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Chapitre 4 : Test des traits biologiques sur

un cas concret de pollution : la Chalaronne

1 Présentation de l'étude

Les traits biologiques ont fait l'objet de plusieurs tests concernant le concept "Habitat Templet" (Statzner et al., 1994a ; Statzner et al., 1997 ; Townsend et al., 1997 ; repris dans Charvet et al., 1998a), qui ont permis de prouver que l'hétérogénéité spatio-temporelle de l'habitat sert de cadre à l'expression des traits d'histoire de vie des organismes. Cependant aucune étude n'avait appliqué les traits biologiques à un cas de pollution. L'étude Chalaronne a donc été réalisée afin de vérifier si l'utilisation des traits biologiques permettait de mettre en évidence une pollution caractérisée sur un cours d'eau.

L'étude Chalaronne est une comparaison entre deux sites amont et aval d'une station d'épuration qui subissent une pollution respectivement légère et modérée. Le site amont reçoit les déversoirs d'orage de la ville de Châtillon-sur-Chalaronne, alors que le site aval reçoit directement les effluents de la station d'épuration (Kosmala, 1998). Chaque site a été prospecté 13 fois de mars 1995 à février 1996. Pour chaque site et à chaque date ont été réalisés des analyses physico-chimiques des principaux paramètres et des prélèvements de macroinvertébrés benthiques. Ceci nous a permis de tester la pertinence des analyses physico-chimiques classiques dans la discrimination de situations relativement proches, et de comparer cette efficacité avec les indices les plus courants de la bioindication, avec l'analyse multivariée basée sur les abondances taxonomiques et enfin avec l'analyse en codage flou basée sur le couplage des abondances taxonomiques et des traits biologiques des organismes.

Cette étude est décrite dans Charvet et al. (1998b). De plus, elle a été présentée à la 5ème Conférence Internationale des Limnologues d'Expression Française à Namur en juillet 1997, et bénéficie donc d'une publication en Français dans les Annales de Limnologie résumant les principales idées (Charvet et al., 1998c).

2 Résultats essentiels

Les analyses physico-chimiques classiques ont été incapables de séparer clairement les réplicats des sites amont et aval de la station d'épuration. Même si le choix des paramètres que nous avons effectué est toujours critiquable, il est clair que ce type d'analyse n'est parfois pas adapté à certains cas de pollution, comme par exemple celui-ci.

Parmi les indices de diversité, biotiques ou saprobiques utilisés, seuls trois ont significativement séparé les sites amont et aval. Il s'agit des indices de Margalef, de Shannon et de l'IBGN. Cependant ces trois indices ont présenté une sensibilité très forte à l'effort d'échantillonnage, ce qui diminue leur intérêt d'application.

L'analyse multivariée basée sur les abondances taxonomiques seules a clairement séparé les sites amont et aval, sans être affectée par l'effort d'échantillonnage. Cependant, une analyse

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de variance a montré que cette approche purement taxonomique était significativement moins discriminante que l'approche fonctionnelle basée sur le couplage des abondances taxonomiques avec les traits biologiques.

Cette approche fonctionnelle a en effet clairement séparé les réplicats amont des réplicats aval, opposant deux faunes avec des caractéristiques biologiques significativement différentes (Tableau 3).

Traits biologiques

Amont Aval

Taille

10 - 20 mm 20 - 40 mm

Nombre de descendants / cycle reproducteur 100 - 1000

> 3000

≤ 100 Nombre de cycles reproducteurs / an

> 2 1

Nombre de cycles reproducteurs / individu

≤ 1 2

Durée de vie adulte

1 - 30 j > 365 j

Potentialités de dissémination (eau)

10 - 100 m > 100 m

Attachement au sol / substrat

temporaire rampeurs

Période reproductive

Juin Septembre Mars Avril

Habitudes alimentaires (larves)

récolteurs filtreurs perceurs

Nourriture détritus ≤ 1 mm plantes : macrophytes animaux ≤ 10 mm Respiration aquatique (plastron) aquatique (branchies) aquatique (tégument)

Tableau 3 : Modalités des traits biologiques significativement différentes en amont et en aval

de la station d'épuration de Châtillon-sur-Chalaronne (test de la somme des rangs : p < 0.05).

Dans cette étude, les échantillons amont sont constitués de macroinvertébrés benthiques possédant une petite taille, un grand nombre de descendants par cycle reproducteur et un grand nombre de cycles reproducteurs par an, mais seulement un petit nombre de cycles reproducteurs par individu. Leur durée de vie est courte, ils sont récolteurs ou filtreurs, ils se nourrissent de petits détritus ou de macrophytes, et respirent à l'aide de plastrons ou de branchies.

A l'inverse, les échantillons aval sont composés d'organismes ayant une grande taille, un petit nombre de descendants par cycle reproducteur et un petit nombre de cycles reproducteurs par an, mais un grand nombre de cycles reproducteurs par individu. Leur durée de vie est longue, ce sont des perceurs de petits animaux, et respirent grâce à leur tégument.

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35 Certains auteurs ont établit des modèles prédictifs permettant de relier le cadre d'habitat rivulaire aux stratégies d'histoire de vie des communautés benthiques (Pianka, 1970 ; Grime, 1977 ; Southwood, 1977 ; Greenslade, 1983 ; Sibly & Calow, 1985 ; Hildrew & Townsend, 1987). En se basant sur leurs travaux, nous avons pu séparer nos deux sites à l'aide d'un schéma conceptuel utilisant comme paramètres la variabilité temporelle et l'adversité. La variabilité temporelle est définie comme une fréquence de perturbation (Townsend & Hildrew, 1994), alors que l'adversité peut être comparée à une rigueur de l'environnement, c'est à dire à une défavorabilité permanente (Southwood, 1977 & 1988).

Ainsi, les échantillons amont ont présenté des modalités des traits biologiques caractéristiques d'un environnement à forte variabilité temporelle mais faible adversité, donc favorisant des organismes à stratégie de résilience (sélection r). Au contraire, les échantillons aval ont présenté des modalités des traits biologiques caractéristiques d'un environnement à faible variabilité temporelle mais forte adversité, donc favorisant des organismes à stratégie de résistance (sélection A).

3 Conclusions

L'étude portant sur l'application des traits biologiques des organismes à un cas de pollution par station d'épuration sur la rivière Chalaronne a permis de démontrer plusieurs points :

- Le codage flou des connaissances concernant la biologie des macroinvertébrés benthiques est capable de mettre en évidence une pollution par station d'épuration. Ceci confère une grande sensibilité à cet outil car les sites amont et aval ne présentaient pas une différence de pollution très forte (respectivement légère et modérée).

- L'approche fonctionnelle s'est révélée très robuste face à la variabilité saisonnière (13 réplicats sur 1 an), et face à l'effort d'échantillonnage (prélèvements lotiques, lentiques, ou mélangés). Ce résultat signifie qu'une différence entre des sites amont et aval aura une forte probabilité d'être mise en évidence par cette approche, quel que soit le type de prélèvement, et quelle que soit la saison, ce qui confère une grande applicabilité à l'approche fonctionnelle. - L'utilisation des traits biologiques a permis d'obtenir la meilleure discrimination entre les sites amont et aval. En effet, ni l'analyse physico-chimique, ni les indices de diversité, biotiques ou saprobiques, n'ont séparé très clairement les deux sites. Quant à l'analyse taxonomique, elle a été significativement moins discriminante que l'analyse fonctionnelle. Ainsi, le couplage d'une information numérique (les abondances) avec une information biologique (les traits) donne une image plus synthétique de la situation écologique, permet une extraction de l'information plus facile, et effectue donc une meilleure discrimination des échantillons.

Cependant, cette étude reste ponctuelle dans le sens où elle n'a concerné qu'un cours d'eau unique et une pollution particulière. Même si les tests statistiques ont prouvé certaines différences, ils ont toujours comparé une situation à l'amont par rapport à une situation à l'aval d'une station d'épuration. Or la structure fonctionnelle de ces deux sites n'a jamais été rapportée à un référentiel indépendant.

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Ainsi, il nous est paru indispensable de tester l'utilisation de l'outil "traits biologiques" sur des stations de référence, c'est à dire indemnes de toute pollution caractérisée et préservées le plus possible de l'influence anthropique. Cette étude devait nécessairement précéder toute autre utilisation des traits biologiques sur des cas de pollution.

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