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- Le temps de la santé

Aux efforts les salariés sont donc appelés. Le droit de la durée du temps de travail est outil de cette mobilisation des forces du travail, au profit de l'entreprise (et des emplois dont elle est le support). Mais s'est-on soucié de la santé de ceux ainsi appelés à prendre les armes pour redresser notre économie ? C'est qu'il est entre temps de travail et santé des travailleurs des liens très étroits (A). Et si, dans l'entreprise, la capacité individuelle de résistance du salarié aux mesures qui lui seront imposées semble faible, sinon inexistante, le comité social et économique (CSE) pourrait, pour sa part, avoir un grand rôle à jouer (B).

A - La santé physique ou mentale des salariés

Comme il a été vu supra, dans certains secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale, les salariés pourront être contraints de travailler jusqu'à 60 heures hebdomadaires avec un repos quotidien de 9 heures. Outre le fait que cette flexibilisation du travail nous renvoie plus d'un siècle en arrière en matière de temps de travail, se pose légitimement la question de la santé (physique et mentale) des travailleurs.

Rappelons tout de même que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité envers ses salariés qui, en plus du stress de devoir travailler dans des conditions ne garantissant pas toujours leur sécurité face au virus, vont parfois devoir subir de fortes surcharges de travail. Il n'en faudra sûrement pas plus pour pousser des salariés jusqu'au burn-out. Une étude chinoise publiée le 23 mars dans le Journal of the American Medical Association (15) a été menée entre le 29 janvier et le 3 février sur 1 257 soignants. Elle fait ressortir que 71,5 % de ces soignants présentent des symptômes de détresse post-traumatique. L'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) souligne également que de fortes exigences de travail (quantité de travail, intensité, longues journées de travail, horaires atypiques) sont autant de facteurs de risques psychosociaux (16). Discours dont nombre d'organisations syndicales se font aujourd'hui le relais. Sophie Binet, membre de la direction confédérale de la Confédération générale du travail (CGT), précise dans une interview du 25 mars 2020 (17) qu'augmenter le temps de travail revient à mettre en danger la population, en particulier pour les salariés qui effectuent plus de 48 heures hebdomadaires (18).

L'ordonnance précise toutefois que les décrets fixant les secteurs d'activité vont devoir préciser de quelle manière va être protégée la santé des travailleurs. Reste qu'il est très difficile de concevoir l'articulation entre un volume horaire de travail très soutenu et des entailles au repos hebdomadaire et dominical dans un climat anxiogène avec le respect de la santé physique et mentale des salariés, induit par ces mêmes mesures. L'équilibre s'annonce difficile. Mais le pire n'est, paraît-il, jamais certain.

Un regard critique peut être également porté sur les solutions retenues par le gouvernement en matière de déplafonnement de la durée du travail et concernant le droit au repos. Substituer un risque professionnel (le Covid-19) par d'autres (risques psycho-sociaux ou épuisement professionnel des salariés) ne semble pas souhaitable.

Entre deux maux, le choix ne s'imposait sans doute pas. Ces dispositions auraient sans doute pu être supplétives à un assouplissement des règles légales et conventionnelles concernant les recours aux contrats à durée déterminée (CDD). Ainsi, l'on peut penser à certaines causes de requalification, de délai de carence, de durée des contrats, etc. Un double objectif aurait ainsi pu être poursuivi : d'une part, cela aurait eu une influence sur le chômage et, d'autre part, cela aurait permis de préserver la santé des salariés actuellement surchargés. Évidemment, cette solution n'est pas exempte de critiques et notamment sur sa potentielle compatibilité avec, d'une part, le confinement et, d'autre part, la limitation pour chaque salarié du nombre de contacts avec des personnes différentes. Faire entrer plus de salariés dans l'entreprise engendre un risque extérieur de contamination du coronavirus. Cependant, sur ce dernier point, la position du gouvernement n'est pas uniforme. D'un côté, il est préconisé un confinement maximum afin d'endiguer la propagation du virus et, de l'autre, la ministre du Travail recommande la réouverture de certaines branches d'activité et notamment du BTP. Une étude publiée le 20 juin 2019 dans le journal Stroke (19), spécialisé en cardiologie, a établi un lien entre la survenance de maladies

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vasculaires ou d'accidents vasculaires cérébraux (AVC) et le fait d'être exposé à un temps de travail prolongé. Il conviendra donc d'associer pleinement, étroitement, le médecin du travail aux décisions de l'employeur lorsque celui-ci entendra utiliser les remèdes prescrits par l'ordonnance.

Le professeur Fabre l'énonçait, le mot d'ordre du gouvernement est clair : « Il faut sauver les contrats de travail !

» (20). Il faut le faire sans doute ; mais pas à n'importe quel prix.

B - Le rôle du comité social et économique

De la fusion des trois institutions représentatives du personnel (délégués du personnel, comité d'entreprise et comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), impulsée par l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, est née une instance unique, le comité social et économique (CSE), censée faciliter le dialogue social ainsi que différentes consultations (21). Plus simple, plus fluide, il était logique de penser qu'il allait être associé aux décisions prises au cours de cette période de crise. Cela aurait permis d'éprouver son efficacité. En lieu et place, la loi ne prévoit ni son intervention ni son information lorsque l'entreprise fait usage des articles 1er à 5 et, concernant l'article 6, il est précisé que « l'employeur qui use d'au moins une de ces dérogations en informe sans délai et par tout moyen le comité social et économique ». La terminologie utilisée par l'ordonnance est sans équivoque et démontre que l'information du CSE intervient a posteriori de la décision, voire de la mise en oeuvre de ces mesures. L'avis du comité est rendu dans le délai d'un mois à compter de cette information et possiblement après que l'employeur a fait usage de l'une des dérogations. Cette disposition de l'ordonnance est particulièrement regrettable et démontre sans doute la faible importance que revêt le CSE dans l'esprit du gouvernement. Ces dispositions s'inscrivent dans une tendance selon laquelle l'employeur va être autorisé à agir seul, moyennant quelques obligations préalables. Agir seul, en pareille circonstance, alors qu'il dispose d'un partenaire rompu aux questions relative à la santé des salariés, voilà qui est pour le moins singulier. De plus, la version initiale de l'ordonnance du 25 mars écoulé éludait complétement la question de la consultation dans ces hypothèses. Elle se bornait simplement à enjoindre à l'employeur qui usait de ces facultés d'en informer sans délai le CSE.

Modifiée le 3 avril suivant, l'ordonnance prévoit désormais une consultation a posteriori dans un délai d'un mois qui suit l'information du CSE. Cette consultation paraît ne revêtir aucune réelle utilité dans la mesure où l'employeur aura déjà possiblement fait usage de ces mesures. Pourtant, le CSE compte parmi ses missions celles de veiller au respect de la santé et de la sécurité des salariés de l'entreprise ainsi que de contribuer à la promotion des conditions de travail (C. trav., art. L. 2312-9). Il aurait sans doute été intéressé par ces mesures qui vont impacter la santé et la sécurité des salariés. Donner un avis a posteriori sur l'exposition des salariés à un ou plusieurs risques professionnels laisse songeur quant aux bénéfices qui peuvent en être tirés. Jamais avant la fusion de ces instances représentatives du personnel, il n'aurait été envisagé d'exclure, en amont, le CHSCT des décisions ou de la mise en place de pareille dérogation aux temps de travail et de repos. Là encore, se trouve une question de temporalité.

L'employeur doit faire preuve de célérité et ne doit pas être ralenti, fût-ce par des questions (futiles) relatives à la sécurité des salariés. Pourtant une ordonnance publiée le 2 avril (22) prévoit que la consultation des CSE peut désormais intervenir par audio ou visio-conférence, voire par messagerie instantanée. Il est regrettable de ne pas avoir pris acte de cette solution pour imposer, dans la mesure du possible, que la consultation ou, à tout le moins, l'information du CSE intervienne en amont des décisions de l'employeur. Au détour de ces dispositions, l'on remarque la faible importance que revêt le salarié dans ce système de relance de l'activité de l'entreprise. Le CSE est considéré comme une instance inutile, qui ralentit les décisions de l'employeur, même lorsque cela va fortement impacter la santé des travailleurs. Cela est d'autant plus dommage qu'un mécanisme d'urgence permettant à l'employeur de dépasser, sous sa propre responsabilité, la durée quotidienne maximale du travail existe dans le code du travail mais l'oblige à régulariser la situation au plus vite (23). Fort heureusement le CSE n'est pas démuni.

Au titre de ses attributions générales il peut notamment déclencher un droit d'alerte en cas d'atteinte aux droits des personnes et en cas de danger grave et imminent. Dans les entreprises de plus de 50 salariés, il peut faire appel à un expert habilité en cas de risque grave (24). Enfin, cela illustre de manière très claire, selon nous, que le dialogue social est, lui aussi, suspendu au cours de cet épisode de crise sanitaire.

Antonio Gramsci écrivait en 1983 : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Il est encore temps de leur barrer la route.

(1) Propos recueillis par M. Marc Landré le 10 avr. 2020 pour le journal Le Figaro.

(2) « Travailler plus » : le gouvernement prépare les Français à un « après » difficile, Libération, 12 avr. 2020.

(3) Coronavirus : des salariés seront-ils obligés de travailler 60 heures par semaine ?, Le Parisien, 25 mars 2020, après les propos tenus par Mme Murielle Pénicaud le même jour.

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(4) La secrétaire d'État à l'Économie, Agnès Pannier-Runacher, a également prévenu qu'« il faudra probablement travailler plus que nous ne l'avons fait avant » pour « rattraper » la perte d'activité induite par le confinement en cours depuis le 17 mars, 20 minutes économie, 11 avr. 2020.

(5) M. Olivier Véran, ministre de la Santé, entretien au Journal du dimanche le 16 mai 2020 : il convient de créer, pour les personnels hospitaliers, un « cadre beaucoup plus souple » au temps de travail pour permettre à ceux qui souhaitent travailler davantage de le faire.

(6) Pour un vadémécum des mesures, Professeur P. Morvan, Covid-19 : synthèse des mesures sociales au 3 avr.

2020, JCP S 2020. 1093.

(7) Ord. n° 2020-323, 25 mars 2020, portant mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos, mod. le 3 avr. 2020 dans sa version en vigueur au jour de l'écriture de ces lignes.

(8) V. l'article de R. Dalmasso dans ce numéro.

(9) Secteurs qui seront déterminés par décret.

(10) C. trav., art. L. 2254-2 : « I. - Afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l'emploi, un accord de performance collective peut : [...] ».

(11) Cela concerne les jours de réduction du temps de travail (selon nous, même si ces derniers sont conventionnellement réservés à la main du salarié), ceux issus d'une convention de forfait et ceux placés dans un compte épargne temps.

(12) Discours de M. Édouard Philippe les 28 avr. 2020 devant l'assemblée Nationale et 4 mai 2020 devant le Sénat, prévoyant un déconfinement au 11 mai suivant.

(13) Ord. 25 mars 2020, art. 6.

(14) M. Thépot, Prêt de 5 Mds à Renault : la preuve de la démagogie du gouvernement sur les paradis fiscaux, Marianne, 30 avr. 2020.

(15) https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/fullarticle/2763229

(16) INRS, Risques pyscho-sociaux, www.inrs.fr/risques/psychosociaux/facteurs-risques.html ; v. déjà, le rapport du comité d'experts Gollac, Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maitriser sur la notion de risques psychosocial, 2011. 99 s. ; P. Adam, La prise en compte des risques psychosociaux par le droit du travail français, Dr. ouvrier 2008. 313 ; P.-H. Antonmattei et al., Les risques psychosociaux, identifier, prévenir traiter, Lamy, 2010 ; T. Aubert-Monpeyssen et M. Blatman Les risques psychosociaux au travail et la jurisprudence française : la culture de la prévention, Dr. soc. 2012. 832 .

(17) Propos recueilli par Rachel Knabel le 7 mai 2020 pour le journal Basta !

(18) Ces nouvelles règles du jeu en matière de temps de travail risquent d'« aggraver les conditions de travail des salariés, mettant ainsi, encore plus encore, leur santé en danger » (Déclaration du bureau de l'union départementale FO de la Moselle, 30 mars 2020).

(19) Association Between Reported Long Working Hours and History of Stroke in the CONSTANCES Cohort, étude réalisée par une équipe française de l'hôpital Raymond-Poincaré AP-HP, de l'université de

Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, de l'université Paris-Saclay et de l'Inserm

(www.ahajournals.org/doi/10.1161/STROKEAHA.119.025454).

(20) A. Fabre, Il faut sauver les contrats de travail !, RDT 2020. 246 .

(21) G. Borenfreund, La fusion des institutions représentatives du personnel, RDT 2017. 608 .

(22) Ord. n° 2020-389, 1er avr. 2020, portant mesures d'urgence relatives aux instances représentatives du personnel.

(23) « S'il n'a pas encore adressé de demande de dépassement, il présente immédiatement à l'inspecteur du travail une demande de régularisation accompagnée des justifications et avis mentionnés à l'art. D. 3121-5 et de toutes explications nécessaires sur les causes ayant nécessité une prolongation de la durée quotidienne du travail sans autorisation préalable » (C. trav, art. D. 3121-6).

(24) C. trav., art. L. 2315-94.

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Reprise de l'activité : l'heure de la négociation d'entreprise a sonné ! Élodie Pastor, Séverine Artieres Avocats au sein du cabinet Barthélémy Avocats - Docteur en droit - Droit social 2020

L'essentiel

La crise sanitaire que nous traversons impose aux entreprises d'élaborer un plan de continuité de l'activité (PCA).

Celui-ci doit s'attacher à déterminer les conditions de reprise de l'activité, ainsi que les mesures sanitaires à mettre en oeuvre pour protéger la santé et la sécurité des salariés. La détermination de chacune de ces mesures ne pourra toutefois être réalisée sans l'appui des partenaires sociaux.

À cet égard, les entreprises sont particulièrement inquiètes. À l'instar des gouvernements impliqués dans cette crise sanitaire sans précédent, les employeurs sont tenus à un double impératif : assurer la continuité de leur activité, nécessaire à leur santé économique et par voie de conséquence à la sauvegarde des emplois, tout en préservant la santé et la sécurité de leurs salariés.

Face à cette situation inédite et aux enjeux majeurs qui se jouent, le gouvernement a, dans l'urgence, adopté un certain nombre de mesures destinées à répondre à ces impératifs. L'analyse des dispositifs visés, tout comme celle de la jurisprudence récemment rendue sur le sujet (1), atteste de la primordialité d'un dialogue social apaisé et constructif. En effet, dans la continuité des dernières réformes du code du travail (2), les dispositifs d'urgence mis en place en vue de faire face à cette crise privilégient la négociation d'entreprise (3). Plus que jamais, les représentants du personnel doivent donc être perçus comme des parties prenantes essentielles de l'entreprise.

Dans ce contexte, les branches semblent davantage agir en soutien aux initiatives locales qui paraissent mieux adaptées aux besoins et spécificités de chaque entreprise et de leurs salariés. Les exemples en ce sens ne cessent de fleurir. À titre d'illustration, les parties prenantes du service automobile ont, en application de l'ordonnance n°

2020-323 du 25 mars 2020, signé le 2 avril dernier un accord de branche relatif aux congés payés (4). Cet accord n'a toutefois vocation à s'appliquer qu'en cas d'échec ou d'impossibilité de négociation locale. Conformément à l'article 5 de l'accord, les employeurs du secteur conservent toujours la possibilité de déroger à ses dispositions dans un sens plus favorable aux salariés, sans cependant instaurer de différence de traitement pour des salariés en situation identique.

Les branches sont, par ailleurs, très investies dans la mise en place des mesures sanitaires permettant, aux employeurs, de protéger la santé et la sécurité de leurs salariés. C'est le cas, notamment, de la branche du bâtiment et des travaux publics (BTP). Essentielles à la vie économique du pays et à son fonctionnement, les entreprises de ce secteur sont pleinement exposées au risque de transmission du virus. La mise en place de procédures adaptées, permettant le respect des gestes barrières et des règles de distanciation sociale, est donc particulièrement nécessaire. L'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) s'est donc attelé à élaborer un guide de recommandations sanitaires afin de poursuivre les chantiers (5). Celui-ci permet à chaque entreprise du secteur, quelle que soit sa taille, de définir, adapter ou conforter ses protocoles d'intervention pour assurer la protection des salariés.

Au regard de ces éléments, un constat doit être dressé : la reprise de l'activité ne pourra s'effectuer de manière efficace qu'au prix d'un dialogue social local de qualité. L'association plus ou moins appuyée des représentants du personnel à l'élaboration d'un plan de continuité de l'activité (PCA) apparaît non négociable. Ce plan doit s'attacher à déterminer les conditions de reprise de l'activité (II), tout en assurant la protection de la santé et de la sécurité des salariés par l'adoption de mesures sanitaires strictes (I).