• Aucun résultat trouvé

3. Mécanisme d’action antiparasitaire des dérivés nitroaromatiques

3.5. Les composés nitroaromatiques, des molécules mutagènes ?

3.5.2. Le test d’Ames

Le test d’Ames est un test de mutagénicité développé par le Dr Bruce Ames dans les années 1970.298

C’est un test rapide à réaliser qui va permettre d’évaluer le pouvoir de substances chimiques à provoquer des dommages génétiques via l’induction de mutations. Ce test utilise des souches bactériennes de

Salmonella typhimurium génétiquement modifiées pour ne pas synthétiser de l’histidine (His -), un acide

aminé essentiel à leur croissance et à la formation de colonies. Ces bactéries auxotrophes (His -) redeviennent prototrophes (His +) à une fréquence très faible, c’est-à-dire que peu d’entre elles vont subir des mutations spontanées leur permettant de synthétiser à nouveau de l’histidine et donc de survivre dans un milieu ne contenant pas cet acide aminé. Le principe de ce test est donc une mise en contact de ces bactéries avec une substance chimique avant d’observer si cette substance à induit des mutations leur permettant de se développer dans un milieu pauvre en histidine, on parle de révertants, en comparaison avec des bactéries qui n’ont pas été mises en contact avec ces mêmes substances. Ce test est désormais la référence mondiale pour déterminer le potentiel mutagène de toute nouvelle molécule ou tout nouveau candidat médicament. Salmonella typhimurium n’étant pas capable de métaboliser les composés testés, le Dr Bruce Ames a ainsi proposé d’incorporer dans le test un mélange appelé S9-mix qui contient des microsomes hépatiques incluant des cytochromes P450 et autres enzymes de métabolisation. Cette solution va permettre de métaboliser les molécules testées et de déterminer si le potentiel mutagène provient de la substance initiale, de ses métabolites ou des deux.

Figure 54 : Exemple de test d’Ames sur une souche TA100 de Salmonella tryphimurium pour l’azoture de sodium. Dose

1 : 2,5 µg/boîte et dose 2 : 5 µg/boîte, le contrôle contient seulement du DMSO.299

298 B. N. Ames, W. E. Durston et E. Yamasaki, Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 1973, 70, 2281-2285. 299 K. Mortelmans et E. Zeiger, Mut. Res., 2000, 455, 29-60.

2 2 2 2 2 2 2

81

Un protocole classique du test d’Ames consiste en l’ajout de bactéries auxotrophes à l’histidine (environ 108) à une solution de la molécule testée seule ou avec du S9-Mix. A ce mélange sont ajoutés

de l’agar-agar contenant quelques traces d’histidine pour permettre aux bactéries de survivre. Ce mélange final est ajouté à des boîtes de Pétri contenant de l’agar solidifié puis les boîtes sont mises à l’étuve à 37°C pendant 48 h. À la suite de ce temps d’incubation, le nombre de colonies qui ont mutés et se sont développées dans un milieu pauvre en histidine sont comptées. Sur la figure 54, la comparaison de la dose 1 avec le contrôle négatif permet de conclure que l’azoture de sodium induit des mutations. Un composé est considéré comme mutagène lorsqu’il augmente d’un facteur 2 le nombre de bactéries ayant subi des mutations en comparaison avec le contrôle négatif. De plus, en comparant la dose 2 et la dose 1, l’induction de ces mutations semble dose-dépendante.

Il existe de très nombreuses souches de Salmonella typhimurium auxotrophes à l’histidine sur lesquelles ce test peut être réalisé, elles possèdent des mutations supplémentaires qui augmentent leur sensibilité aux substances mutagènes. Les principales mutations sont :

- La mutation rfa va modifier la structure de la membrane externe via un défaut en lipolysaccharides de la bactérie facilitant l’entrée de molécules aux masses moléculaires élevés.300

- La mutation uvrB va bloquer le processus de réparation des lésions sur l’ADN par excision et va donc augmenter la sensibilité de ces souches.287

- L’introduction d’un plasmide pKM101 va accroître la sensibilité aux substances mutagènes en augmentant le processus de réparation de l’ADN sujets aux erreurs, favorisant la mutagénèse induite.301,302

Les souches de S. tiphymurium les plus utilisées sont TA97, TA98, TA100 et TA102.303 Les

souches TA97, TA98 et TA100 possèdent une mutation rfa et uvrB et ne diffèrent que par la position de la mutation sur le gène responsable de la biosynthèse d’histidine indiquant ainsi où a lieu la mutation après incubation avec une substance mutagène.295 TA97 et TA98 permettront de détecter des mutations

provoquant des décalages du cadre de lecture de l’ARN à cause de l’insertion ou la suppression de base tandis que TA100 permettra de détecter des mutations provoquées par des substitutions de base.304 La

souche TA102 contient un gène uvrB fonctionnel, elle est capable de détecter les dégâts oxydants provoqués par différents types de molécules comme des peroxydes ou des aldéhydes.305

300 B. N. Ames, F. D. Lee et W. E. Durston, Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 1973, 70, 782-786. 287

J. A. Raleigh et C. J. Koch, Biochem. Pharmacol., 1990, 40, 2457-2464.

301 B. N. Ames, J. McCann et E. Yamasaki, Mutat. Res., 1975, 31, 347-364. 302 D. E. Levin, E. Yamasaki et B. N. Ames, Mutat. Res., 1982, 94, 315-330.

303 I. Marques de Oliveira, D. Bonatto et J. A. Pegas Henriques, Current Research, Technology and Education

Topics in Applied Microbiology and Microbial Biotechnology, 2010, 2, 1008-1019.

304 S. Tejs, Environ. Biotechnol., 2008, 4, 7-14.

82

Les avantages de ce test sont nombreux. Il est assez rapide, simple à réaliser, peu couteux, sensible, et il apporte une réponse quantitative. Tous ces avantages en font le test de mutagénicité le plus courant et le plus utilisé à travers le monde. Cependant, ce test est réalisé sur des souches bactériennes et donc n’est pas totalement représentatif de ce qui se passe chez la cellule eucaryote. De plus, Salmonella

typhimurium est une bactérie et possède des nitroréductases.306,307 Le potentiel mutagène des composés

nitroaromatiques déterminé par le test d’Ames pourrait donc être remis en question car ces nitroréductases vont bioactiver ces molécules en des dérivés toxiques qui induisent des mutations chez les bactéries. Des équipes ont ainsi démontré que des tests d’Ames réalisés sur des souches dont le gène codant pour la nitroréductase a été éteint, supprime le potentiel mutagène des composés possédant un groupement NO2.308,309 D’autres tests sont donc nécessaires pour évaluer le potentiel mutagène et

génotoxique des molécules nitroaromatiques.