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La théorie des systèmes complexes et la mécanique statistique comme outil

communautés d’espèces

Dans son livre Fragile Dominion, Levin (1999) compare l’organisation des communautés d’espèces à un jeu de Scrabble. Le plateau du jeu représente le paysage, chaque lettre est une espèce et les mots formés en respectant l’orthographe de la langue du jeu symbolisent l’assemblage de communautés d’espèces déterminé par des interactions interspécifiques précises. L’assemblage final est hautement dépendent de l’historique du jeu, car la formation d’un mot à la fois soutient et contraint la formation ultérieure de mots, tout comme l’assemblage d’une communauté sur un territoire est étroitement corrélé avec l’ordre dans lequel les espèces s’y établissent. Bien que les règles d’assemblage des mots (ou des communautés) soient restrictives et que le bassin externe d’où proviennent les lettres (ou les espèces) est un contenu limité, il existe un ensemble immense de réalisations possibles. Il est donc impossible de prévoir la composition exacte de l’assemblage ultime ni de savoir où sur le plateau sera placée chaque lettre du jeu. Par contre, certaines propriétés globales peuvent être estimées. Comme par exemple le nombre total de lettres placées sur le plateau à la fin d’une partie, le nombre moyen de mots formés et peut-être même la distribution de la longueur des mots. De même, les communautés d’espèces, bien que distinctes, peuvent être décrites par des propriétés macroscopiques connues (Brown et al. 2002). Il existe notamment des patrons généraux décrivant la distribution de l’abondance des espèces dans une communauté et la relation entre la taille d’un territoire et le nombre d’espèces s’y trouvant (May 1975).

Appenzeller 1999; Parrott 2002; Chu et al. 2003; Green et Sadedin 2005; Nekola et Brown 2007). Les voici. D’abord les systèmes complexes sont composés d’un très grand nombre d’entités de nature et aux caractéristiques diverses (figure 2.1). Ensuite, ces entités interagissent localement entre elles et avec leur environnement selon une organisation hiérarchique pouvant s’étendre sur différentes échelles de temps et d’espace. Ces interactions locales donnent lieu à une dynamique globale souvent non- linéaire, et à l’émergence de structures sophistiquées à un niveau hiérarchique supérieur à celui des entités qui les composent. Ces structures émergentes sont le fruit du processus appelé auto-organisation, et leur composition n’est ni totalement aléatoire ni totalement ordonnée mais peut être décrite par une combinaison de ces deux formes d’organisation. De plus, la dynamique des systèmes complexes repose sur l’existence de boucles rétrogrades où les structures émergentes influencent à leur tour les entités mêmes qui les composent. Le comportement global des systèmes complexes résultant de cette dynamique est hautement sensible aux perturbations et souvent imprévisible, et finalement, contrairement aux systèmes simples, il ne peut être décrit par la superposition des comportements de ses composantes (Parrott 2002).

Figure 2.1: Représentation schématique d’un système complexe. Les interactions locales entre les entités du niveau hiérarchique le plus bas conduisent à l’émergence d’entités de hiérarchie supérieure qui influencent à leur tour la dynamique des entités sous-jacentes par l’action de boucles rétrogrades. Figure adaptée de Parrott (2002).

Ces propriétés sont communes aux communautés écologiques qui peuvent ainsi être considérées comme des systèmes complexes. En effet, le nombre d’espèces recensés sur la planète est d’environ 1.5 millions alors que la diversité totale estimée se situe quelque part entre 5 et 30 millions d’espèces (May 1988; Tokeshi 1999). De cette diversité, plus de 70% proviendrait du règne animal dont la majorité serait des arthropodes, les plantes et les champignons compteraient pour près de 22% des espèces et les organismes unicellulaires environ 5%. Les communautés écologiques peuvent ainsi regrouper d’une douzaine à plusieurs centaines d’espèces provenant de tous les règnes du vivant (Martinez 1991;Dunne et al. 2002; Montoya et Solé 2003).

Par exemple elles sont responsables de l’effet stabilisateur des espèces « keystone » sur leur communauté (Mills et al. 1993), et régissent la relation entre l’accumulation de combustible et l’intensité des feux de forêt (van Langevelde et al. 2003). Il va sans dire que l’ensemble de ces propriétés contribue à la dynamique difficilement prévisible des communautés d’espèces. On peut penser par exemple à la difficulté de prévoir avec exactitude l’effet de la perte de la biodiversité, causée par les changements climatiques, la fragmentation du paysage ou les espèces invasives, sur la composition et le fonctionnement des communautés écologiques (Loreau et al. 2001).

En reconnaissant que les propriétés structurelles et dynamiques mentionnées ci- dessus sont présentes dans un nombre important de systèmes distincts émanant de disciplines aussi disparates que l’écologie, la physique, l’informatique, la linguistique, l’économie, la science politique, ou encore la météorologie, la théorie des systèmes complexes fournit un cadre unificateur pour comprendre et analyser les patrons globaux souvent similaires résultants de ces propriétés. En conséquence, il s’avère que les patrons autrefois associés strictement aux communautés écologiques ne sont pas uniques à ses systèmes mais reflètent plutôt le comportement statistique générique des systèmes complexes (Dewar et Porté 2008). De plus, l’étude des systèmes complexes se fait généralement via l’utilisation de modèles simples qui diffèrent certainement dans leurs détails selon la nature du problème soulevé mais qui ont essentiellement une structure commune peu importe leur domaine d’application. Ainsi un modèle développé par exemple en économie pourra être tout aussi utile en

écologie. Les modèles propres à l’analyse des systèmes complexes seront introduits dans la section qui suit.

La mécanique statistique, qui est une branche de la physique théorique, est à la base même de la philosophie de la théorie de la complexité. En effet, la mécanique statistique, qui origine des travaux de Maxwell (1871), Boltzmann (1898) et Gibbs (1902), est une approche probabiliste visant à expliquer les propriétés macroscopiques des systèmes comprenant un nombre considérable d’entités microscopiques sur la base des lois ou des règles qui régissent les interactions entres ces entités (Demetrius 1983; Chaikin et Lubensky 1995; Dewar et Porté 2008). La mécanique statistique abandonne le paradigme déterministe voulant qu’une description du comportement individuel de chaque entité du système permette une description du comportement global de celui-ci, en se tournant vers une description holistique des systèmes ou l’on cherche plutôt à déterminer des mesures macroscopiques qui décrivent le comportement moyen (ou le plus probable) du système. Ce faisant, la mécanique statistique a développé des outils conceptuels et analytiques impressionnants qui offrent une perspective nouvelle et unificatrice sur la façon de comprendre et d’étudier les systèmes complexes. Parmi les applications de la mécanique statistique, mentionnons l’étude des phénomènes critiques qui sont ubiquistes chez les systèmes complexes dont les populations et les communautés d’espèces.

2.2 Modélisation des systèmes complexes : l’approche orientée-objet