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Chapitre 3. Terminologie et informatique : rétrospective des rapports entre

3.4. Terminotique et industries de la langue (années 1980) 61

Les années 1980 sont cruciales pour l’intensification des rapports entre terminologie et informatique. Deux concepts-clé voient le jour, ceux de terminotique et d’industries de la langue.

AUGER parle de la terminotique (ou terminologie automatique) comme d’une « nouvelle composante lourde de la terminographie moderne » (1989 : 450). Plus récemment, L’HOMME la définit comme « l’ensemble des activités liées à la description des termes dans lesquelles intervient une application informatique » (2004 : 17). Le concept se diffuse dans la deuxième moitié de la décennie 1980 pour indiquer l’intégration des banques de terminologie dans des outils de bureautique, grâce à des supports – cédéroms, disquettes – qui en permettent la consultation depuis des micro-ordinateurs. En quelque sorte, c’est un processus de démocratisation des banques de terminologies, qui s’est développé grâce à la création de réseaux de collaboration entre divers organismes de normalisation, surtout dans le contexte de la francophonie (DROUIN 2002 : 45-46).

Différentes institutions de la francophonie sont à la base du développement des industries de la langue. L’expression apparaît au singulier et entre guillemets dans un article que François DÉGREMONT publie dans la revue Brises en 1984. L’auteur, qui à l’époque était rattaché à la Mission interministérielle de l’information scientifique et technique (MIDIST), y présente un large éventail d’activités et d’applications liées à ce domaine :

« [L’]« industrie de la langue » […] regroupe les activités d’enseignement et de formation à l’usage des langues général ou spécialisé, les activités connexes de fabrication et de commercialisation de matériel éducatif avec en particulier les outils audio-visuels et d’enseignement assisté par ordinateur qui connaissent en ce moment un fort développement. On y trouve également le secteur de l’interprétariat et de la traduction écrite […]. Enfin, la fabrication et l’édition des dictionnaires et lexiques constituent le dernier volet de cette industrie. » (1984 : 5)61

On comprend tout de suite l’importance que la terminologie revêt dans un organisme comme le MIDIST, qui ne peut que

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http://iate.europa.eu

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« soutenir le développement d’activités de production terminologique structurée, industrialiser des logiciels de traduction assistée par ordinateur, [soutenir] le développement d’outils de manipulation de la terminologie. » (1984 : 6)

En même temps, le Ministère français de la Recherche et de la Technologie charge le professeur Bernard Cassen de créer la mission Industries de la langue. En septembre 1985, CASSEN illustre dans une note du Ministère les enjeux liés aux industries de la langue, nées de la convergence de plusieurs facteurs62 et projetées vers de nombreux marchés potentiels, tels que : 1) la presse, l’édition et la bureautique intelligente, 2) la traduction assistée, 3) le dialogue homme-machine, 4) la communication et l’information (CORBEIL 1990 : 9).

Le sujet des industries de la langue est très débattu l’année suivante au Sommet de la francophonie de Paris, où la nécessité d’industrialiser la langue française s’impose comme la seule voie d’issue pour concurrencer l’anglais. La définition donnée du concept à cette occasion est encore floue. La recherche d’une définition plus claire du concept se perpétue jusqu’au Sommet de Québec (1987), en vue duquel le Comité québécois des industries de la langue (CQIL) affirme que :

« Les industries de la langue sont celles qui conçoivent, fabriquent et commercialisent des appareils et logiciels qui manipulent, interprètent, génèrent le langage humain, aussi bien sous sa forme écrite que sous sa forme parlée, en se fondant sur les travaux et les recherches des sciences du traitement de l’information et du langage. » (Rapport CQIL, 1987 : 73)63

Au Sommet de 1987, le Réseau des industries de la langue présente un rapport de synthèse articulé en deux volets : d’un côté sont résumées les activités déjà entreprises, d’un autre, sont proposées des pistes de recherche pour les années à venir. Ces propositions se canalisent dans trois filières : recherche et développement industriel, néologie et terminologie, formation-perfectionnement. À l’issue du Sommet de Québec, le réseau de néologie qui avait vu le jour en 1974 est étendu à toute la francophonie et intégré dans le programme des Industries de la langue, changeant sa dénomination en Réseau International de Néologie et de Terminologie (RINT).

L’intérêt pour les industries de la langue n’est pas une prérogative des institutions de la francophonie. Leur importance est perçue également par certains organismes européens et internationaux, qui organisent entre les deux Sommets deux évènements significatifs centrés sur ce sujet : le colloque « Les industries de la langue : enjeux pour l’Europe » (Tours, 1986) par le Conseil de l’Europe et les « Journées européennes de la traduction professionnelle » (1987), nées de la collaboration entre le Conseil de l’Europe et la Commission des communautés européennes, l’UNESCO et l’Union latine.

Trois grandes catégories de produits issus des industries de la langue sont identifiées par AUGER : 1) les outils de développement de la langue, 2) les outils

62 « [...] La mise au clair de la distinction entre l’usage et le traitement de la langue, l’automatisation

progressive d’artisanats traditionnels tels que la traduction, la rédaction technique, la lexicographie et la terminologie, l’irruption de composants linguistiques dans différents secteurs de l’industrie, ce qui entraîne des activités industrielles nouvelles et fortement innovatrices, appuyées sur un secteur de recherche et développement extrêmement compétitif et coûteux. » (CORBEIL 1990 : 9).

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d’utilisation de la connaissance linguistique, 3) les outils de réalisation de produits linguistiques (1989 : 450-451). La première catégorie regroupe les instruments de recherche linguistique et terminologique, comme les réseaux de communication ou les banques de données linguistiques et terminologiques. Dans la deuxième catégorie sont classés les outils qui concrétisent les résultats de la recherche linguistique, comme les systèmes de traduction automatique, mais aussi les systèmes d’interprétation du langage naturel et les systèmes de contrôle vocal pour les machines, entre autres. On situe dans la troisième catégorie les produits de l’informatique à orientation textuelle : les logiciels de traitement de texte, les correcteurs orthographiques, les logiciels d’indexation ou génération de textes et les dictionnaires sur CD-ROM. En amont de la réalisation de ces outils, il faut : des recherches en informatique linguistique portant sur tous les niveaux de la langue (de la phonologie à la syntaxe), le développement d’interfaces appropriées et la formation de personnel qualifié.

La terminotique revendique sa place dans ce panorama, en tant que champ de recherche de l’informatique linguistique. Les raisons de son développement sont à attribuer à la portabilité de l’informatique (micro-ordinateurs) et aux progrès de l’informatique à orientation textuelle. C’est dans ces années que le « poste du terminologue » voit le jour, ceci grâce aussi aux accords entre certaines entreprises et les universités, comme l’accord stipulé entre IBM et l’Université de Laval (Québec) en 1985.

Pour AUGER (1989) l’évolution de la terminologie est inévitablement liée à l’informatique, comme pour d’autres disciplines reposant sur le traitement de l’information écrite. Illustrant les différentes phases du travail terminographique, le linguiste- terminologue explique comment l’informatique pourrait en alléger et accélérer certaines tâches. Toutefois, encore à la fin de la décennie 1980, un empêchement majeur à l’automatisation (ou même la semi-automatisation) de la terminographie est constitué par le manque de textes spécialisés en format électronique. Les terminographes créent des corpus électroniques en les saisissant à la main sur les ordinateurs ou bien en recourant à des systèmes de lecture optique pour la saisie automatique de caractères, qui ne résolvent le problème qu’en partie. Malgré ces problèmes, les progrès rapides des industries de la langue font entrevoir un avenir optimiste pour la terminographie :

« Dans ce scénario futuriste, le terminologue a accès à de gigantesques bases de données (ou de connaissances) textuelles, il extrait par télé-chargement les éléments de son corpus de ces bases de données, le fait dépouiller automatiquement sans avoir eu à saisir le texte manuellement au préalable, établit automatiquement sa nomenclature de travail, fait découper les termes-entrées par la machine, en extrait des descripteurs sémantiques qui serviront ultérieurement à rédiger des définitions en mode assisté, classe, trie, fusionne les bases de données et les édite avec un minimum d’intervention de sa part. Son poste de travail multi-tâches lui permet tout en poursuivant son travail d’accéder instantanément à des banques de données terminologiques ou documentaires, d’échanger avec ces systèmes et de télécharger de l’information dans son propre système de terminotique. […] De plus, les problèmes de mise à jour des dictionnaires terminologiques sont aplanis dans un tel scénario. Cet horizon idyllique est peut-être plus près de nous que nous ne l’imaginons, attendons ce que nous réservent les prochaines années en ce domaine. » (AUGER 1989 : 454)

Il ne faudra pas attendre longtemps pour que ce « scénario futuriste » devienne la réalité : le développement d’Internet, parmi d’autres facteurs, donnera une propulsion significative dans ce sens.

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3.5. De la terminotique à la terminologie computationnelle (des

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