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Technologies numériques et accessibilité élargie de la sphère publique diasporique

Chapitre 2 : Diaspora, mobilisation et recadrage

2.1 Les structures mobilisatrices

2.1.2 La sphère publique comme structure mobilisatrice

2.1.2.2 Technologies numériques et accessibilité élargie de la sphère publique diasporique

 

   

  L’avènement d’Internet a généré un débat important quant au potentiel de démocratisation de la sphère publique, qui puisse répondre à la critique que fait Fraser (1990) à l’égard de la sphère pulique habermassienne, notamment en ce qui concerne l’exclusion que celle-ci engendre. Or, avec l’arrivée des nouvelles technologies, il nous est possible de concevoir le cyberespace à

titre de structure mobilisatrice, qui puisse offrir un espace dans lequel les minorités peuvent s’exprimer davantage, s’organiser à une échelle transnationale et diffuser massivement leurs revendications. Ainsi, cette section explorera la conceptualisation de la sphère publique virtuelle, particulièrement en ce qui a trait à son potentiel de démocratisation et au débat entre les cyber- optimistes et les cyber-sceptiques. Nous tenterons ainsi d’approfondir notre réflexion sur la conceptualisation du cyberespace à titre de structure mobilisatrice.

Tel que mentionné ci-dessus, l’enjeu de l’accessibilité sur le cyberespace a donné lieu à un débat majeur entre les cyber-optimistes et les cyber-sceptiques. D’emblée, la mobilisation de la théorie de l’hégémonie gramscienne permet de situer l’approche des cyber-optimistes. De prime abord, Gramsci définit l’hégémonie comme une lutte de pouvoir politique continue, asymétrique et machiavélique, toujours propice à une escalade de violence potentielle (Whitaker 2006). D’un côt, Whitaker (2006) soutient que le développement d’une sphère publique diasporique virtuelle relève d’un contexte politique hégémonique gramscien au Sri Lanka10. D’un autre côté, Eley (2002), soutient que la sphère publique libérale occidentale institutionnalise la domination politique d’une élite sur le reste de la population. Par conséquent, le cyberespace revêt un potentiel évident pour l’émergence d’une sphère publique alternative qui puisse garantir un débat démocratique idéal.

Il nous est possible de situer le débat opposant les cyber-optimistes aux cyber-sceptiques selon un axe principal, soit celui de la ‘cyber-potentialité’ en matière de démocratisation de la sphère publique. Pour les cyber-optimistes, Internet joue un rôle positif afin de démocratiser la

                                                                                                               

sphère publique. Ceux qui adhèrent à cette posture conçoivent Internet comme revêtant un potentiel énorme, garantissant un accès plus riche et varié en matière d’information d’affaires publiques; en retour, le public devient plus articulé quant à son opinion politique, de par son plus haut niveau de connaissances, ce qui, au final, bénéficie à la démocratie (Norris 2001). Shirky (2011) s’illustre comme étant un chef de file de cette posture optimiste, évoquant une accessibilité à la sphère publique accentuée par le cyberespace et les réseaux sociaux numériques : « The more promising way to think about social media is as long-term tools that can strengthen civil society and the public sphere » (32). De la même façon, Norris (2011) observe que les cyber-optimistes perçoivent Internet comme étant un lieu propice à l’implication des communautés marginalisées et qu’il constitue ainsi un tremplin à l’engagement politique : « The Internet may broaden involvement in public life (…) especially for many groups currently marginalized from mainstream politics » (97). De son côté, adoptant une approche rationnelle, Gustafsson (2012) évoque la réduction des coûts de participation – en termes de temps, d’argent et d’anonymat – qui pourrait influer sur la volonté de participer au sein d’une sphère publique. En bref, les cyber-optimistes suggèrent que le cyberespace puisse engendrer une démocratisation des échanges et faciliter l’apparition de nouveaux acteurs collectifs

En revanche, les cyber-sceptiques soulignent davantage les limites d’Internet, qui sont minimisées par les cyber-optimistes. D’abord, en discutant du cyberespace, Papacharissi (2002) soutient qu’il est nécessaire de dissocier la sphère de l’espace public, évoquant par le fait même la conceptualisation d’Internet comme étant a priori une sphère publique. Or, concevoir Internet comme étant un espace public ajoute une nuance intéressante au débat : « A virtual space enhances discussion; a virtual sphere enhances democracy » (Papacharissi 2002, 11). Si une démocratie se veut représentative, une sphère publique se doit donc de permettre à tous d’y

participer, voire d’y exprimer son opinion; en ce sens, Norris (2001) concède qu’Internet ne connecte que ceux qui sont déjà connectés et que de ce fait il y a certes une discussion, aux dires de Papacharissi (2002), mais que ceci est insuffisant pour démontrer la démocratisation de la sphère publique. Tout au plus, Norris (2001) évoquait de son côté que le cyberespace risquait d’élargir l’écart de la participation politique, puisque d’une part, cela crée un écart matériel entre ceux qui ont accès à une connexion internet et ceux qui n’y ont pas accès; d’autre part, la quête d’information sur Internet et les opportunités de participation requièrent un intérêt a priori. Ce dernier argument fait notamment écho à la théorie du renforcement, qui soutient qu’Internet ne fait qu’accentuer la participation de ceux qui participent déjà à la sphère publique hors ligne (Norris 2001; Hoffman 2012; Gustafsson 2012). En ce sens, les travaux de Gustafsson (2012) et de Hoffman (2012) démontrent qu’une connectivité accrue n’engendrerait pas nécessairement une pluralité d’opinions exprimées au sein d’une même sphère publique. Selon cet argumentaire, le cyberespace ne faciliterait pas l’émergence de nouveaux acteurs collectifs comme tel, mais offrirait plutôt une nouvelle plateforme aux acteurs collectifs déjà organisés hors ligne.

Ceci dit, l’argumentaire des cyber-sceptiques s’applique difficilement à la sphère publique diasporique virtuelle. En effet, comme l’indique Georgiou (2006), la relation entre les technologies médiatiques et la diaspora est particulière: « Media connections across space are not only a technological possibility; they are active appropriations of communication technologies that bring the past, the present and the future of the diasporic being and becoming together » (139). Les réseaux de communication étant inhérents à la conceptualisation de la diaspora, le cyberespace facilite ainsi un élargissement de la sphère publique diasporique tout en permettant aux voix diasporiques de se faire entendre au sein d’une multitude de sphères publiques virtuelles

agissant à titre de structure mobilisatrice, peut faciliter l’émergence de nouveaux acteurs collectifs diasporiques, et ce, lorsque l’opportunité se présente.