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Pour le Christ, le fait d’être envoyé consiste dans l’Incarnation

A) Ce qui est propre à la Personne Incarnée

1) Pour le Christ, le fait d’être envoyé consiste dans l’Incarnation

En parcourant les passages des documents conciliaires dans lesquels une mention explicite est faite de ce mystère personnel du Christ, – soit par l’usage du terme « incarnatio, incarnatus esse », soit par l’expression « caro factum esse » ou encore « humanitatem assumere » – nous pouvons découvrir qu’il s’agit d’un mystère central pour notre salut. L’incarnation est la base de l’alliance nouvelle et définitive entre Dieu et les hommes92, et le point de départ pour tout le mystère du Christ :

Cum Ipsa tandem praecelsa Filia Sion, post diuturnam exspectationem promissionis, complentur tempora et nova instauratur Oeconomia, quando Filius Dei humanam

Enfin, avec elle, fille de Sion par excellence, après la longue attente de la promesse, s'accomplissent les temps et s'instaure l’économie nouvelle, lorsque le Fils de Dieu prit

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D’après LG 9 l’ancienne alliance n’était que préparation et figure de « l’Alliance Nouvelle et parfaite qui serait conclue dans le Christ et [de] la révélation plus totale qui serait apportée par le Verbe de Dieu lui-même, fait chair (Ipsum Dei Verbum carnem factum). » De même AG 3 « Dieu […] décida d’entrer dans l’histoire humaine d’une façon nouvelle et définitive (novo et definitivo modo), en envoyant son Fils dans notre chair […]. »

40 naturam ex ea assumpsit, ut mysteriis carnis

suae hominem a peccato liberaret. (LG 55)

d'elle la nature humaine pour libérer l'homme du péché par les mystères de sa chair. (LG 55)

Pour le Fils, être envoyé signifie s’incarner. Même si elle était préparée par les alliances antérieures93, la mission propre au Fils dans le monde commence par l’événement unique de l’incarnation94. La constitution Sacrosanctum Concilium parlant de l’année liturgique met bien en évidence que le mystère du Christ englobe tous les évènements de sa vie, en commençant par « l’Incarnation et la Nativité jusqu’à l’Ascension, jusqu’au jour de la Pentecôte, et jusqu’à l’attente […] de l’avènement du Seigneur »95.

Plusieurs textes, outre qu’ils font mention de ce mystère, soulignent le réalisme de l’incarnation96, et la réalité de l’humanité du Christ tout en maintenant sa divinité dans son unique personne. C’est ce qui fait du Christ l’unique Médiateur entre Dieu et les hommes:

Christus enim Iesus missus est in mundum verus

mediator Dei et hominum. Cum Deus sit, in ipso

inhabitat omnis plenitudo divinitatis corporaliter (Col. 2, 9); secundum humanam autem naturam, novus Adam, renovatae humanitatis caput constituitur, plenus gratiae et veritatis (Io. 1, 14). Itaque per vias verae Incarnationis processit Filius Dei ut homines divinae naturae participes faceret […]. Sancti Patres constanter proclamant non esse sanatum quod assumptum a Christo non fuerit. Assumpsit vero integram humanam

naturam qualis apud nos miseros et pauperes

Car le Christ Jésus fut envoyé dans le monde comme le véritable médiateur entre Dieu et les

hommes. Puisqu'il est Dieu, toute la plénitude

de la divinité habite en Lui corporellement (Col. 2, 9) ; dans sa nature humaine, il est le nouvel Adam, il est constitué le chef de l'humanité régénérée, il est rempli de grâce et de vérité (Jean 1, 14). Aussi, par les voies d'une

Incarnation véritable, le Fils Dieu est-il venu

pour faire participer les hommes à la nature divine […]. Les saints Pères proclament sans cesse que n'est pas guéri ce qui n'a pas été

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« […] le Verbe de Dieu qui, avant de se faire chair pour tout sauver et récapituler en Lui, "était déjà dans le monde", comme "la vraie lumière qui éclaire tout homme" (Jean 1, 9-10). » (GS 57)

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« [Dieu] a en effet envoyé son Fils (misit), le Verbe éternel qui éclaire tous les hommes, pour qu’il demeurât parmi eux (ut inter homines habitat) et leur fit connaître les secrets de Dieu (cf. Jean 1, 1-18). Jésus Christ donc, le Verbe fait chair, "homme envoyé aux hommes" (Verbum caro factum homo ad homines missus), "prononce les paroles de Dieu" (Jean 3 ,34) et achève l’œuvre du salut que le Père lui a donnée à faire (cf. Jean 5, 36 ; 17, 4). » (DV 4) Cf. encore : LG 52.

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Cf. SC 102. Pour notre sujet, il est intéressant de noter que la mission de l’Esprit-Saint, la Pentecôte, figure également parmi les événements faisant partie du mystère du Christ ayant pour base l’Incarnation. Ainsi l’envoi du Saint-Esprit semble être lié au mystère du Verbe Incarné, et donc à l’humanité du Christ. Cf. Ac 2 et Jn 20.

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La vraie humanité du Christ est souvent accentuée par la maternité de la Sainte Vierge Marie. Par exemple en LG 52 par la citation de Ga 4,4, ou encore LG 61, parlant de la collaboration de la bienheureuse Vierge à la restauration de la vie surnaturelle dans les âmes, affirme : « En concevant le Christ, en le mettant au monde, en le nourrissant, en le présentant dans le Temple à son Père, en souffrant avec son Fils qui mourait sur la croix, elle apporta à l’œuvre du Sauveur une coopération absolument sans pareille […] (Christum concipiens, generans, alens, in templo Patri sistens, Filioque suo in cruce morienti compatiens). » De même les mentions de la naissance du Christ au sein du peuple Juif, comme par exemple en LG 16, indique qu’Il a assumé tout ce qui appartient à la nature humaine. Ou encore GS 22 : « Car, par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un cœur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous (vere unus ex nostris factus est), en tout semblable à nous, hormis le péché. »

41 invenitur, absque tamen peccato (cf. Hébr. 4, 15;

9, 28). (AG 3)

assumé par le Christ. Mais il a vraiment assumé

la nature humaine en son intégrité, telle qu'on

la trouve chez nous, malheureux et pauvres, mais elle est chez lui sans péché (cf. Héb. 4, 15 ; 9, 28). (AG 3)

Puisque le vrai médiateur est celui qui, en sa personne, est uni aux deux termes entre lesquels il doit rétablir la communication, tandis que les textes conciliaires insistent sur la vraie humanité du Christ, ils soulignent également que c’est le Verbe même de Dieu97, qui est devenu homme, sans cesser d’être Dieu, le Fils : « aucune créature ne peut jamais figurer sur le même plan que le Verbe Incarné, notre Rédempteur »98. Ainsi c’est son mystère personnel qui l’établit unique Rédempteur et notre Sauveur99 et c’est cela qui détermine toute la logique de la rédemption de l’homme. La vie divine à laquelle Dieu veut faire participer l’homme arrive à lui par la médiation du Christ, par l’humanité qu’Il a assumée une fois pour toutes. La médiation unique du Verbe Incarné entre Dieu et les hommes est plusieurs fois exprimée en particulier par la notion d’instrumentalité. Selon Sacrosanctum concilium n°5, par exemple, « le Christ est le Médiateur entre Dieu et les hommes, car c’est son humanité, dans l’unité de la personne du Verbe qui fut l’instrument de notre salut (Ipsius namque humanitas, in unitate personae Verbi, fuit instrumentum nostrae salutis). »100

Tout en étant un événement central et unique dans l’histoire de salut, l’incarnation du Verbe se prolonge en quelque sorte dans l’Eglise, son Corps mystique.

[…] Deus „[…] misit Filium suum, factum ex muliere, ... ut adoptionem filiorum reciperemus” (Gal. 4, 4-5). „Qui propter nos homines et propter nostram salutem descendit de caelis, et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria Virgine.” Quod salutis divinum mysterium nobis revelatur et continuatur in Ecclesia, quam Dominus ut corpus suum constituit […]. (LG 52)

[…] Dieu « […] a envoyé son Fils, qui est né d'une femme... pour faire de nous des fils adoptifs » (Gal. 4, 4-5). « A cause de nous les hommes et pour notre salut il est descendu du ciel et s'est incarné par l'œuvre de l'Esprit-Saint dans la Vierge Marie. » Ce divin mystère du salut se révèle pour nous et se continue dans l'Église, que le Seigneur a constituée comme son corps […]. (LG 52)

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Par exemple LG 66 rappelle clairement que le Verbe Incarné reçoit avec le Père et le Saint-Esprit un culte essentiellement différent de celui de la Sainte Vierge.

98

Cf. LG 62

99

Seul le Verbe Incarné reçoit personnellement le titre de Sauveur. Cf. par exemple : DV 18 ; Voir encore GS 32.

100

Sur cette causalité efficiente instrumentale du Christ en son humanité, nous reviendrons encore ci-dessous, au point b), p. 48.

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Toute l’économie du salut et les dons de Dieu entrent donc désormais dans cette logique de l’incarnation. Dans la continuité de l’incarnation, « c’est à l’Eglise qu’il revient […] de rendre présents et comme visibles Dieu le Père et son Fils Incarné […] sous la conduite de l’Esprit-Saint »101. De plus ce prolongement de l’incarnation ne concerne pas seulement l’Eglise dans son ensemble, mais chacun des fidèles. Le Christ, conçu de l’Esprit Saint et né de la Vierge, veut naître et grandir également dans le cœur des fidèles, par le moyen de l’Eglise102.

Il s’ensuit directement que l’humanité assumée par le Verbe est tout d’abord le modèle et l’exemple de l’humanité sauvée qui, personnellement aussi bien qu’en tant que communauté, est appelée à continuer l’œuvre du Christ. Le Christ est appelé le Nouvel Adam qui tout en éclairant le mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui- même. En assumant la nature humaine « Il est l’Homme parfait »103. L’Eglise, la communauté de l’humanité rénovée dans le Christ, est invitée à suivre en tout l’exemple du Christ. Comme l’affirme le décret Ad gentes, Elle doit s’approcher des groupes humains, « du même mouvement dont le Christ lui-même, par son incarnation, s’est lié aux conditions sociales, culturelles déterminées des hommes avec lesquels il a vécu. »104

Or, comme nous l’avons observé auparavant, la mission du Christ ne consiste pas seulement dans la révélation des mystères de Dieu, c'est-à-dire d’être signe et exemple pour l’humanité sauvée, mais aussi dans le don de la vie divine. Cela devient visible dans le fait d’être, en son humanité, l’instrument par lequel la grâce divine se déverse sur l’humanité. Le Concile, en puisant dans l’héritage patristique, explique cette continuation du mystère de l’incarnation dans l’Eglise en recourant à l’analogie. En effet, tel que nous lisons en Lumen gentium au n° 8, le mystère de l’Eglise, organisme visible par lequel le Christ, unique Médiateur, répand sur tous la vérité et la grâce, est comparable au mystère même du Verbe105. Nous nous arrêterons plus loin sur cette comparaison, dans laquelle l’instrumentalité de l’humanité du Christ reçoit une place centrale.

101 GS 21. 102 Cf. LG 65. 103

Cf. GS 22 ; Nous y reviendrons au point a), p. 43.

104

Cf. AG 10. Le même document au n°22, tout comme GS 58 rapproche également le mouvement de l’inculturation de la part de l’Eglise à celui de l’Incarnation du Christ: « Certes à l’instar de l’économie de l’Incarnation, les jeunes Eglises enracinées dans le Christ et construites sur le fondement des apôtres, assument (assumunt) pour un merveilleux échange toutes les richesses des nations qui ont été données au Christ en héritage (cf. Ps. 2, 8). » Notons que le verbe « assumere » est celui qui décrit aussi la relation du Verbe à la nature humaine lors de l’Incarnation. Par ailleurs, remarquons que l’exemplarité – liée directement au vocabulaire de l’incarnation – est plutôt présente dans les documents traitant sur l’Eglise dans son rapport avec le monde, tels que Gaudium et spes et Ad gentes.

105

C’est dans ce sens aussi que la constitution Dei verbum met en parallèle le fait que Dieu parle aux hommes dans un langage humain et l’incarnation du Verbe. Cf. DV 13.

43

Le Verbe de Dieu Incarné, étant nommé l’homme parfait, n’est pas seulement l’exemple de tous, et cause instrumentale du salut, mais aussi la finalité de l’homme. Le Seigneur, Verbe de Dieu qui s’est fait chair, sauve tous les hommes et récapitule toutes choses en Lui. Il est le terme de l’histoire humaine et le centre du genre humain.106 Il est donc manifeste que la causalité exemplaire qu’exerce le Christ en propre, en raison de son mystère du Verbe Incarné, va de pair avec sa causalité finale pour toute la création.

Enfin, les documents conciliaires, lorsqu’ils mentionnent les trois Personnes de la Sainte Trinité, font souvent apparaître l’incarnation comme propriété qualifiant le Verbe. Ainsi, par exemple, Lumen gentium n°66 parle du culte rendu « au Verbe incarné, ainsi qu’au Père et à l’Esprit-Saint », mais nous retrouvons la même qualification du Fils, à l’intérieur de l’énumération des trois Personnes, en GS 21, cité ci-dessus107. En même temps cela n’exclut nullement une certaine opération du Saint-Esprit dans le mystère de l’incarnation108.

Comme un dernier élément général concernant l’Incarnation du Verbe, notons que, du point de vue œcuménique, c’est justement ce mystère (avec celui de la Sainte Trinité) qui constitue l’une des bases solides de l’unité déjà acquise des Eglises orthodoxes et de l’Eglise catholique et de l’unité encore recherchée avec les communautés protestantes. En même temps, les divergences qui existent semblent être liées aux conséquences de ce mystère et à sa compréhension109.

2) Toute la mission du Christ envers l’homme est conditionnée par