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Techniques spécifiques d’anesthésie : analgésie auto-contrôlée (ACP) et analgésie loco-régionale

(ALR)

Pr Fréderic AUBRUN1, Dr Éric BURES2

1 Hôpital de la Croix-Rousse, Dépt d’Anesthésie-Réanimation, Lyon,

2 Hôpital de Girac, aneshésie, Saint Michel

1. Analgésie contrôlée par le patient

En douleur aiguë, en particulier après un acte chirurgical, l’ACP par voie intraveineuse est une technique fiable puisqu’elle permet au patient de gérer sa propre souffrance, sans dépendre d’une infirmière ou d’un prescripteur. Lors d’un audit réalisé en 1993 (1), on a constaté que seuls 2 % des patients bénéficiaient de cette technique d’analgésie, les patients étant d’ailleurs gardés en salle de surveillance post-interventionnelle par crainte du risque d’effets secondaires de la morphine.

Ce constat a entrainé une prise de conscience des Pouvoirs Publics et des Sociétés savantes, de l’urgence de mettre en œuvre une politique d’achat de matériel et de formation du personnel à l’usage de ces pompes d’analgésie mais aussi de dédiabolisation de la morphine par une informa-tion destinée à inteninforma-tion des acteurs de soins et des patients. Lors d’un nouvel audit réalisé en 2007 auprès de 2000 patients, le pourcentage de bénéficiaires d’une ACP a été multiplié par 10 (2). Ce mode d’administration s’est développé par voie transdermique (dispositif iontophorétique) et par voie sub-linguale. De même, les techniques d’analgésie loco-régionales (ALR) auto-contrôlées, essentiellement par voie périmédullaire, se sont développées avec par exemple, des dispositifs de type PCEA (patient-controlled epidural analgesia = analgésie auto-contrôlée par voie péridurale).

Les indications sont nombreuses dans le cadre de chirurgies à douleur modérées à sévères prédic-tibles (2-5).

2. Analgésie loco-régionale

L’ALR a de nombreuses indications tant en douleur aiguë qu’en douleur chronique, en particulier à domicile. Cependant, de nombreux freins à la sortie des patients ambulatoires sont rapportés depuis la fin des années 1990, dont certains sont toujours d’actualité.

1. La législation est en faveur de l’utilisation de la Naropéine® pour de courtes durées (moins de 3 jours) : l’AMM de la Naropéine®. La rétrocession du produit (6) depuis 2006, a été confirmée en 2009 puis par l’arrêté du 26/4/2012, ce qui interdit néanmoins son utilisation au long cours.

2. L’article 18 de la loi du 29/12/2011 – N°2011-2012 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (7) précise : «Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise

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sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation, sous réserve : que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique du patient ». Cependant le produit est à la charge du malade.

3. Le plan douleur 2006 – 2010 dans sa mesure n°18 propose de (8) : « Définir les critères d’éli-gibilité des patients pouvant bénéficier, à leur domicile, de traitements antalgiques réalisés notamment dans le cadre de la chirurgie ambulatoire et de la prise en charge de la douleur chronique rebelle (principalement injection d’anesthésiques locaux à l’aide de cathéter péri nerveux) et déterminer les conditions de leur utilisation à domicile. Favoriser l’accès à certains médicaments utilisés hors AMM, au domicile du patient, dans le cadre de la prise en charge de la douleur chronique rebelle et en fin de vie, en définissant les conditions d’utilisation et les modalités de prescription de ces traitements, ainsi que la nécessaire formation des personnels concernés, notamment dans les centres de soins infirmiers. » Malheureusement cette mesure est la seule à ne pas avoir été évaluée.

4. L’ANSM (Ex-AFSSAPS) en 2010 aborde les différentes techniques et produits pouvant béné-ficier aux patients douloureux chroniques en situation palliative (9) et notamment les moda-lités d’utilisation, notamment hors-AMM, de certains médicaments, mais n’aborde pas les traitements par cathéters péri nerveux.

5. L’ANSM publie en 2012 un protocole d’utilisation à domicile de Ropivacaïne® à 2 mg/ml en perfusion continue, dans un cathéter péri nerveux, dans le cadre de la douleur aigue pos-topératoire, pendant 72 heures (10), alors que ce traitement n’est pas en conformité avec la Nomenclature Générale des Actes Infirmiers (NGAI).

6. La nomenclature des actes infirmiers, revue en 2014 (11), précise dans son chapitre « per-fusion  » que les seules injections pouvant faire l’objet d’une rémunération sont les voies veineuses, les voies sous cutanées et les voies endorectales. La voie péri nerveuse n’est pas inscrite, alors que les infirmières libérales ont une cotation prévue pour des perfusions intra rachidiennes (cathéter péridural ou intra rachidien). La HAS avait pourtant redéfinit la perfusion à domicile en 2010 (12) : « la voie périphérique concerne tous les vaisseaux en dehors de ceux de la voie centrale et englobe la voie intraveineuse, la voie sous-cutanée et la voie péri nerveuse. »

7. La méconnaissance des textes est à l’origine de polémiques pour ces traitements à domicile. La confusion est encore trop fréquente entre analgésie et anesthésie. Le décret de compétence infirmier est souvent mal interprété et sont mélangés les compétences des Infirmiers Anes-thésistes Diplômés d’Etat (IADE) au bloc opératoire et celles des Infirmiers Diplômés d’Etat (IDE) en ville. L’article R 4311-12 du code de santé publique précise que l’infirmier anes-thésiste diplômé d’état, est seul habilité, à effectuer des injections à visée anesthésique dans un dispositif d’ALR. L’article R4311-9 indique que l’infirmier diplômé d’état est habilité à accomplir des injections de médicaments dans des cathéters placés à proximité d’un tronc ou d’un plexus à condition qu’un médecin puisse intervenir à tout moment. Pour certains pro-fessionnels de santé cela signifie que le médecin doit être sur place, ce qui rendrait probléma-tique le traitement de la douleur non seulement à domicile mais également dans bon nombre d’établissements de soins où le médecin est d’astreinte. D’autres professionnels confondent Ropivacaïne® à 7.5 ou 5 mg/ml (anesthésique) et Ropivacaïne® à 2 mg/ml (analgésique). Ces ambiguïtés permettent des interprétations qui sont pour certains restrictives et placent les professionnels de santé dans une situation inconfortable. La perfusion à domicile a fait l’objet d’un texte réglementaire (arrêté du 12 avril 2016) portant modification des modalités de prise en charge de dispositifs médicaux de perfusion (13). Il précise le rôle des prestataires

la voie péri nerveuse. Il précise même la rémunération des prestataires de service pour des durées de perfusion de 3 semaines.

3. Actions à mettre en œuvre pour l'ALR

Des solutions existent pourtant. Le réseau SOS Douleur Domicile œuvre depuis 2004 pour ces traitements à domicile. Plus de 3 000 patients ont bénéficié de 100 000 jours de cathéter d’ALR à domicile ces 10 dernières années avec des résultats exemplaires sur la douleur en toute sécurité.

Les freins au traitement de la douleur par l’ALR à domicile pourraient être levés. L’AMM du pro-duit doit être demandée par l’industrie, mais faute de rentabilité, il y a peu d’espoir. Cependant les textes cités plus haut permettent de s’affranchir en partie de cela, notamment en situation pallia-tive. La NGAI pourrait préciser la voie périphérique au lieu d’énumérer des voies dont certaines (la voie endorectale) ne sont pas utilisées. Cela permettrait aux infirmières libérales de prétendre à une rémunération.

Mais le problème le plus sensible vient du code de santé publique et de la potentielle nécessaire intervention du médecin à tout moment. Les traitements par cathéters péri nerveux, ces 15 der-nières années, n’ont nécessité aucune intervention physique du médecin. La DHOS en 2003 ne s’était pas trompée en répondant « concernant la possibilité à tout moment d’intervention d’un médecin : le décret répond à un objectif sécuritaire puisque seul le médecin peut débuter le traite-ment ce qui nécessite sa présence physique. Pour les autres injections, c'est-à-dire le branchetraite-ment des perfusions autres que la première, le décret est moins restrictif. Il autorise que le médecin ne soit pas physiquement présent mais puisse intervenir. Cela suppose, qu’à tout moment, un médecin puisse être contacté et puisse effectivement intervenir. »

Aucune des nombreuses démarches entreprises ces dernières années auprès du ministère de la Santé et des Affaires Sociales ministériel n’ont abouti, malgré l’intervention de députés à la Chambre (notamment Monsieur Jean Claude Viollet, le 27 avril 2010)

Le soulagement de la douleur aigue ou chronique, lorsqu’elle est accessible par un cathéter péri nerveux et une infusion continue d’anesthésiques locaux est possible à domicile. C’est le traite-ment sécuritaire dont tous les aspects sont maitrisés depuis de nombreuses années. Il appartient aux personnalités politiques, aidées par les sociétés savantes, de se positionner afin de faire sauter les derniers verrous qui empêchent les infirmières libérales d’exercer leur métier en toute sérénité.

4. Analgésie multimodale : quels sont les risques ?

Toutes les techniques combinant différentes voies d’administration pour différents antal-giques ont permis d’améliorer le confort des patients. C’est le principe de l’analgésie multi-modale.

Toutefois, le développement de l’analgésie multimodale n’est pas sans risque : il apparait après analyse de la littérature que le nombre d’accidents liés à l’injection par voie périmédullaire de produits destinés à la voie parentérale (ou encore d’anesthésiques locaux injectés par voie intravei-neuse) n’est pas négligeable avec un risque de morbi-mortalité élevé. A titre d’exemple, 55 cas ont été recensés à l’échelle mondiale d’injections accidentelles intrathécales - le plus souvent mortelles - d’agents de chimiothérapie destinés à la voie intraveineuse (14). Ce risque concerne également la gestion de la douleur aiguë (15) et en particulier celle de la parturiente (16).

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Un des moyens de réduire le risque est par exemple de rendre incompatible le matériel d’injection IV avec les cathéters ou aiguilles destinés à la voie périmédullaire. C’est le principe du détrom-page (Un détrompeur est un dispositif, généralement mécanique, permettant d’éviter les erreurs d'assemblage, de montage ou de branchement). Une nouvelle norme ISO a donc été proposée en 2016 afin d’éviter les erreurs de raccordement: L'ISO 80369-6:2016. Des dispositifs médicaux de type NRFit™ sont donc en cours de fabrication par les industriels avec une application au niveau de l’anesthésie, de l’analgésie et de l’oncologie. Actuellement, ce changement majeur n’est pas porté par les Agences ou les Autorités sanitaires en France.

5. Action à mettre en œuvre en ALR

Relayer l’information et accompagner les changements de matériel dans le cadre d’une vaste cam-pagne axée sur la sécurité. Ce dispositif doit remplacer les précédents (notamment les connections LUER™ pour l’ALR) dans les deux ans à venir.

Anesthésie et douleur