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La temporalité du mouvement dans et hors de l’écran.

IV ) DU DETAIL AU TOUT

V) PRATIQUE « ANIMEE » POUR PLASTICIENNE EN DEPLACEMENT

4) La temporalité du mouvement dans et hors de l’écran.

Singularity s’appelle ainsi à plus d’un titre. Tout d’abord : il s’agit d’un enchainement de représentations de singularités universelles. « Singularité » signifie aussi : le « point de rupture dans la trame de l’espace et du temps. »1

Et c’est bien de ce point de vue de rupture, ou de jonction, que j’appréhende le corps humain. Notre corps, dans ce monde connecté, virtuel et immédiat, ne se retrouve-il pas en pleine « singularité » ou « singularisation » ? Et de son côté, en complémentarité, Requiem for an autoportrait est une œuvre qui se décline en deux temps : une version papier (print) et une version animée. Cette œuvre, dans sa version « grande affiche imprimée » s’ouvre au spectateur comme une porte ouverte l’emmenant dans l’organique, dans la crudité du corporel. Lui laissant le temps de promener son regard. Dans sa version animée, l’oeuvre est un miroir ou une fenêtre fermée, nous renvoyant presque notre propre reflet. Où la construction d’un autoportrait se disloque silencieusement, donnant à voir un effet d’évanescence et d’éphémère… A l’image de nos avatars. Je recherche et propose donc différentes « temporalité » des œuvres, et la différence entre celle du papier et celle de l’écran.

Le mouvement induit le temps. Fatalement. Mais à quelle fréquence échantillonne-t-on le réel ? Question posée par la vidéaste contemporaine Caroline Bernard. Elle filme et photographie le réel et le cartographie ou tente de le restituer en volume. Que capture-t-on du mouvement du réel quand nous filmons ? Peter Campus fait en quelque sorte une recherche similaire dans ses films en 4K qu’il diffuse, comme des peintures en vidéo, il joue avec la durée, le mouvement des pixels. Et quid du rapport au temps de l’animateur plasticien ? Caroline Bernard parle de la temporalité de la vidéo, disant qu’elle « porte avec elle une latence ». Et s’il ne s’agit pas de latence dans l’animation, il y a véritablement une ouverture sur un autre « temps » cadencé, décidé, rythmé, par l’animateur lui-même. Il y a donc, via l’écran un pouvoir démiurgique qui nous échoit à nous artistes. Ce mouvement de croix le rappelait-il ? Dans une de ses œuvres, Caroline Bernard capte le temps et réalise une impression 3D d’un film. Il est intéressant de voir comment l’algorithme a amalgamé le temps et les informations, les personnages et les éléments de décor pour n’en faire qu’une seule forme compacte en un instant précis : celui capté par la camera. Dans Requiem for an autoportrait, il s’agit d’une démarche similaire : amalgamant tous ces morceaux de corps, provenant de différents lieux, personnes et instants, mais se retrouvant tous dans une « boite à souvenirs » (la carte Sim de mon smartphone), je les en ressors dans de nouveaux espaces-temps. Selon Bernard, le continuum spacio-temporel est prolongé par le film ou la photo. Qu’en est-il des dessins et de l’animation à l’écran?

Le temps des images diffère selon le support. Les écrans exhibent des images en mouvement, c’est leur vocation. C’est leur valeur ajoutée sur la photo, l’image, la peinture. Qui dit « mouvement » dit « durée », qui dit « durée » dit « temps » comme l’expliquait Deleuze à la Femis lors de sa conférence sur le cinéma2

. Il y aurait donc un « temps des écrans ». Le dessin lui, doit dire le mouvement sans la durée, doit dire le temps sans le mouvement. Comme il doit dire la profondeur alors qu’il est intrinsèquement plat. La temporalité du dessin n’est pas celle du dessin- animé, de l’animation, du cinéma. Mais s’il n’a pas le mouvement « en lui », le dessin (la peinture) laisse alors au spectateur le « temps du mouvement ». En effet, il m’a semblé important de prendre aussi en compte le temps du mouvement du regardeur. Il ne se comporte pas de la même façon devant une image fixe ou devant une vidéo. Le spectateur se déplace devant une peinture, il

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1 Définition Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Singularit%C3%A9_technologique

2 Gilles, Deleuze Qu’est-ce que l’acte de création ? Conférence enregistrée à la Femis le 17 mars 1987,

s’approche, il recule, il voit différentes choses, selon son emplacement. L’animation requiert son immobilité. Lorsque je propose Requiem for an autoportrait en version imprimée, c’est afin de donner à voir, à explorer, au regardeur. Je lui donne enfin le temps. L’animation nous prend du temps. L’image fixe nous en donne. Libre à nous d’y entrer ou pas. L’animation, la vidéo, nous prend en otage, avec son début son milieu et sa fin, et son pouvoir hypnotique mélangeant mouvement et lumière. L’hégémonie des écrans s’appuierait-elle en partie sur leur luminescence ? Phénomène qui a toujours attiré l’œil, comme un aimant, magnétisme opérant universellement. Le regardeur ne serait-il pas devant l’écran comme ce papillon qui tourne autour de l’ampoule, à s’y cogner, à s’y bruler, jusqu’à mourir au pied de la lampe ? Avec mes déclinaisons de Morceaux Choisis, à des rythmes radicalement opposés (de l’affiche, à l’étalage au mur de la matière première, au tas, jusqu’aux animations rapides, grandes, petites, lentes), je provoque l’acuité au présent du spectateur, questionnant son rapport à l’immédiateté, son impatience, et obsession de l’expérience ultra intense en permanence. La moindre « accalmie » événementielle est aujourd’hui assimilée à de l’ennui.

Puis il y a la temporalité du « faire ouvrage ». La « durée » de réalisation, la répétition quasi monomaniaque du geste. Le temps de dessiner, le temps d’éprouver par le corps le processus créateur du dessin, qui n’est pas le même que la temporalité de l’animateur-flasheur. Le passage se fait de l’un à l’autre par le temps du montage. Et en mêlant le dessin et la numérisation, je « freine » un peu le rythme trépidant du numérique, ou du moins, j’ai l’impression de « garder la main ». Et je rythme comme je le souhaite : rapide (Singularity), ou lent (Requiem). Jusqu’à « l’arrêt sur image » avec l’impression sur papier. Et en introduisant le détail à l’écran, il prend aussi sa propre temporalité. Je voulais ainsi « me » donner et donner au spectateur un peu de temps, car c’est avec ce temps-là qu’on expérimente l’existence. Ne dit-on pas « voir le temps passer »… Alors avec le dessin ultra-détaillé, je le donne à voir.

Finalement, pour les images fixes (dessins), c’est une nouvelle vie. Dans Singularity, les dessins nous sautent au visage, nous violant les yeux. La vitesse de défilement si rapide créant une agressivité à l’égard de l’œil qui illustre le matraquage permanent que subissent nos yeux face aux écrans. Dans Requiem for an autoportrait, c’est l’inverse, ils disparaissent un a un, doucement, délicatement. Discrètement, l’écran se vide… Et s’éteint. Car un écran vide s’éteint, fatalement. Alors que les dessins eux, existent toujours, l’écran n’offre aucune autre possibilité. Une feuille blanche, elle, est, en un instant, fertile, l’espace de tous les possibles. L’écran sans contenu est inerte, inutile, stérile.

Notons que dans les deux animations, les morceaux ne restent pas. Seul le papier leur offre la « durée ». Je voulais donc donner à voir et à expérimenter ces deux temporalités auxquelles je suis confrontée en permanence, par mon métier de plasticienne et infographiste que je choisis, et par le lieu et l’époque de ma naissance, que je subis.