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Le mouvement introduit-il du spirituel dans l’œuvre ?

IV ) DU DETAIL AU TOUT

V) PRATIQUE « ANIMEE » POUR PLASTICIENNE EN DEPLACEMENT

3) Le mouvement introduit-il du spirituel dans l’œuvre ?

Nous avons déjà dit qu’ « animer » c’est donner une âme. Le mouvement tient du « vivant ». Le mouvement de croix fortuit m’a semblé un imprévu parfait. En effet, il introduit une dimension spirituelle dans le travail, au-delà de la réflexion sur nos comportements. Il renvoie à la symbolique entière de la croix. Mouvement de croix qui allonge le regard, qui le fait bouger, monter descendre, s’étendre de gauche à droite, aller et venir, dans un enchainement très rapide et inattendu. Car il n’est pas possible d’anticiper l’orientation du format à venir. Est-ce un rappel facile et inconscient à un héritage culturo-religieux chrétien ? Probablement. Civilisation dans laquelle j’ai grandi, héritant de ses codes, de son image du corps, et de sa vision culpabilisatrice du pêché de chair. Ironie du sort, dans ce travail plastique sur le corps la croix a surgi malgré moi. Une symbolique ancestrale de la spiritualité judéo-chrétienne qui me rattrape ? Pourtant mon grand montage Requiem for an autoportrait y fait d’ailleurs aisément allusion, déjà par son titre évoquant le chant religieux. Il se trouve que cette « croix » apparaît uniquement sous l’effet du mouvement de défilement

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1 Daniel, Arasse, Le détail, Paris, Flammarion, coll. Champs arts, 1992, p. 32

extrêmement rapide des images. Subliminale, quasiment spectrale, mais évidente pour certains spectateurs qui ne voient qu’elle. Je reste finalement dans le sillage d’un symbolisme établi : la croix a longtemps servi à accrocher et exhiber aux yeux de tous un corps supplicié, la mienne exhibe des corps. Mais non suppliciés. La souffrance du corps n’est pas mon propos ici Paradoxalement, il sera intéressant de noter que ce mouvement de croix semble éveiller chez le spectateur quelques réminiscences sexuelles. Eveiller un regard lacanien où la dynamique verticale s’empalerait sur le mouvement horizontal : des morceaux de corps pris dans une tonitruante déferlante de Verticalité et Horizontalité emboitées. Un « coït visuel » où un corps s’ajoute à l’autre dans une trépidante inter-pénétration.

Dans Requiem, je cherche ainsi à créer portrait plus « riche ». Un visage aux mille visages. Nous sommes constitués de milliers de facettes, notre personnalité a tant d’aspects. Nous sommes chair, pensées et émotions en mouvement perpétuel. Il s’agissait donc d’évoquer par le cadrage et le mouvement des animations ces facettes en changement. De l’impermanence à la durée, nous sommes pourtant « nous ».

Le détail lui aussi, semble transcendé par l’animation. Il était, dans l’histoire de la peinture, un outil graphique pour mener le regardeur à la dévotion. Le « détail dévot ». Et si la croix existe sans exister parce qu’elle n’apparait que dans un mirage dû à la cadence de l’animation, le détail s’inscrit aussi pleinement dans la quête spirituelle des travaux Singularity ou Requiem. Selon Arasse1

, le détail permet de faire entre la « vérité », la « réalité » dans le tableau, il a un rôle de premier ordre à jouer dans la peinture religieuse (toujours dans les retables de Dürer) où il est choisi pour donner une vérité de l’incarné. Et si mon travail n’est pas religieux, il questionne bien la condition humaine et son incarnation. Par la mise en mouvement de tous ces détails, non seulement je leur donne la « réalité », mais je leur donne vie. Il est intéressant de tenter de toucher une réalité par du « factice » car sans ces animations, il ne s’agirait que d’une accumulation de natures mortes, ne montrant qu’une compétence technique. Et Requiem for an autoportrait print n’aurait pas tant d’intérêt. Je présente la version papier parce qu’avec la version animée, elle prend une autre dimension et une autre temporalité. En effet, le dessin réaliste du détail n’est qu’une mimesis, mais qui prend soudain, par le mouvement, une dimension spirituelle. Ai-je fait une œuvre dévote, sans m’en rendre compte ? Car en effet, les titres induisent cette dimension. Dans le mystère de l’acte de création, une partie se joue sans nous, artistes. « Un affect dévot », comme le dit Arasse2

ne serait-il pas moteur de l’œuvre ? C’est aussi l’occasion d’appeler ici aussi un de mes inspirateurs : Bosch. Pour Arasse, Bosch, c’est : « l’effet graphique escompté : un chaos détaillé : montage d’éléments disparates (qui en passant donne une léger voile obscène) détails pris ici et là, traités avec précision pour une présence hallucinatoire. »3 : C’est bien une de mes intentions ! L’aspect spirituel de mon

travail réside peut-être dans les mêmes procédés utilisés par les artistes de la peinture dévote. Comme pour les Arma Christi, ou le procédé consiste à « utiliser le détail découpé pour son efficacité mnémonique tout en bouleversant le choix et la position ». Puis l’évolution de l’utilisation du détail de la peinture dévote introduira au fur et à mesure le portrait comme moyen de la mimésis. C’est inconsciemment que mon travail a vu ce « glissement » s’opéré. Dans Requiem, le morceau- détail disparaît discrètement. L’évanescence de cette construction a pour but d’évoquer la fragilité de nos « nous virtuels » autant que celle de nos vies réelles.

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1 Daniel, Arasse, Le détail, Paris, Flammarion, coll. Champs arts, 1992, p. p85 2 Id., p. 88

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