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1. Introduction théorique

1.1. Théories sur le développement de la reconnaissance des émotions

Il existe actuellement deux approches dominantes concernant le développement de la reconnaissance des émotions chez les enfants : la théorie des émotions discrètes (Ekman, 1992b; Izard, 1971, 1994) et l’approche dimensionnelle (Russell, 1980, 1997).

1.1.1. Théorie des émotions discrètes

Rappelons que cette théorie postule l’existence de six émotions nommées « basiques » ou « discrètes » par Ekman (1982). Il s’agit de la joie, de la tristesse, de la colère, de la peur, de la surprise et du dégoût. Selon cette théorie, elles correspondent à un nombre limité de catégories d’émotions innées et universelles à partir desquelles toutes les autres émotions

peuvent être dérivées (Ekman, 1982; Izard, 1997). En outre, concernant le nombre d’émotions de base, il n’existe pas de consensus dans la littérature scientifique (Ekman, 1992a; Izard, 1977; Plutchik, 1980). En ce qui concerne le développement de la reconnaissance des émotions, la théorie des émotions discrètes postule que ce développement repose chez l’enfant, comme chez l’adulte, sur la capacité à catégoriser les émotions de base par l’expression faciale. Ainsi, les enfants reconnaîtraient et réagiraient déjà à différentes émotions discrètes et spécifiques véhiculées par les expressions faciales (Ekman, 1992b; Izard, 1971, 1994). A titre d’exemple, le sourire signifierait la joie ou un visage renfrogné serait interprété comme de la colère (Widen, 2013).

1.1.2. Approche dimensionnelle

Russell (1997) rejette l’idée que les expressions faciales correspondent à des émotions spécifiques et il renoue avec l’approche dimensionnelle des expressions faciales, proposée pour la première fois par Wundt (1874). Selon cet auteur, toutes les émotions peuvent être décrites à partir de plusieurs dimensions. Concernant le développement de la reconnaissance des émotions, selon l’approche dimensionnelle de Russell (1980), les enfants ne classeraient pas les expressions faciales directement dans des catégories d’émotions spécifiques, ils commenceraient au contraire par un traitement dimensionnel. En effet, ils catégoriseraient les expressions faciales selon une dimension de plaisir/déplaisir (si l’émetteur montre une émotion agréable ou désagréable), puis prendraient en compte le niveau d’activation (si l’émetteur est agité ou détendu). Les enfants parviendraient alors seulement plus tard à une catégorisation en émotion plus spécifique comme les adultes. Cette catégorisation selon ces deux dimensions relève du modèle circulaire de Russell (Figure 1). Selon ce modèle, l’espace affectif peut être représenté par un cercle dans un espace bidimensionnel, composé d’une dimension de valence, qui va du déplaisir au plaisir, et du niveau d’activation (arousal), qui va d’un niveau bas à élevé, soit de l’endormissement à l’éveil (Sander & Scherer, 2009).

Figure 1. Modèle circulaire de Russell (1980)

Ainsi, ces deux approches dominantes ont un avis divergent concernant l’information véhiculée par les expressions faciales. Pour la théorie des émotions discrètes, il s’agit des émotions spécifiques, alors que pour l’approche dimensionnelle, il s’agit des dimensions affectives. Toutefois, ces approches s’accordent sur le fait que l’information affective est directement lue par la personne à travers un processus relativement indépendant du contexte (Aviezer et al., 2008). Précisons à ce sujet que, selon Russell, suite à l’évaluation automatique du taux de plaisir et du niveau d’activation, la catégorisation émotionnelle qui est subséquente est influencée par les informations contextuelles (Sander & Scherer, 2009).

1.1.3. Modèle hiérarchique des émotions

Récemment, Widen et Russell (2008a) ont élaboré un nouveau modèle qui complète la compréhension du développement de la reconnaissance des émotions chez les enfants : le modèle hiérarchique des émotions (Figure 2). Selon ce modèle, il existe trois niveaux d’émotions : un rang supérieur comprenant les catégories larges, soit « plaisir », « neutre » et

« déplaisir », un rang de base avec les six émotions basiques ; un rang inférieur comprenant d’autres émotions, subdivisées à partir des précédentes.

Figure 2. Modèle hiérarchique des émotions de Widen et Russell (2008a)

Ce modèle est interprété différemment selon les deux approches dominantes précitées.

Selon la théorie des émotions discrètes, les enfants commenceraient au milieu par la compréhension des six émotions de base. Puis, plus tard, ils comprendraient que ces émotions peuvent être regroupées ensemble selon leur valence et leur niveau d’activation et également qu’elles peuvent être subdivisées pour donner naissance à de nouvelles émotions. Selon l’approche dimensionnelle, la compréhension des émotions chez les enfants commencerait au niveau supérieur, ce qui est conforme avec le modèle circulaire de Russell, et s’affinerait par la suite. Conformément à cette approche, il apparaît que les enfants de 2 ans comprendraient les émotions en termes des dimensions de plaisir et du niveau d’activation, et parviendraient

ensuite à différencier parmi les catégories larges et à acquérir les concepts des émotions.

Toutefois, les catégories mentales des émotions ne seraient pas achevées, pour cela la construction d’un script est nécessaire (Widen & Russell, 2008a).

1.1.4. Concept du script

Selon Widen et Russell (2010a), chaque émotion comporte un script, lequel inclut l’événement déclencheur, le sentiment conscient, l’expression faciale, la vocalisation, l’action et la manifestation physiologique qui sont propres à l’émotion, le tout dans un ordre temporel et causal particulier. Toutes ces informations disponibles dans le contexte seraient utilisées par les enfants pour attribuer une émotion à une expression faciale (Widen, 2013).

L’évolution développementale de la formation des scripts est également soumise au débat entre les deux théories dominantes. D’une part, selon la théorie des émotions discrètes, la compréhension du lien entre l’émotion et l’expression faciale correspondante permettrait de construire le script en y ajoutant les informations nécessaires, telles que les causes ou les conséquences de l’émotion. D’autre part, en accord avec l’approche dimensionnelle, le script serait construit à travers la différenciation des émotions. En effet, l’enfant pourrait notamment remarquer les différentes manifestations physiologiques ou expressions faciales découlant d’un état de colère ou de peur et parviendrait alors à différencier ces émotions négatives en deux catégories distinctes et à utiliser un label différent pour les décrire (Widen & Russell, 2010a). Un label constitue le terme qui correspond à l’émotion, « triste » par exemple.

1.2. Développement des performances de reconnaissance des émotions de base avec l’âge

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