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La théorie des représentations sociales, concept-clé dans le domaine des sciences sociales, a vu le jour suite aux travaux de Moscovici (1961) en psychologie sociale. Cependant, ce dernier s’est inspiré pour beaucoup des travaux de Durkheim (1898) en sociologie, précurseur de la conceptualisation des représentations sociales, à travers l’étude des représentations collectives (Gachassin, 2013).

Malgré le constat d’un décalage dans la manière d’aborder le concept de représentation sociale, entre l’approche sociologique et celle venant de la psychologie sociale (Schurmans, 1994 ; Schurmans, 1996), tant Schurmans (1994), que Doise (2002) soutiennent une approche des représentations sociales articulant différents modèles explicatifs, dans une visée de « dépassement du clivage traditionnel entre analyses se focalisant sur l’individu et relevant de la psychologie et analyses portant sur la société laissées [] à la sociologie » (Doise, 2002, p.109). Cette considération s’inscrit pleinement dans le paradigme méthodologique de la transaction sociale, avec cette volonté d’articuler l’activité collective et l’action individuelle.

Selon Moscovici (1961)

Une représentation sociale est un système de valeurs, de notions et de pratiques ayant une double vocation : tout d’abord d’instaurer un ordre qui donne aux individus la possibilité de s’orienter dans l’environnement social, matériel et de le dominer ; ensuite d’assumer la communication entre les membres d’une communauté en leur proposant un code pour les échanges et un code pour nommer et classer de manière univoque les parties de leur monde et de leur histoire individuelle et collective. (p.8)

En 1989, Jodelet, en se référant aux écrits de Moscovici (1961), propose une définition consensuelle et à minima des RS comme « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (p.36). Les représentations sociales sont donc constituées d’un ensemble de croyances, d’informations, d’opinions, de valeurs et de normes rattachées

à un objet, à un individu ou à un groupe social (Abric, 2001), et ont pour fonction de « rendre quelque chose d’inhabituel ou l’inconnu lui-même, familier » (Moscovici, 1961, p. 38).

Tant l’approche structuraliste avec la théorie du "noyau central" (Abric, 2001) que l’approche évaluative, avec les "principes générateurs de prise de position" (Doise & Palmonari, 1986), démontrent un fonctionnement similaire des représentations sociales, ces dernières procurant dans les deux cas un cadre de référence commun, qui génère dans un second temps des prises de position plus individuelles. Par conséquent, les représentations sociales sont perçues comme des systèmes de croyances collectivement élaborés tandis que les attitudes sont comprises comme les réponses individuelles qui découlent de ce cadre de référence, dévoilant une variabilité interindividuelle dans les prises de positions, malgré le consensus autour de l’objet représentationnel (Abric, 2001). Considérées comme des théorisations spontanées, les représentations sociales participent à la compréhension de notre environnement social, matériel et conceptuel, en créant une grille de lecture, afin d’appréhender les situations quotidiennes et orienter les conduites et actions individuelles.

Pour Moscovici (1961), deux processus entrent en jeu dans l’élaboration des représentations : le processus d’objectivation, qui permet l’appropriation des connaissances (mots, idées, concepts) par leur mise en images, par leurs symbolisations, en fonction de la culture et des normes en vigueur dans le groupe d’appartenance. Puis le processus d’ancrage, qui permet au sujet d’incorporer et de catégoriser de nouveaux savoirs peu familiers ou étranges dans un réseau de connaissances préétabli, l’objet s’insérant dans un

« déjà-là-pensé » (Jodelet, 1989, p.56). Au final, ces deux processus assurent conjointement la continuité de la production des représentations sociales (Jodelet, 1984). Dès lors, une représentation sociale doit s’envisager comme « […] un ensemble d’informations et de croyances relatives à un objet et la reconstruction de cet objet » (Moliner & Vidal, 2003, p.6).

Par conséquent, la représentation sociale constitue un "savoir naïf", un savoir de "sens commun", qui transforme, sélectionne, déforme, à travers les processus d’objectivation et d’ancrage les savoirs et les théories scientifiques. Signifiant par là même, qu’une représentation ne doit en aucune manière être envisagée comme la reproduction parfaite de la réalité, mais bien comme la « représentation de quelque chose et de quelqu’un » (Jodelet, 1984, p.362).

En effet, une représentation sociale doit être analysée sous deux angles, à la fois par rapport à son contenu, consécutif à la sélection et à la déformation des connaissances liées à un objet social, mais aussi à travers la position du sujet dans la société, les connaissances utilisées pour l’élaboration de la représentation étant précontraintes, dans le sens où elles traduisent l’appartenance à un groupe et à une société (Jodelet, 1984 ; Schurmans, 1996).

Autrement dit, chaque groupe social définit l’objet représentationnel, selon des normes, des valeurs, des informations, qui sont utiles au dit groupe, au détriment d’une réelle conformité avec la réalité objective de l’objet.

L’acteur social, porteur de déterminations socio-historiques et de déterminations positionnelles, traduit par son activité représentative, à la fois l’influence des idéologies dominantes dans l’organisation de la pensée et l’influence des négociations inter-groupales pour l’attribution d’un sens aux diverses reconstructions sociales de la réalité. (Schurmans, 1990, p.13)

3.2.1. Les fonctions des représentations sociales et professionnelles

A la suite des travaux de Moscovici (1961), Jodelet (1989) puis Abric (1994) se sont penchés sur les fonctions rattachées aux représentations sociales, et en ont retenu quatre fondamentales :

Une fonction de savoirs : les représentations étant considérées comme « un savoir pratique de sens commun » (Abric, 1994, p.16), elles forment donc un cadre de références commun, qui facilite la compréhension de la réalité, ainsi que les interactions langagières avec autrui.

Une fonction identitaire : la théorie des représentations sociales enrichit notre compréhension des rapports sociaux, les RS structurant à la fois les relations entre les individus, mais aussi entre les groupes sociaux (Doise, 1997). Ainsi, les représentations qui composent le système identitaire de l’individu rendent perceptible son affiliation à la fois à une société et à une culture donnée, « […] qui le munit d’un certain nombre de systèmes de valeurs et de modes d’interprétation » (Schurmans, 1994, p. 132), ainsi qu’à différents groupes d’appartenance, rendant compte de l’inscription sociale de l’individu dans la société, comme la position occupée ou les fonctions remplies.

Les représentations sociales définissent l’identité et permettent la sauvegarde de la spécificité des groupes. Elles ont aussi pour fonction de situer les individus et les groupes dans le champ social, permettre l’élaboration d’une identité sociale et personnelle gratifiante, c’est-à-dire compatible avec des systèmes de normes et de valeurs socialement et historiquement déterminés. […] La référence à des représentations définissant l’identité d’un groupe va jouer un rôle important dans le contrôle social exercé par la collectivité, en particulier dans les processus de socialisation. (Abric, 1994, p.16)

Une fonction d’orientation : Les représentations (de soi, de son groupe d’appartenance, de la tâche), en tant que système de pré-codage de la réalité guident l’action et déterminent les comportements des individus, ce système précédant et déterminant le déroulement d’une interaction. « Enfin, en tant que représentation sociale, c’est-à-dire reflétant la nature des règles et des liens sociaux, la représentation est prescriptive de comportements ou de pratiques obligées. Elle définit ce qui est licite, tolérable ou inacceptable dans un contexte social donné. » (Abric, 1994, p.16).

Une fonction justificatrice, qui « permet a posteriori de justifier des prises de position et comportements. [] C’est là un rôle de maintien et de renforcement de la position sociale du groupe concerné […] » (Abric, 1994, p.17).

Quant aux représentations professionnelles, elles sont une sous-catégorie des représentations sociales. Comme ces dernières, les représentations professionnelles produisent une grille de lecture de la réalité (fonction cognitive), permettent d’orienter l’action (fonction d’orientation des conduites), justifient les pratiques professionnelles (fonction justificatrice) et forgent l’identité professionnelle (fonction identitaire), puisque cette construction identitaire réside dans l’intériorisation des manières de penser et d’agir propre à la profession (Michalot & Siméone, 2013). Toutefois, à la différence des RS, les représentations professionnelles sont issues d’un savoir pratique élaboré dans l’action et sont partagées par l’ensemble d’un groupe professionnel, en rapport avec les objets du champ d’intervention. Elles renvoient « à l’acquisition et à l’utilisation de connaissances particulières pour les membres d’un collectif professionnel qui permettent de décrire et de maitriser les réalités professionnelles. » (Lo Monaco, Delouvée & Rateau, 2016, p.306).