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Les justifications et les stratégies face au grignotage

1. Le bien manger

1.3. Les justifications et les stratégies face au grignotage

Entre le discours et la pratique, un décalage a donc pu être constaté. Ainsi, les normes qui guident nos comportements sont parfois "transgressées". Plus la norme est ancrée et acceptée, plus la transgresser sera mal vu. Dès lors, des justifications seront nécessaires.

La norme qui paraît la plus forte pour les jeunes est "ne pas manger entre les repas".

Pourtant 85,2% des jeunes ayant répondu au questionnaire affirment manger entre les repas. Comment alors vont-ils justifier cette pratique souvent considérée comme étant

du grignotage? Notons que le grignotage est à comprendre comme toute prise alimentaire n'étant pas considérée comme un repas.

Ce qui est intéressant face au grignotage est que les jeunes mangent "comme ils ne devraient pas". Pour eux ce n'est pas bien de manger entre les repas, mais ils le font quand même.

"Le problème c'est que je grignote. (…) Je me dis que c'est pas bien, mais bon… Je le fais quand même."

Ce propos met en évidence que ce comportement n'est pas jugé comme adéquat. Cela démontre bien que le comportement alimentaire est normé et que s'écarter de ces règles crée un certain malaise. Le grignotage est fortement dénoncé dans notre société. Il est souvent synonyme de prise de poids, mais aussi de manque de volonté, de faiblesse.

Il y a des normes qui nous dictent comment manger et quoi manger. Ces normes, même si elles se différencient, ont un poids énorme dans notre société. C'est pour cela que chaque comportement qui transgresse le "normal" est aussitôt suivi de justifications.

Nous avons identifié deux grands types de justifications. Premièrement, les jeunes expliquent pourquoi ils grignotent. Deuxièmement, ils se justifient en expliquant comment ils grignotent. Dans la première catégorie, la raison invoquée est tout d’abord la faim. Les jeunes mettent également en évidence l’activité (ou l’absence d’activité) ainsi que l’ennui comme explication de la consommation de nourriture. Dans la deuxième catégorie, les justifications sont axées sur le "comment" les jeunes grignotent.

Ils vont se focaliser sur la fréquence et le moment du grignotage ainsi que sur la quantité d’aliments consommés.

La faim est la première justification du "pourquoi" les jeunes grignotent.

"Parfois je grignote. Mais c'est parce que j'ai faim ou parce que j'ai pas assez mangé avant."

Au travers des questionnaires, la raison qui revient dans plus de la moitié des cas est

"parce que j'ai faim". Pour les jeunes la réponse à cette question paraît évidente.

Pourtant, dans les entretiens, ce n'est pas la raison la plus invoquée. Les jeunes nous parlent aussi de l'activité qu'ils sont en train de faire et qui est souvent accompagnée de grignotage. L'activité qui revient le plus souvent est regarder la télévision. Mais d'autres exemples sont aussi donnés:

"Parfois je mange un truc quand je fais mes devoirs ou quand je joue à l'ordinateur."

Le grignotage accompagne alors une activité où il est facile de manger tout en continuant ce que l'on est en train de faire. Regarder la télévision ou jouer à l'ordinateur sont également des activités pratiquées le plus souvent seul. Le grignotage est alors un acte réalisé en solitaire. Cette idée de solitude est renforcée lorsque les jeunes disent grignoter lorsqu'ils ne font rien:

"C'est parce que je m'ennuie, je n'ai rien d'autre à faire alors…"

Le grignotage accompagne alors l'ennui souvent caractérisé par l'absence d'activité.

D'ailleurs certains jeunes invoquent le manque de temps lorsqu'ils affirment ne pas grignoter. Ils ont beaucoup d'autres choses à faire (activités sportives, cours en dehors de l'école) et n'ont pas l'occasion de manger entre les repas. Ceux qui sont moins occupés semblent plus tentés par le grignotage que ceux qui sont plus actifs. Le contraste activité/inactivité est bien mis en avant par les jeunes.

Viennent ensuite les justifications liées au "comment" le grignotage se déroule. Les jeunes se justifient alors par la fréquence de leur grignotage. Ils ne grignotent pas tous les jours. Ils démontrent ainsi que cette pratique n'est qu'un écart occasionnel et non pas une "mauvaise" habitude.

Des justifications liées au moment auquel ils mangent apparaissent également. Il y a des moments plus légitimes que d'autres.

"Mais je ne mange pas beaucoup en dehors des repas. À part les quatre heures."

"À la récréation je mange un petit pain au chocolat"

"De temps en temps je mange, style aux 16 heures ou comme ça un bout de chocolat."

Il est possible de remarquer par ces exemples, que les temps qui sont propres à la consommation de produits alimentaires entre les repas se rapportent à deux moments principaux durant la journée: la récréation qui se déroule aux environs de dix heures et le goûter qui a lieu à la sortie des cours, donc aux environs de seize heures. En outre, selon les réponses qu’ils nous ont données dans les questionnaires à la question: "À quelle occasion consommes-tu de la nourriture en dehors des repas?", ils ont répondu en majorité en consommer durant ces heures-là. Il semble donc que ces deux temps soient plus légitimes que les autres pour consommer des produits alimentaires. Invoquer ces moments devient une justification en soi. Ces notions des 10h et du goûter sont difficiles à définir. Pour certains, comme nous l'avons vu, il s'agit de repas. Pour d'autres cela correspond à du grignotage, mais légitime.

Ils se justifient aussi en mettant en avant la quantité d'aliments qu'ils consomment.

"De temps en temps on va dire que je grignote. Souvent un petit bonbon ou comme ça, mais c'est vraiment minime."

"(…) Deux petites tranches de pain avec du beurre."

Les produits consommés sont minimisés. Par l'emploi de l'adjectif "petit", les élèves rendent leur consommation la plus insignifiante possible.

En ce qui concerne la quantité d’aliments consommés, les jeunes se justifient également en soulignant le respect d’un certain équilibre. Ainsi, s’ils grignotent, ils vont moins manger lors du repas suivant pour que la quantité d’aliments ingérés soit respectée.

"Je me dis que demain je grignoterai pas, pis voilà… Ou alors je me dis que je mangerai moins au souper."

Les jeunes peuvent ainsi s’adonner au grignotage car ils rétablissent l’équilibre en gérant leur alimentation sur la journée.

En même temps, si les jeunes se sentent obligés de se justifier lorsque le sujet de la consommation de nourriture entre les repas est abordé, nous ne pensons pas qu'ils vivent mal le fait de grignoter. En effet, la majorité des jeunes disent manger entre les repas.

Ce n'est donc pas stigmatisant pour la personne vu qu'elle n'est pas la seule à se conduire ainsi. Et cela lui donne une justification supplémentaire pour manger entre les repas:

"De toute façon tout le monde mange entre les repas. C'est normal car sinon tu tiens pas toute la journée."

La justification par les autres est également souvent donnée. Les jeunes se comparent aux autres.

"Chez moi on n’a pas beaucoup de cochonneries. Mais chez des copines il y a des placards pleins de chips, de biscuits, de chocolat."

C'est donc les autres qui transgressent vraiment les règles, mais pas les jeunes qui répondent. "Chez des copines", "Il y en a des" prouvent que les jeunes se défendent d'avoir cette attitude et montrent que d'autres le font, mais pas eux. Il y a aussi une exagération du mauvais comportement "des placards pleins", "tout le temps". Il y a vraiment cette volonté de mettre en avant son propre comportement qui, même s'il n'est pas exemplaire, est toujours mieux que celui des autres.