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1.3 Cadre théorique

1.3.2 Phonologie générative multilinéaire

1.3.2.3 Théorie des contraintes et stratégies de réparation

Le cadre théorique adopté ici est celui de Paradis (1988a, b), dans lequel les processus phonologiques sont interprétés non pas comme des règles spécifiques à chaque langue, mais comme des stratégies de réparation qui servent à préserver des contraintes phonologiques universelles ou particulières de langues.

25 Suivant le modèle de Archangeli et Pulleyblank (1986), Paradis (1988b) limite les processus phonologiques à deux opérations. Elle pose que les stratégies de réparation ne peuvent effectuer que les opérations suivantes:

(25) a) insérer Z b) élider Z

0 —> Z Z —> 0

où «Z» représente n’importe quel matériel phonologique (un segment, une unité de temps, etc.) ou un lien entre deux éléments phonologiques.

L’insertion d’un lien entre un élément A et un élément Z, telle que représentée en (26a), peut résulter en une épenthèse selon le contexte, alors que l’élision du lien entre A et Z, comme en (26b), aboutit à un effacement si aucune association subséquente de A ou Z à un autre élément phonologique n’est effectuée.

(26) a) insertion d’un lien b) élision d’un lien

A A

Z Z (Paradis (1988b))

Nous avons déjà dit que les stratégies de réparation ne s’appliquent qu’en cas de violation de contraintes. Il existe trois sources de violations de contraintes:

1) les malformations phonologiques dans le dictionnaire restreint (cf. Paradis (1993b)). Comme nous l’avons déjà vu, les adjectifs français dont le féminin est indiqué par la prononciation d’une consonne finale, tels que petit/petite (/t/), gros / grosse (/sf), se terminent en fait par une CF en FSJ. Cette consonne ne peut se réaliser phonétiquement et doit, par conséquent, être élidée au masculin à cause du principe énoncé en (27).

(27) Principe de légitimation: 4

4 Cf. aussi le Prosodie Licensing Principle (Itô, 1986) et le Licensing Principle de Paradis et Prunet (1989: 323) pour une version légèrement différente.

5 Cf. aussi le CV-Precedence, un principe qui favorise les attaques syllabiques (Itô (1986)). Ce principe s’applique uniquement aux consonnes intervocaliques: «The sequence CV must belong to a single syllable» (Itô (1986: 165)). Cf. aussi le Onset Principle proposé plus tard par Itô (1989), lequel ne permet pas les attaques vides. Ce principe est cependant limité à la morphologie dérivationnelle.

Toute unité phonologique doit être légitimée au niveau prosodique et segmentai, c’est-à-dire être intégrée dans une structure phonologique immédiate complète. (Cf. Paradis et El Fenne (1991; 1992) et Paradis (1993b)).

Autrement dit, si un élément n’est pas associé à une structure, il ne peut se réaliser phonétiquement

2) Les opérations morphologiques, telles que des opérations d’affïxation comme dans petit /petit-esse [poti - potit-es], où la CF de l’adjectif peti 1 se retrouve devant un suffixe à attaque vide, en l’occurrence -esse, ou des opérations syntaxiques comme dans la liaison: petit ami [potit^ami], où la CF /t/ (de l’adjectif prénominal petit) se retrouve devant un mot qui commence aussi par une attaque vide. Dans ces deux cas, le principe des attaques vides, présenté en (28), est violé.

(28) Principe des attaques vides: 5

Une attaque vide ne peut être phonologiquement ou morphologiquement précédée d’une consonne permanente ou flottante. (Cf. Paradis et El Fenne (1991; 1992; 1993)).

3) Les conflits de contraintes comme, par exemple, dans l’adjectif fin/fine [fë-fin], où l’association de la CF M de la FS J /fin/ au noeud de base de la voyelle qui

27 la précède en (29) (due au principe de légitimation, lequel ne permet pas, comme on l’a déjà vu, la présence de segment flottant) entraîne la violation d’une autre contrainte.

(29) Représentation simplifiée a) FS J b) Masc. Squelette NB NP x x I I • • • .. [+nasal] A N I I x x [+nasal] [+tendu] [+tendu] Segments f n f i n

Cette contrainte, présentée en (30), ne permet pas la présence d’une voyelle [+tendu], [+nasal] (* 1) en français.6 Cette contrainte peut être formalisée comme dans LaCharité et Paradis (1993: 14).

(30) Contrainte sur les voyelles nasales en français

*[+tendu] [+nasal]

En (31b), on peut voir que l’association du trait nasal au noeud de base de la voyelle entraîne justement la présence d’une voyelle tendue, nasale.

6 Pour les dialectes français qui admettent les voyelles nasales tendues comme /O/ (cf. Plénat (1987) à propos du français parisien), nous dirons que ces dialectes n’admettent pas les voyelles nasales [+haut], La nature exacte du trait terminal impliqué importe peu ici.

(31) Représentation d'un conflit de contrainte

a) FS J: violation du principe de légitimation b) Masc.: stratégie de réparation A et violation de la contrainte en (30). x

I

NB

I

[+nasal] NP I [+tendu] x [+nasal] I [+tendu]

c) Stratégie de réparation B: dissociation de [+tendu]

x NB • • NP [+nasal] • [+tendu]

NB = noeud de base, NP = noeud de place, (cf. structure interne d'un segment, schéma (19)).

La violation aboutissant à (31b) est ensuite réparée par la stratégie la moins coûteuse, soit la dissociation du trait problématique: le trait [+tendu] (cf. (31c)). Nous verrons en détail en 3.1.3 au chapitre 3 que cette dissociation du trait [+tendu] est due en partie au principe de minimalité, présenté en (32).

(32) Principe de minimalité:

Une malformation doit être réparée par une modification au niveau le plus bas auquel fait référence la contrainte violée. (Cf. Paradis (1993b)).

29 Le niveau le plus bas est déterminé par l’échelle suivante:

(33) Hiérarchie des niveaux phonologiques:1

7 Cf. Paradis (1993b) et aussi LaCharité (1993) pour une version légèrement modifiée.

structure métrique > syllabe > squelette (UT) > noeud de base > noeud de place > articulateurs > traits terminaux.

La TCSR ne rejette pas complètement l’existence des règles spécifiques à chaque langue, mais elle propose de limiter ces règles aux processus phonologiques conditionnés morphologiquement. Les processus phonologiques, qui servent à préserver une structure, sont gouvernés par des contraintes phonologiques universelles (principes) ou non universelles (réglages paramétriques), alors que les opérations morphologiques (ex: opérations d’affixation) sont insensibles à ces contraintes. Les contraintes phonologiques dans la TCSR peuvent avoir deux effets:

1) bloquer un processus phonologique;

2) causer l’application d’une stratégie de réparation lorsqu’une violation est inévitable.

(Cf. aussi Yip (1988) pour une discussion sur les doubles effets de contraintes).

L’effet de «blocage», par opposition aux stratégies de réparation, est plus économique dans la mesure où il n’entraîne aucun changement. Il a donc la priorité sur le deuxième effet.

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