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Technologie lithique : la maîtrise de la taille des outils

Technologie lithique : la maîtrise de la taille des outils préhistoriques

1- L’outil taillé, objet de toutes les convoitises

Depuis que l’homme s’intéresse à son passé le plus lointain, la découverte d’outils taillés est l’objet de multiples convoitises. D’amateurs passionnés, tout d’abord, qui trouvent à cette occasion la possibilité d’exposer leurs pièces les plus précieuses, d’accroître leur notoriété, de démontrer leur savoir et de côtoyer de véritables hommes de sciences. C’est tout le rôle des académies de province, des sociétés savantes ou des cabinets de curiosité, qui se manifestent dès la fondation de la préhistoire. Certains vont d’ailleurs au-delà des simples amateurs éclairés, comme le montre l’histoire de cette science jusqu’au milieu du XXe siècle, qu’ils soient issus des milieux scientifique (médecins, géologues, etc.), juridique (avocats), religieux ou de l’enseignement. Les convoitises sont également le fait de scientifiques « professionnels », même si la préhistoire ne fait que tardivement l’objet d’une formation spécifique. Les objets taillés dans une matière dure sont en effet les seuls éléments tangibles permettant de reconstituer la vie de nos lointains prédécesseurs. Diverses publications font état de l’intérêt de tous ces passionnés de préhistoire, de la seconde moitié du XIXe siècle au milieu du XXe, comme le montrent les quelques exemples qui suivent. En 1873, René de Maricourt détaille les stries d’un galet taillé découvert près de Gouvieux (Oise)1. En 1876, Charles-Alexandre Piètrement présente de même les caractéristiques d’une pointe de flèche, en silex taillé, provenant des Hublets (Marne)2. Quelques années plus tard, en 1911, Victor Le Coniat informe la Société préhistorique française de la découverte d’une hache polie de grande taille3, et en 1935 Léon Aufrère commente la controverse entre François Jouannet et C. Picard concernant les « haches ébauchées »4. Après la seconde guerre mondiale, en 1949, Maurice Prat fait état d’une hache polie de taille exceptionnelle à Saint- Pierre-du-Mont (Landes)5, tandis qu’en 1951, dernier exemple, Guy de Beauchêne publie un article

1 de Maricourt, 1873. 2 Priètrement, 1876. 3 Le Coniat, 1911. 4 Aufrère, 1935. 5 Prat, 1949. 69

concernant une pointe en schiste découverte au Tchad6. Enfin, cet attrait pour l’outil taillé touche une dernière catégorie que l’appât du gain motive : les faussaires, qui prolifèrent concomitamment avec le développement des antiquités préhistoriques. Ce fléau pour la vérité scientifique est d’ailleurs un phénomène ancien, antérieur au début officiel de la préhistoire en tant que science, et dont plusieurs pays sont victimes. Ainsi, en 1839, des pointes de flèches, débris de lances et de haches sont recueillies par le docteur Albert C. Koch dans une rivière du Missouri, au contact des restes d’un mastodonte. Après une période de doutes et de polémiques, elles se révèlent être récentes, fabriquées par des tailleurs locaux. De même, en Angleterre, un faussaire talentueux, Edward Simpson surnommé « Flint Jack » se livre à la pratique régulière de la taille, dont il fait une démonstration devant la Geological Society le 7 janvier 1862. En France, enfin, diverses controverses font la une des journaux et le centre d’intérêt des institutions les plus réputées. C’est le cas de l’affaire du Moulin-Quignon, en 1863, qui oppose scientifiques français et anglais. Le morceau de mandibule humaine mis au jour se révèle introduit par des ouvriers, et les pièces lithiques fabriquées par ces mêmes travailleurs de force alléchés par les primes promises en cas de découverte. C’est également le cas, dernier exemple, d’Emile-André Benoist (1845-1904), propriétaire d’une collection de haches de bronze, dont une expertise réduit à néant, en 1906, l’authenticité.

Un point commun semble se dégager de toutes ces affaires de faux. Des scientifiques compétents et expérimentés se font, à chaque fois, berner par des faussaires habiles. Si les techniques scientifiques du moment concernant la datation des pierres ne permettent pas de déceler les supercheries, force est de constater que les faussaires bénéficient parfois d’un avantage : une connaissance suffisante du processus de fabrication des outils préhistoriques acquise par l’expérience de la taille des pierres. Comprendre les modes de fabrication des outils préhistoriques, reconstituer la chaîne des diverses opérations devient donc une nécessité pour la communauté scientifique.

2- L’étude de l’outil taillé préhistorique : une pratique scientifique ancienne

Pour A. Leroi-Gourhan, la technologie est « l’étude de tout ce qui concerne l’action de l’homme sur la matière »7. En ce qui concerne plus spécifiquement la préhistoire, elle « s’attache à reconnaître les processus d’acquisition, de transformation, d’utilisation et de

6 de Beauchêne, 1951. 7

Leroi-Gourhan (dir.) (livre), 1988, p. 1030.

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consommation des divers matériaux et produits de la nature – qu’ils soient conservés ou qu’il n’en reste que des traces indirectes – par un groupe préhistorique »8. Dans ce domaine, l’expérimentation, c’est-à-dire la taille expérimentale, joue un rôle prépondérant car elle permet de tenter d’appréhender la pensée des premiers hommes. La méthode présente toutefois quelques limites. En effet, reconstituer le schéma mental de l’homme préhistorique ne permet pas de se substituer à lui, de déterminer avec précision ses gestes, ni même de comprendre son but. Dans cette quête, le préhistorien avance en tâtonnant, progresse par tests, observe des éléments de convergence et ne dispose, au final, que de présomptions ou d’intimes convictions. Toutefois, la taille expérimentale ne peut être écartée. L’outil, en effet, apparaît aux premiers temps de la préhistoire comme la frontière entre l’animalité et l’humanité. L’étudier, le reproduire, constitue un moyen d’apprécier les capacités cognitives du tailleur. Les informations que peut retirer le chercheur de la taille expérimentale des outils lithiques et osseux sont d’ailleurs multiples. Elles aident à comprendre, tout d’abord, les méthodes utilisées, à en apprécier le degré de complexité, à en suivre le déroulement et à reconstituer la chaîne opératoire du tailleur. Il devient alors possible de percevoir l’évolution des progrès conceptuels (le nombre d’opérations nécessaires, les qualités intrinsèques de l’outil, etc.), d’évaluer leur chronologie, d’apprécier leur continuité ou de constater d’éventuelles ruptures techniques. Ce qui est construit peut également être distingué de ce qui est fortuit. La taille expérimentale permet également de se pencher sur ce qui est relatif à une technique particulière en tentant d’apprécier la part des contraintes environnementales (la nature de la matière première, en particulier) et traditionnelles (c’est-à-dire la répétition de ce qui été appris des générations antérieures) de celle des choix propres de l’inventeur. Elles contribuent, de surcroît, à comprendre si les progrès sont limités par l’environnement ou par les capacités du tailleur. La taille expérimentale peut aussi donner des indications sur l’origine d’un progrès technique, qu’il soit le fait d’échanges, d’apports extérieurs ou de développements internes au groupe humain étudié. La taille expérimentale, enfin, favorise la reconnaissance d’un style, la perception du talent d’un tailleur, ce qui facilite la « lecture » des pièces lithiques découvertes sur un site. Elle permet ainsi d’apprécier si elles sont l’œuvre de quelques artisans experts, capables d’enseigner leur savoir-faire à des successeurs, tels des maîtres tailleurs du Moyen Age formant des apprentis lors des constructions des cathédrales ou si, au contraire, elles sont indistinctement produites par la plupart des membres du groupe.

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Leroi-Gourhan (dir.) (livre), 1988, p. 1030.

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L’intérêt bien réel de la technologie lithique, et en particulier de l’expérimentation, est perçu très tôt par la communauté de ceux qui s’intéressent à la préhistoire. Il se manifeste par de nombreuses publications. Ainsi, en 1873, Adrien de Mortillet (1853-1931) fait part de son expérience de la taille du silex, à l’occasion d’une excursion à Précy-sur-Oise9 : pression, percussion, éclatement au feu, enlèvement de lames. Il fait également référence, dans le même article, à la fabrication d’une hachette acheuléenne par L. Capitan. En 1907, le docteur Boudon expose à son tour sa pratique du travail du silex10 (production d’éclats, modes de débitage, préparation du nucléus, traces d’utilisation, retouches possibles), ce qui lui permet de distinguer ce qui relève ou non du travail humain. Certaines publications sont consacrées à un type d’outil spécifique. C’est le cas, en 1930, à propos de la taille du burin11. Les éléments techniques de fabrication y sont décrits avec détail (résistance à la rupture en fonction de l’obliquité de la ligne de fracture, position de la main pour tenir la pierre, etc.). D’autres travaux sont dédiés à un élément technique précis et permettent de déterminer les causes d’échec du processus de fabrication :

« L’écartement de ces points nous a démontré qu’avec un percuteur ordinaire, il était impossible d’obtenir ces éclats que nous ne retrouvons du reste pas dans le Paléolithique inférieur. Nous pensons que les cônes visibles sur les pièces sont dûs à un mauvais point de frappe ou au manque de précision du coup : ces éclats sont en général mal venus et nous n’en trouvons que très rarement d’analogues dans les stations préhistoriques. »12

Diverses publications, enfin, sont consacrées exclusivement à l’étude d’une matière première particulière telle, à titre d’exemple, l’obsidienne13.

Dans la première moitié du XXe siècle, l’étude des méthodes utilisées par les hommes préhistoriques pour la fabrication de leurs outils fait donc partie intégrante du domaine d’investigation des préhistoriens, amateurs ou institutionnels comme l’abbé Breuil. Certains d’entre eux, comme Hyppolite Müller (1865-1933), préhistorien autodidacte, et Léon Coutier, la développent même au point d’en faire une part majeure de leur production scientifique. La technologie, de surcroît, commence à faire l’objet d’une théorisation. Ainsi, A. Leroi-Gourhan publie en 1943 un ouvrage intitulé L’homme et la matière14. Au delà même de la préhistoire, il y expose les moyens d’action sur la matière que permettent les

9 de Mortillet A. (a), 1892. 10

Boudon, 1907.

11 Coutier et Cabrol, 1930.

12 Coutier, Brisson et Duval, 1928, p. 348. 13 Cabrol et Coutier, 1932.

14

Leroi-Gourhan (livre), 1943.

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éléments naturels (le feu, l’air, l’eau) ainsi que les diverses techniques de fabrication d’un outil en fonction de la nature de la matière travaillée (solides stables, fibreux, semi- plastiques, plastiques, etc.). En 1945, il complète cette étude par un second traité, Milieu et

technique15. En examinant divers procédés utilisés pour la production d’instruments de la vie courante (armes, chasse et pêche, agriculture et élevage), il analyse l’origine et la diffusion des techniques (invention, emprunt) et présente les modalités de leur évolution. Marcel Mauss (1872-1950), considéré par certains comme le fondateur de l’anthropologie française, apporte également une contribution importante à la théorisation de la technique dans le cadre de diverses publications. En 1947, en particulier, dans son ouvrage Manuel

d’Ethnographie16, il s’interroge sur le concept de civilisation et sur les fondements de la technologie.

C’est dans ce contexte que s’inscrit F. Bordes dès le début des années 1950. S’il ne publie pas d’ouvrage théorique concernant la place de la technologie dans la vie préhistorique, il insuffle une nouvelle dynamique à la pratique régulière de la taille des outils préhistoriques, dont il fait un élément indispensable à toute étude de leurs industries : « J’ai moi-même fabriqué […]. L’entraînement joue, il est vrai, un rôle important dans la taille »17 . L’intérêt de F. Bordes pour la taille de pièces n’est d’ailleurs pas récent. Selon D. de Sonneville-Bordes, ses premières expériences remontent à son adolescence lorsqu’il fabrique ses premiers bifaces et pointes de flèches au collège de garçons de Villeneuve-sur-Lot18. Au delà de ces travaux de jeunesse, la technologie des outils préhistoriques, plus spécialement celle concernant l’industrie paléolithique, représente une part importante de son œuvre tout au long de son parcours scientifique. Cet intérêt se traduit de diverses façons. Par de nombreuses publications, tout d’abord, dont tout ou partie est consacré à la production des instruments nécessaires à la vie quotidienne des hommes préhistoriques. Il se manifeste par l’organisation d’un séminaire en 1964 aux Eyzies-de-Tayac (Dordogne) avec des préhistoriens américains et canadiens permettant de confronter diverses techniques de fabrication. Il se traduit également par de multiples démonstrations de taille (tant en France que dans divers autres pays). Il se concrétise, de surcroît, par l’illustration d’ouvrages, la participation à un film documentaire destiné à un large public ainsi que par une abondante

15 Leroi-Gourhan, (livre), 1945. 16 Mauss (livre), 1947.

17 Bordes (a), 1969, p. 110. 18

de Sonneville-Bordes (b) (nécrologie et hommage à F. Bordes), 1995, p. 92.

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correspondance scientifique. La taille expérimentale, enfin, contribue à la renommée internationale de F. Bordes, dont bénéficie la réputation de l’Institut du Quaternaire.

Les thèmes abordés par F. Bordes dans ses publications sont très divers et démontrent le souci d’une compréhension globale de l’ensemble des éléments impactant le processus d’élaboration des outils. Ils peuvent être regroupés en quelques points majeurs qui font l’objet d’autant de développements successifs dans cette étude. Tout d’abord les moyens dont disposent le tailleur, c’est-à-dire la matière première qu’offre l’environnement (pierres, bois, ossements) et les instruments utilisés dans la fabrication. Les diverses méthodes de façonnage, de débitage et de retouche, ensuite, qui permettent de reconstituer le processus intellectuel. Troisièmement, le nucléus, au cœur du projet de création, ainsi que les éclats et les lames qui en sont le résultat. Enfin, F. Bordes fait part de ses interprétations concernant l’efficacité des diverses méthodes pour faire parler l’outil taillé.

3- Matière première, instruments de travail et énergie : les moyens à disposition

La matière première est, depuis l’origine de la technologie, le socle de base de toute fabrication. Avant d’être capable de la modifier par des alliages ou des mélanges, ou d’être en mesure de créer des matières qui n’existent pas naturellement, l’homme se trouve contraint par son environnement. Il ne peut que recueillir celle qui se trouve à proximité, se déplacer sur de plus ou moins longues distances pour obtenir ce que son entourage immédiat ne lui procure pas, ou procéder à des échanges avec d’autres groupes humains. Pour l’homme préhistorique, la matière première que lui offre son écosystème est diverse. Elle peut être constituée d’éléments durables dont divers vestiges sont parvenus jusqu’à nous : ce sont essentiellement les pierres, le bois et les ossements. Elle peut également être formée d’éléments biodégradables, qui laissent parfois quelques traces ou empreintes, ou qui peuvent être raisonnablement imaginés par les chercheurs : c’est en particulier des éléments collants (résine, glue, etc.) ou des liens divers (tendons, tiges végétales).

L’approche de F. Bordes concernant la matière est celle d’un observateur attentif, d’un praticien, d’un expérimentateur écrit-il : « La préhistoire, jusqu’à présent surtout classificatrice, gagnerait à devenir plus expérimentale. »19 Contrairement à sa manière d’aborder la stratigraphie, inspirée des procédés utilisés dans le cadre de la granulométrie, sa

19

Bordes (a), 1969, p. 117.

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démarche ne se manifeste pas par des méthodes empruntées à la géologie. A propos des roches, en effet, ses propos ne relèvent que rarement de la minéralogie ou de la pétrographie, c’est-à-dire de l’étude de la nature, de la composition chimique ou des propriétés physiques des minéraux. Les diverses publications de F. Bordes dont les passages se rapportent aux roches relèvent donc essentiellement de la présentation générale, de la description et de la transcription d’expériences. Ainsi, en 1947, il énumère les diverses roches dures utilisées par les tailleurs préhistoriques20. Le silex, tout d’abord, de différentes variétés et aux formes diverses (rognon, galet, plaque). Selon F. Bordes, il devient impropre à la taille s’il subit l’action de la gelée ou du soleil, mais l’eau de carrière ne joue, selon lui, aucun rôle significatif sur ses qualités intrinsèques. En praticien expérimenté, il fait part des possibilités qu’offre cette matière :

« Le silex qui possède le grain le plus fin n’est pas celui qui se taille le plus facilement. Il permet une retouche plus fine, mais est plus difficile à faire éclater. Certains silex, ceux du Bergeracois, par exemple, donnent aisément de grands éclats. Les silex cornés s’y refusent. »21

Outre le silex, F. Bordes décrit les diverses autres matières premières exploitées par les tailleurs de la préhistoire, en appréciant leurs qualités pour la production d’outils. C’est le cas de la calcédoine, qu’il reconnaît n’avoir jamais expérimentée, ainsi que du jaspe, d’aspect esthétique mais difficile à travailler. Dans un article écrit conjointement avec D. de Sonneville-Bordes en 1954, F. Bordes en signale la présence sur le site de Laugerie-Haute (Dordogne), pour une industrie lithique appartenant à l’Aurignacien V : « Soumis à l’examen de M. J. Ravier, au Laboratoire de Géologie de la Sorbonne, le jaspe de Laugerie-Haute s’est révélé en plaque mince, absolument comparable en structure à un échantillon de Fontmaure. »22 Le quartz, fréquemment exploité, est de qualité médiocre selon F. Bordes, hormis le quartz hyalin. Ce dernier est parfois utilisé pour la fabrication de bijoux ou de pièces lithiques particulières, telles les feuilles de laurier solutréennes découvertes par Elie Peyrony (1897-1989) à Laugerie-Haute (Dordogne)23. Les quartzites, ainsi que le grès, constituent selon lui une solution de substitution lorsque le silex manque, mais ils se prêtent moins bien à la taille. Certains calcaires peuvent être exploités, lorsqu’ils sont suffisamment denses, avec un grain assez mince. F. Bordes signale la présence particulière d’éclats en

20 Bordes (b), 1947. 21 Bordes (b), 1947, p. 2.

22 Bordes et de Sonneville-Bordes (e), 1954, p. 68. 23

Peyrony et Bordes, 1971, p. 265.

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calcaire, découverts par M. Bourgon, à Saint-Cyprien (Dordogne). Leur taille intentionnelle paraît certaine, ce qui lui semble remarquable dans une région où le silex abonde24. Il évoque également les schistes, qui peuvent être travaillés, à défaut de matière première plus performante, ainsi que les roches éruptives qui, à de rares exceptions, sont difficilement exploitables pour la production d’outils. En ce qui concerne l’obsidienne, elle constitue selon lui le matériau pour la taille mais présente cependant une grande fragilité. Enfin, il signale également deux autres supports utilisés pour l’expérimentation : le verre, de qualité variable, et le laitier de haut-fourneau, dont les avantages semblent comparables à ceux de l’obsidienne. Peu de publications ultérieures de F. Bordes exposent avec autant de précision les possibilités de taille offertes par les roches dures, si ce n’est quelques articles généraux, à destination d’un large public, consacrés à la vie quotidienne des paléolithiques. Ainsi, en 1971, il décrit les lieux où l’homme préhistorique peut obtenir les pierres recherchées :

« le silex se trouve tout dégagé dans les alluvions de rivières, dans les coulées de solifluxion, dans les éboulis de pentes, dans les argiles provenant de la décomposition des calcaires. […] Les grès et les quartzites se trouvent généralement en bancs. Là aussi, on a pris avantage des actions naturelles (galets de rivières, blocs détachés par le gel, mais non gelés eux-mêmes, etc.) »25

Enfin, en 1972, il ne fait aucun doute pour F. Bordes que le choix de la matière lithique utilisée influe sur l’utilisation des outils fabriqués : « Souvent, l’outillage est mixte, les outils fins étant en silex ou obsidienne, les outils plus grossiers en basalte, quartz ou quartzite. L’homme savait choisir la matière selon le travail que l’outil devait effectuer. »26

En ce qui concerne d’autres matières premières, telles que l’os et le bois, F. Bordes est moins disert. En effet, l’os est plus spécifiquement utilisé au Paléolithique supérieur, tandis que les vestiges en bois sont plus rares. Il aborde cependant ces matériaux dans quelques études particulières. En 1952, tout d’abord, il détaille des expériences concernant des armes de jet, que ce soit des flèches ou des propulseurs :

« La sagaie de propulseur tire sa force de pénétration, comme le javelot, principalement de son poids ; le fût pèse largement plus que la pointe et l’asymétrie de la répartition du poids dans celle-ci est d’importance plus que médiocre. Nous avons fait, vers 1936, des expériences à ce sujet : une sagaie de 250 grammes environ, armée d’une pointe de la Gravette de taille moyenne, non empennée, nous a permis, avec un propulseur de 0m45 de long, des portées dépassant facilement 100 mètres, et, pour des

24 Bordes et Bourgon (b), 1948, p. 335. 25 Bordes (c), 1971, p. 15. 26 Bordes (c), 1972, p. 16. 76

portées de l’ordre de 30 mètres une précision acceptable. Chose importante, la stabilité

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