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Le temps et le lieu dans l'alimentation

1. Le bien manger

1.1. Les définitions de l'alimentation saine

1.1.2. Le temps et le lieu dans l'alimentation

Voici quelques exemples de normes qui sont perçues comme des critères d'une bonne alimentation et qui sont en lien avec la temporalité. Ce concept comporte deux dimension: la rythmicité et la durée. La rythmicité englobe la fréquence des repas et les moments de la journée consacrés à l’alimentation. La durée concerne le temps pris pour préparer un repas, pour manger et également le temps nécessaire à la digestion de l’aliment.

Tout d'abord la fréquence des repas est mentionnée. Faire trois repas par jour est souvent cité comme un élément important pour manger sainement. Le nombre de repas est typiquement une norme de société acceptée et rarement remise en cause. Pourtant pourquoi trois prises alimentaires et non pas deux ou six? Cette norme des trois repas est dictée par la vie sociale, mais n'a aucune réelle valeur. Cette norme est totalement arbitraire. La structure de la journée alimentaire type est ancrée dans notre sociétéTP65PT. Le travail et les temps de pause font que le moment des prises alimentaires n'est pas libre.

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PT POULAIN, J.P., Sociologies de l'alimentation, Toulouse, Éditions Privat, 2002, p.223

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PT CORBEAU, J.P. & POULAIN, J.P., Penser l'alimentation. Entre imaginaire et rationalité, Toulouse, Éditions Privat, 2002

Ainsi les trois repas par jour sont repartis le long de la journée de travail: avant, au milieu et après. Mais rien ne dit qu'il faut manger à midi et non pas à trois heures de l'après-midi. C'est le rythme de notre société qui l'impose. "Les prises alimentaires ne sont pas des décisions individuelles, mais aussi le résultat d'une série de situations et de contraintes sociales"TP66PT. La forme des prises alimentaires (structure des repas et nombre de prises journalières) est une mise en scène concrète des normes sociales. Ces normes sociales dictent de quelle façon manger, quelle quantité manger et quand manger.

Ainsi s'amorce un deuxième critère: les moments de la journée. Certains moments de la journée sont propices pour manger. A ces moments correspondent également des quantités de nourriture:

"Il faut manger beaucoup à midi, moins le soir et rien entre." (propos d’un garçon) Cette idée qu'il ne faut pas trop manger le soir car le corps assimile moins bien les aliments n'est pas du tout prouvée. Pourtant beaucoup de personnes sont attachées à ce principe. Jean-Philippe Zermati, médecin nutritionniste, s'attèle à démentir ce genre de croyancesTP67PT. Il démontre, par un exemple simple, le manque de fondement d'une telle idée. Les Espagnols qui ont l'habitude de manger beaucoup au cours d'un souper tardif ne sont pas plus gros que les Anglais qui ont l'habitude de prendre un copieux déjeuner et de manger moins le soir. Cela met en évidence les croyances, élevées au rang de connaissances et de savoirs, que les personnes ont de l'alimentation. Une partie de ce savoir vient de la société et des normes qu'elle a instaurées, une autre vient des institutions médicales et de toutes les informations disponibles en matière de diététique et de nutrition. L'intérêt pour l'alimentation et sa médiatisation ont eu pour conséquence de sensibiliser à l'extrême les jeunes sur ce sujet. Ainsi, ils ont acquis des connaissances spécifiques en la matière. Cette sur-médiatisation de la question alimentaire amène les personnes à se construire leur propre univers normatif de ce qui est bon et bien de faire en matière d'alimentation. Ces connaissances ont une influence importante sur le comportement du quotidien. Elles sont perçues comme des "vérités" établies médicalement et scientifiquement. Les comportements qui en découlent sont donc ancrés dans notre société.

D'autres règles liées au temps interviennent également dans la perception du "bien manger". Une importance est donnée au temps nécessaire pour la confection du repas.

Un bon repas est un repas qui prend du temps à être préparé. Si l’on choisit de manger

"sainement", il faut prendre le temps de confectionner son repas. Ainsi, le repas sain s’oppose au surgelé rapidement passé au micro-ondes. Apparaît alors également la technique de préparation. Le micro-ondes est catégorisé comme un moyen facile et

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PT POULAIN, J.P., Manger aujourd'hui. Attitudes, normes et pratiques, Paris, Éditions Privat, 2001, p.116

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PT ZERMATI, J.P., Comportement alimentaire: la nouvelle approche des nutritionnistes, in 60 millions de consommateurs, n°97, juillet-août-spetembre 2000, p.58-70

rapide de cuisiner. Cuisiner "quelque chose vite fait" devient alors synonyme d'une mauvaise alimentation.

Les jeunes insistent également sur le temps dans le sens de "combien de temps l'aliment va me nourrir". Un repas sain est constitué d'aliments contenant des sucres lents, "des choses que l'on digère lentement". Manger sainement est ainsi lié au temps que l'aliment prend pour être digéré. Plus la digestion est lente, plus le repas est nourrissant et donc sain. Un repas nourrissant n’est pas à confondre avec un repas lourd. En effet, les jeunes mettent en évidence que le repas doit apporter la satiété sans provoquer une sensation de lourdeur.

Enfin un dernier critère est le temps pris pour manger. Un "faux repas" est défini comme un repas pris rapidement. Apparaît ici une différence dans les critères pour juger si un repas est un vrai repas ou non. Le vrai repas est jugé sur le produit consommé et ses effets. Le faux repas est appréhendé sous l'angle du temps.

Cette différence dans les critères se retrouve également au niveau plus général du "bien manger" et du "mal manger". Le "bien manger" est toujours expliqué par le fait de se nourrir de manière équilibrée et variée, notions qui renvoient aux aliments consommés.

Le "mal manger" est directement lié à la temporalité: manger rapidement, cuisiner rapidement, manger au mauvais moment. Ainsi, pour les jeunes que nous avons interrogés, "mal-manger" n’est pas lié à la composition des repas mais plutôt aux prises alimentaires déréglées et excessives. Ainsi, c’est principalement l’argument temporel qui va déterminer ce qu'est le "mal-manger".

Les lieux entrent aussi en ligne de compte lorsque les jeunes parlent de l'alimentation saine. Un "vrai repas" est pris dans un certain lieu. Souvent ils parlent du repas en famille à la maison. Ils différencient alors les endroits où les prises alimentaires se déroulent.

"A la maison le petit déjeuner je le prends à la cuisine, mais le soir le vrai repas on le mange au salon."(propos d’une fille)

Les jeunes tiennent alors aussi compte de l'endroit pour définir ce qu'est un bon repas.

Les lieux sont étroitement liés au temps. Pour eux, manger au salon cela veut aussi dire prendre son temps pour manger. À la cuisine, on mange plus vite et souvent le repas est plus petit.