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Chapitre 3 : Étude du complexe Fe[5-NO 2 sal-(1,4,7,10)] :

IV) Changement d’état de spin et de coordinence

IV.3) Théorie du champ cristallin

La théorie du champ cristallin est une théorie décrivant la structure électronique des complexes et est développée pour expliquer les propriétés des ions métalliques d dans les cristaux ioniques. Selon cette théorie, le doublet libre d’un ligand est considéré comme une charge négative ponctuelle qui repousse les électrons des orbitales d de l’ion métallique central, chargé positivement. Elle se concentre sur le dédoublement des orbitales d en groupes d’énergies différentes qui en résulte. Elle utilise ensuite ce dédoublement pour expliquer le nombre d’électrons célibataires de l’ion métallique ainsi que les spectres, la stabilité et les propriétés magnétiques des complexes. L’approche du champ cristallin est simple à visualiser. Toutefois elle néglige les interactions covalentes entre le ligand et l’ion métallique central, c’est-à-dire le recouvrement des orbitales d par les orbitales du ligand. La théorie du champ cristallin est donc un modèle purement électrostatique.[Hoffmann 77, Huheey 93, Shriver 99, Rivail 99, Lissillour 01, Casalot 93, Hauser 04a]

Nous avons présenté dans le chapitre 1, l’application de la théorie du champ cristallin pour un complexe octaédrique, hexacoordiné. Les six ligands chargés négativement (modélisés par des charges ponctuelles) sont placés aux sommets de l’octaèdre sur lesquels pointent les trois axes x, y et z, autour de l’ion métallique central chargé positivement. Les électrons de cet ion subissent des forces répulsives de la part des électrons des ligands. Les ligands sont en interaction forte avec l’ion métallique et la stabilité du complexe résulte pour une part importante de cette interaction. Un effet secondaire beaucoup plus faible provient du fait que l’intensité des interactions des électrons d avec les ligands varie selon les différentes orbitales d. Bien que cette interaction variable soit à peine supérieure à 10% de l’interaction métal-ligand globale, elle a des conséquences majeures sur les propriétés du complexe. Le champ cristallin va dédoubler les cinq orbitales d dégénérées de l’ion métallique. La disposition des orbitales et les écarts d’énergies entre elles seront différents selon la symétrie du champ cristallin. La différence d’énergie entre les orbitales est appelée paramètre de dédoublement du champ des ligands, cette différence sera plus ou moins importante suivant la force du champ exercé par les ligands. Nous continuerons à l’exprimer en « unité » Dq et les diagrammes des niveaux d’énergie des orbitales d dans le cadre de la théorie du champ cristallin, auront pour origine énergétique 0Dq correspondant aux cinq orbitales d dégénérées dans un environnement sphérique (voir chapitre 1). Dans le cas du complexe octaédrique, les

cinq orbitales d de l’ion métallique sont séparées en deux ensembles orbitalaires. Le premier ensemble de symétrie eg, doublement dégénéré, est constitué des deux orbitales dx2-y2 et dz2. Ces deux orbitales ont des lobes dirigés le long des axes x, y et z, et donc directement vers les ligands. Cet ensemble d’orbitales de symétrie eg est déstabilisé d’une énergie de 6Dq. Le second ensemble de symétrie t2g, triplement dégénéré, est constitué des trois orbitales dxy, dyz et dxz. Ces trois orbitales ont des lobes dirigés suivant les bissectrices des axes de coordonnées x, y et z. Pour des raisons liées à la conservation de l’énergie du système, cet ensemble d’orbitales de symétrie t2g est stabilisé d’une énergie de -4Dq. L’écartement des niveaux d’énergie eg et t2g, soit le paramètre de dédoublement du champ des ligands Δo (indice o pour octaèdrique), dans le cas d’un champ cristallin octaédrique, est égal à

Dq t E e E g g o  ( ) ( 2 )10  (voir figure 4.19).

Dans le cas du complexe heptacoordiné bipyramidal à base pentagonale D5h, les sept ligands chargés négativement sont considérés. Deux d’entre eux sont placés aux sommets des pyramides le long de l’axe z et les cinq autres se situent aux sommets de la base pentagonale dans le plan (x,y), autour de l’ion métallique central chargé positivement. Les cinq orbitales d de l’ion métallique heptacoordiné dans une symétrie D5h sont séparées en trois ensembles orbitalaires. Le premier ensemble de symétrie a’1 est constitué d’une seule orbitale dz2. Cette orbitale a les lobes dirigés le long de l’axe z, soit directement vers les ligands situés aux sommets des pyramides, et le tore situé dans le plan (x,y) de la base pentagonale constituée par les cinq autres ligands. Cette orbitale de symétrie a’1 est déstabilisée d’une énergie de 4,93Dq. Le second ensemble de symétrie e’2, doublement dégénéré, est constitué des deux orbitales dx2-y2 et dxy. Ces deux orbitales ont les lobes se trouvant dans le plan (x,y) de la base pentagonale constituée par les cinq autres ligands, elles pointent donc un peu plus vers ces cinq ligands. Cet ensemble d’orbitales de symétrie e’2 est un peu moins déstabilisé d’une énergie de 2,82Dq. Le troisième ensemble de symétrie e’’1, doublement dégénéré, est constitué des deux orbitales dyz et dxz. Ces deux orbitales ont des lobes se trouvant dans le plan, suivant l’axe z, perpendiculaire au plan (x,y) de la base pentagonale constituée par les cinq autres ligands, elles ne pointent donc pas vers ces cinq ligands. Cet ensemble d’orbitales de symétrie e’’1 est donc stabilisé d’une énergie de -5,28Dq. Dans le cas d’un champ cristallin de symétrie bipyramidale à base pentagonale (symétrie D5h), le paramètre de dédoublement du champ des ligands Δ1 correspondant à l’écart des niveaux d’énergie e’2 et e’’1 est égal à

Dq e E e E( 2) ( 1) 8,10 1    

est égal à 2E(a1)E(e2)2,11Dqet celui correspondant à l’écart des niveaux d’énergie a’1 et e’’1 est égal à 3 E(a1)E(e1)10,21Dq. La figure 4.19 montre et compare le diagramme bien connu des séparations des orbitales d de l’ion métallique dans un champ cristallin octaédrique (symétrie Oh) avec le diagramme des séparations des orbitales d de l’ion métallique dans un champ cristallin bipyramidal à base pentagonale (symétrie D5h), ainsi que le paramètre de dédoublement du champ des ligands associé.

Figure 4.19 - Diagramme des niveaux d’énergie des orbitales d de l’ion métallique plongé dans un champ cristallin octaédrique et diagramme des niveaux d’énergie des orbitales d l’ion métallique plongé dans un champ cristallin de symétrie bipyramidale à base pentagonale, selon la théorie du champ cristallin.

Lors de travaux expérimentaux antérieurs, Nelson et al. suggérèrent une coordinence 6 pour les complexes [FeII(L2,3)(CN)2].zH2O toujours dans l’état BS et le complexe [FeII(L)(CN)2].H2O dans son état BS comme présenté dans la partie I précédente.[Nelson 80, 86, König 87]

Ils basèrent cette suggestion sur l’impossibilité, a priori, d’une configuration BS pour un ion d6 dans un environnement de symétrie bipyramidale à base pentagonale D5h, ce que confirment nos calculs d’optimisation de géométrie basés sur les méthodes DFT. Avant même de parler de théorie des orbitales moléculaires, cette impossibilité d’une configuration BS pour un ion d6 en symétrie D5h, peut être simplement illustrée par la théorie du champ cristallin. En effet, les diagrammes des niveaux d’énergie des orbitales d de l’ion métallique pour un champ cristallin octaédrique et pour un champ cristallin de symétrie bipyramidale à base pentagonale, montrent une situation de champ fort bien plus favorable pour une symétrie octaédrique (voir figure 4.19). D’un point de vue général, pour qu’un complexe soit dans l’état BS, il faut un champ cristallin très fort pour induire un écartement suffisamment important des niveaux d’énergie entre deux ensembles orbitalaires et une occupation des orbitales par les électrons se faisant sans application de la règle de Hund, pour permettre un nombre maximal d’orbitales occupées par des spins appariés et donc un spin total minimal. Un ion métallique d6 tel que le Fe(II) possède six électrons. Un complexe du Fe(II) dans l’état BS possède un spin total S = 0, et les six électrons sont appariés. Par conséquent, trois orbitales d seront occupées par deux électrons appariés, et les deux autres orbitales d seront vides. Il faudra alors un écart énergétique entre la première orbitale vide, la plus basse vacante (BV ou LUMO) et la dernière doublement occupée, la plus haute occupée (HO ou HOMO) suffisamment important pour que la règle de Hund ne soit pas applicable. Cette situation est directement accessible pour un complexe hexacoordiné dans un environnement Oh, car il possède un ensemble orbitalaire t2g stabilisé et triplement dégénéré que les électrons appariés pourront occuper sans modifier cette configuration orbitalaire globale, c’est-à-dire par simple augmentation ou diminution de Δo. Toutefois, un complexe heptacoordiné dans un environnement D5h possède un ensemble orbitalaire stabilisé, doublement et non triplement dégénéré. Seuls les états quintuplet HS et triplet MS sont directement accessibles sans modifier la configuration orbitalaire globale, c’est-à-dire par simple augmentation ou diminution de Δ1 ou Δ2. Un changement d’état de spin, de l’état HS vers l’état BS, pour un ion d6 initialement dans un état HS heptacoordiné de symétrie D5h, va nécessiter la stabilisation de l’orbitale dxy et la déstabilisation de l’orbitale dx2-y2 de l’ensemble e’2 et un écart énergétique entre ces deux orbitales suffisamment important pour une configuration BS de spin S = 0, correspondant à six électrons appariés. Par conséquent, l’ensemble e’2 des deux orbitales dxy et

dx2-y2 va disparaître. Toute la configuration orbitalaire initiale de l’ion d6 ML7 plongé dans un champ cristallin D5h va nécessairement être modifiée et va tendre vers celle de l’ion d6 ML6 plongé dans un champ cristallin Oh, comme nous l’avons schématisé sur la figure 4.20. Ce changement significatif d’environnement pour l’ion d6

induit par le changement d’état de spin, de l’état HS vers l’état BS, va donc s’accompagner d’un changement de coordinence de 7 à 6. Remarquons que des complexes de coordinence 7 peuvent de rares fois présenter une sphère de coordination représentant un octaèdre coiffé pour lequel la septième liaison vient sur l’une des faces de l’octaèdre. Mais dans le cas du complexe [Fe(L)(CN)2], les modifications géométriques liées au changement de coordinence, plus précisément le gain ou la perte de la septième liaison, se produit dans le plan du ligand macrocyclique, et donc le plan de la base pentagonale de la bipyramide, et celle-ci tendra vers la base carrée de l’octaèdre (l’octaèdre est en fait une bipyramide équilatérale à base carrée). Le changement de coordinence et donc le gain ou la perte d’une liaison dans le plan macrocyclique est nécessaire et inéluctable.

Figure 4.20 - Schématisation de la modification du diagramme des niveaux d’énergie des orbitales d de l’ion métallique d6

initialement dans l’état HS heptacoordiné dans un environnement cristallin de symétrie bipyramidale à base pentagonale (D5h), basculant dans l’état BS hexacoordiné dans un environnement tendant vers l’octaèdre (Oh), selon la théorie du champ cristallin dans le cadre du complexe [Fe(L)(CN)2].