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Chapitre II : Méthodologie

1. Méthodologie

1.4. Le terrain

Le travail de terrain a été effectué à Bogota en mai, juin et juillet 2008. Les premières entrevues ont été conduites avec quatre ex-combattants qui avaient participé au programme aidant à la réintégration d’enfants soldats de la FEP. Nous avons eu une réunion avec le directeur de la FEP, qui a planifié une journée pour faire les entrevues. Les quatre entrevues ont eu lieu la même journée dans une salle de la maison d’accueil. Ensuite, nous nous sommes réunis avec des fonctionnaires de l’ACR qui nous ont donné la liste avec les noms des 15 ex-combattants participant au PRVC qui avaient été sélectionnés pour participer à notre étude. Ils nous ont donné les numéros de téléphone des intervenants qui suivaient les processus de réintégration des ex-combattants choisis. Nous leur avons téléphonés et ils nous ont aidé à entrer en contact avec les interviewés. Pour rencontrer les interviewés, nous sommes allés dans plusieurs centres communautaires, dans plusieurs localités de Bogota, où sont situés les ateliers psychosociaux du PRVC. Les participants au programme de réintégration assistent à deux ateliers chaque mois. Ce sont des rencontres organisées par les intervenants où ils donnent des conseils et ils discutent avec les participants sur plusieurs sujets comme les liens familiaux et la résolution pacifique des conflits. Les sujets abordés touchent aux problématiques des ex-combattants identifiées par les intervenants.

Au début de l’atelier, l’intervenant nous demandait de nous présenter et de décrire le projet de recherche et les objectifs des entretiens. Les entrevues ont été conduites pendant les heures des ateliers, dans les salles des centres communautaires ou dans des cafétérias proches des centres si cela était possible. Lorsqu’il n’était pas possible de rencontrer les interviewés aux ateliers, nous les avons contacté par téléphone et nous avons organisé des

rencontres chez eux ou dans des cafés.

Une fois face à face avec nos interviewés, nous leur avons expliqué que nous élaborions un mémoire de maîtrise en criminologie à l’Université de Montréal qui visait à connaître les interprétations des ex-combattants sur leur expérience au sein des groupes paramilitaires. Ensuite, nous leur avons demandé de lire le formulaire de consentement et s’ils avaient des questions. La consigne de départ était la suivante : « J’aimerais que tu me racontes les raisons qui t’ont conduit à entrer dans le groupe et ce qui s’est passé quand tu es entré». En leur demandant de l'information sur les situations qui les avaient conduits à s’intégrer au bloc paramilitaire, nous voulions connaître la façon dont ils percevaient les groupes avant leur entrée et de quelle manière cette « opportunité » s’est présentée eux. Ensuite, à partir du récit sur les premiers jours passés dans le groupe, nous avons cherché à cerner quelles étaient les méthodes d’entraînement, puis ce à quoi ils pensaient lorsqu’ils vivaient cette expérience. Nous avons cherché à connaître leurs fonctions et leurs parcours et ce qui se passait dans leur vie quotidienne. À partir de là, les représentations sur les crimes commis par leur groupe et par la guérilla ont été saisies. Nous leur avons demandé également quels étaient les objectifs des groupes et cela les a conduit à se positionner par rapport aux actions des paramilitaires. Ensuite, nous leur avons demandé quelles sont les raisons qui les ont conduits à se démobiliser et les avons questionnés sur leur vie après la démobilisation. À partir de là, nous avons cherché à connaître leurs projets et leurs perceptions sur le programme de réintégration et sur le processus de justice transitionnelle. L’accent a été mis sur les perceptions par rapport à la situation des victimes et leur réparation. Les entretiens sont d'une durée de 45 minutes à une heure et demie. La plupart sont d'une durée d’une heure. Après avoir fini les entrevues, nous avons pris de 10 à 15 minutes pour remplir la fiche signalétique.

Certains de nos interviewés ont montré une certaine réticence à parler de leurs expériences, en exprimant qu’il s’agissait d’une période du passé et qu’ils avaient depuis changé leur mode de vie et leur manière de penser. Un des facteurs qui limitait le lien de

confiance entre les interviewés et l’étudiante venait du fait qu’ils l’associaient aux intervenants du programme psychosocial, ce qui pourrait avoir une influence sur le fait qu’ils parlaient peu des situations de violence auxquelles ils ont pu participer. Un autre facteur qui a pu être influent est qu’ils ont été amnistiés sans être investigués par le système de justice, ce qui pourrait faire en sorte qu’ils aient peur de faire référence aux pratiques de violence du groupe. Ces interviewés ont donné peu de détails sur leurs expériences. Ils se limitaient à répondre le stricte nécessaire en formulant des phrases courtes. Certains ont montré leur malaise en nous demandant si l’entrevue allait bientôt finir.

Cependant, la plupart de nos interviewés se sont montrés très ouverts à nous raconter leurs expériences, manifestant une attitude de confiance et d’amabilité envers l’intervieweuse. Ils ont démontré de l’intérêt à ce que l’on connaisse leurs expériences et leurs points de vue. Ils ont abordé plusieurs sujets par eux-mêmes, ce qui a fait qu’il soit moins nécessaire de conduire les entrevues. Certains ont exprimé que de parler des expériences vécues au sein des groupes leur faisait du bien car ils n’avaient pas d’accès à des espaces pour parler de cela. Selon certains d’entre eux, il existe un tabou à ce sujet dans leurs familles, dans la société en général et même dans le programme de réintégration. Ils ont dit que les intervenants leur conseillaient de ne pas raconter leurs expériences du conflit armé, ce qui serait un moyen pour qu’ils abandonnent leur identité de combattants. Ils les invitaient à se concentrer sur leurs processus de réintégration. En ce sens, les entrevues ont été des moyens de pouvoir s’exprimer pour certains de nos interviewés. Ils percevaient que c’était surtout une opportunité pour souligner les aspects critiques du programme de réintégration et du processus de transition des AUC.

Un autre aspect à souligner est que, comme les rencontres avaient lieu lors des ateliers psychosociaux, parfois nous avons dû faire plusieurs entrevues la même journée, donc il existait une limite de temps. De plus, certaines entrevues ont pris place dans les mêmes salles où les ateliers se déroulaient; il y avait donc beaucoup de bruit et les interviewés

parlaient avec un ton de voix doux pour ne pas être entendus par leurs camarades. Les entretiens dans des salles à part, dans des cafés ou bien chez eux ont donné des espaces où les interviewés se sentaient plus à l’aise pour s’exprimer et ces espaces ont permis d’établir des liens de plus grande confiance.