• Aucun résultat trouvé

Dans sa thèse en psychologie du développement, soutenue en 2005, Angélique Clément se propose de « définir chez les êtres humains les caractéristiques des capacités de discrimination de la durée et de ses changements avec l’âge et de mettre en évidence la spécificité de la nature du temps et de son traitement » (Clément, 2005, résumé).

En sept études, elle s’attelle donc à la tâche et propose à l’issue de ses années d’expérimentation des constatations fort intéressantes pour notre recherche : bien que le sujet de sa thèse touche un aspect précis du concept, les résultats qu’elle énonce nous permettront sans doute de comprendre le contexte dans lequel se bâtissent les représentations des élèves.

Angélique Clément démontre que dès 3 ans, les enfants sont capables de discriminer précisément les durées, - en ce sens, elle semble confirmer ce que Fraisse (1957) qualifie d’« intuition primitive de la durée » -, mais que les problèmes de maintien de l’attention caractéristiques de cet âge engendrent une variabilité de la représentation des durées en mémoire. Cette variabilité pourra être réduite au cours des années suivantes avec l’apprentissage et la maîtrise du comptage verbal. À nouveau, cette théorie correspond à l’idée de Fraisse, d’un processus progressant avec l’âge conduisant le sujet à une maîtrise parfaite du raisonnement temporel vers l’âge identifié comme marqueur du stade piagétien de la pensée formelle.

Si nous retenons cet aspect de la thèse de Clément, c’est que cela nous permet de proposer un point de réflexion. Nous savons que l’enfant « fonctionne » en interaction avec le monde qui l’entoure grâce à un réseau conceptuel composé d’éléments qu’il possède, ou comprend plus ou moins, qu’il a acquis de façon « spontanée » parfois. Nous savons que cet apprentissage spontané de concepts complexes - tels que le temps -, s’explique souvent par la simultanéité du développement social de l’enfant et de sa capacité à communiquer grâce au développement langagier. Pourrions-nous envisager que parler ou penser en mots permet d’accéder à l’idée et que compter permet de lui donner une valeur ?

De plus, compter semblerait, d’après les travaux de Clément, permettre à l’enfant de « comprendre », de « se représenter » les durées, c’est-à-dire un aspect du temps conçu.

Nous retenons des travaux de Clément (2005) que dès trois ans l’enfant semble discriminer les durées qu’il ne pourra cependant se représenter que lorsqu’il apprendra à compter.

Les travaux de Clément sont à associer à l’étude de Viviane Pouthas (1990), qui s’est intéressée à l’acquisition et l’évolution des conduites temporelles au cours de l’ontogénèse. À partir d’expérimentations centrées sur les apprentissages temporels chez le jeune enfant dont nous ne ferons pas ici la description, Pouthas (1990) observe qu’à 7 ans, le réglage temporel de l’action chez l’enfant est très efficace. Elle estime que l’évolution des performances entre 4 et 7 ans pourrait dépendre d’un changement cognitif, c’est-à-dire l’acquisition et la maîtrise des outils suivants : la représentation de ce qu’est un intervalle temporel ayant un début et une fin et les moyens de mesure de cet intervalle.

Mais cette explication « cognitiviste », selon l’expression qu’elle-même utilise, ne peut rendre compte à elle seule de la façon dont les jeunes enfants estiment précisément la durée d’une attente. En effet, dans les expérimentations qu’elle a conduites, Pouthas (1990) montre que les enfants n’utilisent pas le comptage chronométrique comme le font les plus âgés (à partir de 9 ans) et les adultes. Par ailleurs, elle a remarqué chez des enfants de 4 ans et demi, la capacité à régler très précisément la durée d’un acte moteur sans pour autant qu’il y ait de leur part une représentation des contraintes temporelles imposées à l’action.

L’ensemble des recherches de Pouthas témoignent de la remarquable capacité du jeune enfant à percevoir et estimer le temps bien avant que soient acquis tous les outils conceptuels. Ces travaux apportent des éléments de réponse à la question abordée par Piaget dès 1946 sur la continuité ou la rupture entre temps « agi » (c’est-à-dire à partir des rythmes logiques et comportementaux) et temps « représenté » (à partir de concepts temporels).

Nous retenons, des travaux de Pouthas (1990), la remarquable capacité du jeune enfant à percevoir et estimer le temps bien avant que ne soient acquis tous les outils conceptuels.

Transition

Les travaux des psychologues nous présentent la construction du lien entre le temps et l’individu comme lente et progressive, certains n’envisageant pas d’aborder le temps historique avant l’adolescence ! Pourtant, cette « information » est à nuancer, Booth (1987, 1994) ou Barton (2008), et à l’instar de Vygotski (1998-2003), rappellent qu’il ne faut pas négliger l’impact des apprentissages dans le développement de l’individu. De plus, Fraisse ou Clément (et d’autres) parlent d’intuition de la durée qui permettrait notamment à l’enfant jeune de percevoir et estimer le temps bien avant que soient acquis tous les outils conceptuels.

C’est important car si, comme un grand nombre d’historiens, nous prenons pour essence de l’histoire le « changement » (Lefebvre, 1996), son étude ne peut se faire avec des sujets qui ne possèdent pas de représentation de la durée dans laquelle s’inscrit le changement. En effet, les principes de comparaison, d’évolution, de causalité reposent sur des « systèmes d’équilibres dynamiques » (Lefebvre, 1996)82 qui s’intègrent dans un élément fondamental à leur application scientifique : le temps (Lefebvre, 1996). Or, dans le programme scolaire québécois, « la description de ressemblances, de différences et de changements » (MEQ, 2001, p.167), donc la comparaison, apparaît dans les attentes de fin de cycle dès le premier cycle et marque la dynamique même des compétences des cycles suivants. Sans compréhension du « principe » de temps et essentiellement de sa facette « historique », il ne peut y avoir application autonome des compétences en univers social au primaire ! Il nous semble donc important d’orienter à présent notre réflexion vers l’étude du temps des historiens.

Documents relatifs