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1.5 Les hamiltoniens non diagonalisables et leur structure de Jordan

1.5.3 Les théories des champs logarithmiques

Les représentations de l’algèbre de Virasoro intervenant dans les théories ra- tionnelles (section 1.3.3) sont des représentations irréductibles et unitaires où l’opé- rateur L0est diagonalisable. Pour la description complète de certaines observables

physiques, ces contraintes sont trop strictes et d’autres représentations peuvent être nécessaires [36, 37, 38]. Ainsi des théories conformes autres que les rationnelles doivent être introduites. Les matrices de transfert pour le modèle de boucles sur le ruban (sections 1.4.2 et 2.2.1) et sur le tore (section 4.2.2) ne sont pas symétriques, ce qui représente une différence importante avec les matrices de transfert de spin. Cela ne change pas l’identification faite à la section 1.3.3 entre l’action de la matrice de transfert et le générateur des dilatations L0. Quelles représentations de l’algèbre

de Virasoro interviennent alors dans la description du spectre de ces matrices de transfert de boucles ? La réponse à cette question n’est pas simple. L’une des hypo- thèses faites dans la construction des représentations de la section 1.3.3, l’existence d’un état de plus haut poids |vi anéanti par tous les Li, i < 0, et engendrant tous

les autres états, assurait la diagonalisabilité de L0. Cette hypothèse ne peut être faite

pour des représentations où L0n’est pas diagonalisable.

Pour bâtir des représentations où L0a des blocs de Jordan de rang 2 par exemple,

il existe deux options [39] :

• les représentations de plus haut poids de Jordan : deux états |v0i et |v1i satis-

font

L0|v0i = h|v0i, L0|v1i = h|v1i + |v0i, Li|v0i = Li|v1i = 0 pour i < 0.

Les descendants de |v0i et de |v1i engendrent cette représentation.

• les staggered modules : les états |v0i et |v1i satisfont les mêmes relations que ci-

haut, sauf que Li|v1i 6= 0 au moins pour i = −1. De plus il existe un état |w0i

de plus haut poids de sorte que |v0i et L−1|v1i figurent parmi les descendants

de |w0i (mais pas |v1i). Le staggered module est alors engendré par tous les

descendants de |w0i et |v1i. On peut trouver une classification partielle des

staggered modulesdans l’article de Ridout et Kytölä [40], et un diagramme d’un

tel module est donné à la figure 1.14

Dans ces représentations de Vir, L0 a des cellules de Jordan d’ordre 2, mais les

constructions peuvent être généralisées aux cas où le rang des blocs de Jordan est plus élevé. Comme dans la section 1.3.3, la réussite de ces constructions est sujette

L0

|v1i

L−1|v1i

|v0i

|w0i

FIGURE 1.14 – Une illustration d’un staggered module.

à des contraintes pour les valeurs de la charge centrale, qui doit s’écrire comme c(p, p′) = 1 − 6(p − p′)

2

pp′ , p, p′ ∈ Z avec p > p′

et du plus haut poids, qui doit être dans l’ensemble hr,s=

(p′r − ps)2− (p − p)2

4pp′ , pour r, s = 1, 2, ...

Ces valeurs figurent dans la table de Kac étendue, qui s’étend à l’infini et dont une portion est donnée à la figure 1.13 pour c = 1

2 et c = 4

5. Les restrictions sur

r et s semblent avoir disparu, mais en fait elles dépendent à la fois du type de représentation (staggered ou non) et du rang des blocs de Jordan. Par exemple, pour les représentations de plus haut poids de Jordan, la construction échoue toujours si le plus haut poids n’est pas dans l’ensemble {hr,p: 1≤ r < |p′|}∪ {hp′,s : 1≤ s < |p|}

(voir [41]), que l’on retrouve en gris pâle dans à la figure 1.13.

Quel est l’impact du type de théorie des champs, rationnelle ou logarithmique, pour la description d’un modèle statistique particulier ? Dans la limite thermodyna- mique, le comportement des fonctions de corrélation des modèles statistiques sur réseau est étudié à travers le comportement de la fonction de corrélation du champ φ(z)dans la théorie des champs sous-jacente. Pour les théories des champs ration- nelles, ce comportement est celui d’une loi de puissance en la position relative des champs. Par exemple, la fonction de corrélation à deux points est

hφ(z)φ(w)i = (z − w)A µ,

où z et w sont dans le plan complexe et µ est l’exposant critique. Pour les théories rationnelles, ce comportement en loi de puissance décrit toujours les fonctions de

corrélation à plusieurs points lorsque les positions z et w des deux champs sont suffisamment proches. Or le qualificatif logarithmique des théories des champs lo- garithmiques provient d’une correction logarithmique à cette loi de puissance. Par exemple, lorsque L0a des blocs de Jordan d’ordre 2, les fonctions de corrélations de

certains champs prennent la forme

hφ(z)φ(w)i = A − B(z − w)log(z − w)ν (1.5.3)

et lorsque les blocs de Jordan ont un rang supérieur à 2, les fonctions de corrélation à deux et trois champs prennent des formes d’une complexité accrue [42]. Dans les modèles d’Ising et de Potts, il a été montré que certaines observables avaient des dépendances logarithmiques [43]. Pour le modèle de percolation, Vasseur, Jacobsen et Saleur [44] ont récemment trouvé une observable physique qui, dans la limite d’échelle, a le comportement logarithmique de (1.5.3). Pour les autres valeurs de Q et λ, les observables qui auront la correction logarithmique sont pour l’instant inconnus.

Cela dit, la discussion qui précède ne permet pas de répondre à la question posée ci-haut, à savoir l’identification des représentations qui interviennent dans la des- cription des modèles de boucles sur réseau. Pearce, Rasmussen et Zuber [45] ont introduit leurs matrices de transfert de boucles avec de nombreux choix de condi- tions aux frontières, et parmi celles-ci, celle présentée à la section 1.4.2 est la plus simple. Alors que les matrices de transfert de boucles sont introduites sur des ré- seaux finis, la nature des représentations de Virasoro qui entrent en jeu et donnent le spectre de ρ(DN(λ, u))est une information qui se trouve dans la limite N → ∞.

Néanmoins, en étudiant le spectre des matrices de transfert pour de petites valeurs de N, ces auteurs réussissent à identifier numériquement les plus hauts poids de chacune des représentations de L0 reliées à chacune de leurs conditions aux fron-

tières pour DN(λ, u), et ces poids entrent dans la table de Kac étendue. Leur explo-

ration numérique leur permet aussi de trouver des cas où la matrice de transfert n’est pas diagonalisable.

La structure de Jordan de ces matrices demeurait alors une question ouverte. Quand les matrices de transfert, non hermitiennes, sont-elles non diagonalisables ? Quel est le rang des blocs de Jordan et dans quelles représentations apparaissent- ils ? La structure de Jordan persiste-t-elle pour de larges valeurs de N ? Ce sont là des questions importantes, puisque la nature des représentations de Virasoro et le comportement des observables physiques en dépendront.

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