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Troisième section : Comparaison avec la vision orthodoxe – par contraste

Chapitre 1 : Caractéristiques générales des auteurs étudiés

B) Théologie inséparable de la liturgie et de l’expérience

Un second élément caractérisant la théologie orthodoxe semble dériver directement de l’approche apophatique. Etant donné que Dieu ne peut pas être atteint par la spéculation

difficulté de langage existe également pour cerner le propre de l’Esprit-Saint qui révèle le Père et le Fils plutôt qu’Il se révèle Lui-même. », idem, p. 280.

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« Dans notre appréhension de Dieu nous faisons davantage appel à des concepts cataphatiques qui sont d’un abord plus aisé et plus accessible à l’esprit. Mais la connaissance cataphatique a ses limites qu’elle n’est pas en mesure de franchir. », ALFEYEV, H., Le mystère de la foi, Paris, 2001, p. 39.

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Cf. idem, pp. 217-219.

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« Dans la décision dogmatique du Concile il est indiqué que le Christ est consubstantiel à Dieu selon la divinité, et consubstantiel à l’homme selon l’humanité, et que les deux natures en Christ sont unies "sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation". […] Ces quatre termes, appliqués à l’union des natures, sont tous rigoureusement apophatiques, tournés sur le mode de la négation. Ils mettent ainsi en évidence que l’union des deux natures en Christ est un mystère, qui dépasse l’intelligence, et qu’aucun mot n’a le pouvoir de décrire. Il est seulement dit avec précision comment les deux natures ne sont pas unies, afin de se prémunir contre les hérésies qui les feraient se confondre, se mélanger, se diviser. Quant à la manière dont se fait l’union, cela reste caché à l’intelligence humaine. », idem, p. 102.

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„Florovsky lehnt die Gegenüberstellung von Glaube und Vernunft ab, da der Glaube das Denken des Menschen ebenso verändert wie sein übriges Sein. Das Dogma sucht deshalb nicht nach abstrakten Vernunftwahrheiten, sondern formuliert nur das, was bereits im Glauben als Wahrheit gegeben wurde. Der Glaube als reale Theophanie und reale Theosis ist seinem Wesen nach definierend und dogmatisch. Der Glaube ist Erfahrung, Gottesoffenbarung“, KÜNKEL, CH., Totus Christus, Die Theologie Georges V. Florovskys,

Göttingen, 1991, p. 238.

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„[…] das ganze menschliche Sein, also auch das denkerische Vermögen des Menschen [ist] durch die Gemeinschaft mit Christus verändert und sucht deshalb auch in dogmatischen Kategorien einen adäquaten Ausdruck.“, idem, p. 237.

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“One of the faults that Florovsky found with Lossky is that in developing a Christian philosophy, Lossky began not with a theology of Christ, but a theology of apophaticism.”, SKIRA, Jerry Zenon, Christ, The Spirit and The Church in Modern Orthodox Theology, Toronto, 1998, p. 34.

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humaine, la théologie orthodoxe se base sur la liturgie et sur l’expérience concrète. Il ne faut pas chercher à spéculer sur l’Incompréhensible, mais, plutôt faire expérience de Dieu, s’approcher de Lui et se laisser transformer, déifier par Lui393. Comme nous voyons, par exemple, chez Lossky, ce point de départ de l’expérience concrète marque aussi les différents domaines de la théologie et touche de près la vision orthodoxe du dogme trinitaire, où l’on saisit d’abord les trois Personnes en leur distinction tout en gardant l’unité de la Divinité394. De ce point de vue, l’auteur le plus ancien que nous avons étudié, Panagiotis Nicolas Trembelas, représente une exception, et la critique de Christos Yannaras de le placer parmi les représentants de la théologie académique semble être justifiée. D’après Yannaras, même si le professeur Trembelas utilise abondamment des références patristiques, sa manière de présenter la théologie reste trop spéculative et éloignée de la liturgie, de la vie et de la spiritualité de l’Eglise orthodoxe395. Les autres théologiens appartiennent tous à la génération des théologiens du renouveau du XXe siècle qui ont déjà quitté la « captivité babylonienne » latinisante de l’influence occidentale396. Ainsi, selon Paul Evdokimov, « Plus Dieu est incognoscible dans la transcendance de sa Suressence et plus il est expérimentable dans sa proximité en tant qu’Existant. »397. Le point de départ liturgique est particulièrement visible chez les théologiens qui placent l’Eucharistie au centre de leur vision ecclésiologique, tels que Nicolas Afanassieff398 et Jean Zizioulas399. Cet enracinement de la théologie orthodoxe dans l’expérience et la liturgie, nous le trouvons exprimé chez le professeur Bobrinskoy d’une

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« Donc la théologie doit être moins une recherche des connaissances positives sur l’être divin qu’une expérience de ce qui dépasse tout entendement. », LOSSKY, V., Théologie mystique de l’Eglise d’Orient, Edition Montaigne, 1944, p. 36.

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« Comme nous l’avons dit, la pensée occidentale dans l’exposé du dogme trinitaire partait le plus souvent de la nature une pour considérer ensuite les trois personnes, tandis que les Grecs suivaient la voie opposée, […] ayant comme point de départ le concret […]. Pourtant les deux voies étaient également légitimes […]. », idem, p. 55.

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Cf. BAILLARGEON, G., Perspectives orthodoxes sur l’Eglise Communion, L’œuvre de Jean Zizioulas, Montréal, 1989, pp. 273-277, sur „la théologie académique”.

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BOBRINSKOY, B., Le mystère de l’Eglise, Cours de théologie dogmatique, Cerf, Paris, 2003, p. 116. et pp.119- 122.

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EVDOKIMOV, P., Présence de l'Esprit Saint dans la tradition orthodoxe, Foi vivante 179, Cerf, Paris, 1977, p. 24.

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Outre sa vision de l’Eglise spécifiquement basée sur l’Eucharistie, dans son approche historique N. Afanassieff voit une opposition entre la réalité historique et les spéculations théologiques : « L’affirmation de l’enseignement d’école selon lequel la hiérarchie à trois degrés aurait été instituée par le Christ, est le résultat de spéculation théologiques étrangères à la trame historique de la vie ecclésiale. », AFANASSIEFF, N., L'Eglise du Saint-Esprit ; trad. du russe par Marianne Drobot, Cogitatio fidei 83, Cerf, Paris, 1975, p. 242.

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D’après G. Baillargeon, « Pour lui [Zizioulas] les dogmes "sont liés à notre existence d’une manière décisive" ; l’ecclésiologie concerne la vie de l’homme. », BAILLARGEON, G., Perspectives orthodoxes sur l’Eglise Communion, L’œuvre de Jean Zizioulas, Montréal, 1989, p. 167. Ou ailleurs : « Dans l’Eglise Orthodoxe, les dogmes sont vie et doivent donc avoir une incidence immédiate et décisive au cours de notre existence ; », L’être ecclésial, coll. Perspective orthodoxe n°3, Labor et fides, Genève, 1984, p. 11, cité in BAILLARGEON, G., Perspectives orthodoxes sur l’Eglise Communion, L’œuvre de Jean Zizioulas, Montréal, 1989, p. 230.

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manière très claire par rapport au mystère de la Trinité : « La distinction des Hypostases ne découle pas d’un raisonnement théologique, mais est de nature "pré-théologique", appartient au domaine de l’évidence ou de l’expérience spirituelle la plus personnelle qui est elle-même fondatrice de la démarche théologique. »400 Il est intéressant de noter que tout comme l’ineffabilité, ce point de départ expérientiel semble aussi avoir pour lui une importance spéciale à propos du Saint-Esprit401. Hilarion Alfeyev ne manque pas non plus de souligner – comme par contraste par rapport au « rationalisme scholastique » – la place importante de la vie spirituelle et de l’expérience dans la théologie402. Georges Florovsky, même s’il n’accentue pas spécialement le caractère apophatique de la théologie, soutient aussi que la vraie théologie a sa source dans l’expérience et la liturgie403.