicitées et où le processus est privilégié au détriment du but ; - l’idée de processus reposant sur la manifestation d’un ancrage dans le moment présent,

celui d’une certaine durée à aménager qui a un début et qui sous-entend une fin ; - la logique du mouvement, de la mobilité ;

- elle concerne une classe d’âge déterminée, celle de la vie adulte.

o Une pluralité de pratiques

Pour préciser la notion d’accompagnement, Paul (2003) a entrepris un travail à partir de dictionnaires de la langue courante et montre que trois synonymes sont fréquemment associés au verbe accompagner : escorter, guider et conduire. De plus, en ayant mobilisé tout le champ sémantique du verbe accompagner, en passant de synonyme en synonyme, l’auteure constate qu’il y a bien trois registres de praxis, lesquels renvoient à des rôles spécifiques et transversaux :

- avec escorter : tout le registre de l’aide, de l’assistance, du secours et de la protection, - avec guider : tout le registre du conseil, de la guidance et de l’orientation,

- avec conduire : tout le registre de l’éducation, de la formation et de l’initiation.

Figure 2 - Ce qu’accompagner veut dire, Paul, 2003.

Le travail effectué par Paul (2003) n’a pas pour but d’uniformiser la conception du terme accompagner, mais bien d’en ouvrir la lecture et d’afficher la pluralité des postures auxquelles l’accompagnement renvoie.

Aussi, dans ses travaux, Paul a inventorié les différentes pratiques se déclarant relever de l’accompagnement : counselling, coaching, sponsoring, mentoring, coexistent avec tutorat, conseil ou consultance, parrainage ou encore compagnonnage (2009b).

Figure 3 – L’accompagnement : une nébuleuse, Paul, 2002.

L’accompagnement se trouve ainsi associé à « une nébuleuse », de par l’ensemble de termes et d’expressions spécifiques lui étant rattachés. En référence à l’article de Paul (2002), je reprends ci-dessous quelques éléments de synthèse quant aux différentes pratiques existantes.

- Le coaching et l’idée d’entraînement. C’est une pratique qui se développe de plus en plus et que l’on retrouve dans le monde de l’entreprise afin de développer les compétences et le potentiel des employé.e.s. L’accompagnement résulte d’un besoin professionnel pour lequel il s’agit souvent d’être plus performant ou efficace.

- Le counselling (conseil) est « un type d’accompagnement caractérisé par la centration sur des personnes ‘normales’, la prise en compte de leur développement à l’occasion d’une situation-problème, la mobilisation de leurs ressources, l’intégration de l’interaction personne-environnement » (Paul, 2002, p. 45).

- Le tutorat est une fonction de l’entreprise et s’inscrit à la fois dans une visée éducative et productive. Il est défini comme « relation d’aide entre deux personnes pour l’acquisition des savoir-faire et l’intégration dans le travail » et comme « élément d’un dispositif visant à rendre le travail formateur et l’organisation intégratrice » (Paul, 2002, p. 47).

- Le mentoring introduit les concepts de guidance, de conseil et d’éducation. Le ou la mentor est une personne expérimentée et/ou qualifiée accompagnant le développement d’individus souhaitant progresser dans un domaine particulier et dont le contact avec les pairs n’est pas suffisant.

- Le compagnonnage, en regroupant des personnes du même métier, a pour vocation la transmission des gestes du métier ainsi que l’entraide sociale. Il s’agit de former les apprenti.e.s en les confrontant aux problèmes concrets de la vie professionnelle et communautaire. Le compagnonnage a pour principe que « ‘la discipline du métier est propre à forger une sagesse humaine’ : le métier ‘fait’ l’homme. Il n’y a donc pas à séparer les qualités techniques et les qualités humaines » (Paul, 2002, p. 50).

- Le sponsoring et l’idée de parrainage. Le sponsor est un « partenaire » d’entreprise artistiques, sportives ou médiatiques ayant une double fonction de soutien, d’une part sur le plan financier (et moral) et, d’autre part, comme « facilitateur de relation » (Paul, 2002, p. 50).

Bien que toutes ces pratiques soient spécifiques, notamment à l’égard de leurs contextes, elles sont considérées comme des formes d’accompagnement, « d’où leur ‘air de famille’ », écrit Paul (2009b, p. 92). Elles sont en effet toutes fondées sur « une base relationnelle forte (puisque conçue comme sa plus simple expression : deux) dans laquelle la fonction de l’un est de faciliter l’apprentissage ou un passage de l’autre. Il s’agit bien d’être avec et d’aller vers » (Paul, 2009b, p. 95).

Je constate par ailleurs que plusieurs termes anglo-saxons sont utilisés et me demande si un tel usage vient clarifier le sens de ces pratiques ? Pour Paul (2003) ces anglicismes « sont utilisés avec des contenus renouvelés et contribuent notamment à la différenciation entre pratiques spontanées, bénévoles, et pratiques professionnelles » (p. 134). Le terme « accompagnement » reste finalement le moins précis, le moins défini et c’est pourtant celui autour duquel s’opère un consensus et que l’on retrouve dans des secteurs d’activités très diversifiés. Il s’agit alors de considérer l’accompagnement comme « le fond d’où émergent et se réactualisent périodiquement les différentes formes » (Paul, 2009b, p. 92) ; c’est un terme générique.

Si toutes ces formes d’accompagnement peuvent être considérées comme telles, c’est parce qu’elles peuvent se définir comme

pratiques intégratives dans laquelle un professionnel essaie d’être au plus près de la personne dans l’exploration d’une situation difficile ou d’une épreuve à franchir, dans les moments de positionnement et d’orientation, de choix et de prise de décision, dans l’évolution d’une situation problématique. Elles participent ainsi d’une dynamique de changement à partir d’une nécessité externe (décision, orientation, reconversion…) qui mobilise les instances du sujet (besoins, désirs, craintes…). (Paul, 2009b, p. 101)

Ainsi, le recours à telle ou telle forme d’accompagnement, qu’il soit souhaité ou non, devrait potentiellement contribuer à avoir un impact significatif dans la vie de l’individu accompagné, tant sur son environnement relationnel que social (Paul, 2009b). Paul met toutefois en évidence le fait suivant : il est possible de conseiller, d’orienter, de former ou encore d’aider, sans pour autant accompagner… Il y a donc un risque de nommer « accompagnement », ce qui ne serait qu’une application de procédures.

Face à ces considérations et cette « nébuleuse » de l’accompagnement, je souhaite approfondir plus précisément la pratique du counselling, traduite en français par « conseil », car celle-ci touche tout particulièrement à la thématique de l’orientation professionnelle. De plus, c’est bien cette forme d’accompagnement que l’on va retrouver majoritairement dans le champ du travail, de la gestion des emplois et des compétences.