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Tableau 9.2 : Venues des enfants des jardinières rencontrées, selon leur tranche d’âge

Age des enfants < 11 ans > 11 ans

Nbre de foyers 8 12

Nbre de foyers où les enfants viennent dans le jardin 6 2

Source : Auxane Tertrais, 2014 (d’après questionnaires)

Le travail symbolique cherche alors à inscrire l’appropriation dans la durée, à la légitimer en la rendant naturelle, afin d’éviter un retour permanent à son affirmation discursive ou matérielle, notamment si le contexte social y est défavorable (Veschambre, Ripoll, 2002). Au fondement de la notion de territoire, l’appropriation de l’espace et ses différentes modalités oriente vers l’analyse des pratiques, des processus et des relations, dans un double registre matériel et idéel. Raisonner en termes d’appropriation, c’est à dire de dynamiques et de relations, permet de mieux saisir la nature à la fois matérielle et idéelle des rapports à l’espace comme des rapports sociaux. De lieu symbole à l’échelle du quartier, le jardin deviendrait-il un territoire à celle de ces usagers ?

3. Quelles perceptions pour quelles formes d’appropriation ?

Afin d’appréhender l’espace où évolue le jardin comme un lieu transformé (reconstruit, repensé) perçu et vécu, la notion de territoire à laquelle le lieu se réfère en tant que partie symbolique et constructrice d’un tout se doit d’être introduite. Pour clarifier cette pensée, nous nous référons à la figure de rhétorique utilisée par Bernard Debarbieux dans son article « Le lieu, le territoire et trois figure de rhétorique » (1995) qui propose que le lieu est au territoire ce que la voile est au navire. Transposée au jardin partagé en pied d’immeuble du quartier du Moulin Neuf qui est en sortie de rénovation urbaine, cette rhétorique propose l’existence d’un rôle symbolique que le jardin pourrait être susceptible de jouer dans la redéfinition de l’identité du quartier du Moulin Neuf, souhaitée et attendue à la suite de sa réhabilitation (croquis 1.1). Mais lorsqu’on observe la définition du territoire que Jacques Lévy (1993) propose, un nouveau regard peut se poser sur le jardin, l’insérant alors dans un jeu de rôle à échelles multiples (croquis 1.2).

En effet, Jacques Levy propose une définition géographique du territoire et de la territorialité qui « évoque une zone contrôlée par un individu ou un groupe, contrôle qui s’accompagne d’un marquage territorial évocateur d’une identification psychologique de l’individu à son territoire » (Lévy, 1993). Il s’agit alors d’observer le jardin sous deux angles différents :

- Le premier angle est celui qui le conçoit comme un lieu symbolique au sein du quartier porteur d’une

mission spécifique, c’est-à-dire, un outil mit en place par les élus (la DNPB) et un gestionnaire d’espaces résidentiels (I3F) afin de sensibiliser les habitants du quartier au enjeux de la préservation de la biodiversité et, plus globalement, aux enjeux de Nature en Ville. Ainsi, dans l’idée d’appréhender, la

57 qualité pédagogique du jardin – le lieu – pour les jardinières et plus globalement les habitants du quartier – le territoire – (demande de l’ODBU) ainsi que des mesures dans lesquelles il répond aux enjeux de Nature en Ville (demande du MNHN), il s’agit de rendre compte des symboles auxquels il renvoie pour ses usagers, expressions de leurs différentes perceptions de cet espace en (re-)construction. - Et pour ce faire, il faut étudier le jardin sous le second angle, celui qui l’appréhende comme un

territoire, porteur de normes, valeurs et de symboles, où chacune de ses composantes (bacs, composts, plantations hors-sols et aromatiques, cabane, grille) et leurs pratiques sont révélatrices de différentes formes et modalités d’appropriation du jardin et de ce qu’il représente pour les jardinières.

Croquis 1.1 : L’enjeu symbolique du jardin – lieu – pour le quartier – le territoire.

Source : Auxane Tertrais, 2014

(d’après observations février – mai 2014)

Croquis 1.2 : Le jardin partagé du Moulin Neuf, du lieu au territoire ?

Ce croquis illustre le jardin et ses composantes pratiquées (entrée fermée à clef par une grille, cabane, bacs à compost, cultures hors-sol dans les bacs, cultures au sol préparées lors des ateliers animés par Le Sens de l’Humus.

58 Mettant l’accent sur les processus et les rapports à l’espace plutôt que sur l’espace proprement dit, le territoire, défini par des lieux symboliques (« science des lieux », Vidal de la Blache), apparaît comme un espace social régit par les interactions et actions réciproques des individus qui le bâtissent, l’animent et, finalement, se l’approprient d’une manière ou d’une autre. Or il existe autant de formes d’appropriation que de lieux, d’individus et de cultures, c’est peut-être ce pourquoi cette notion est employée et indexée à de très nombreuses reprises dans les différents dictionnaires de géographie, sans pour autant qu’on en trouve une définition claire et formelle dans les différents dictionnaires de géographie (Veschambre, 2005). Pour reprendre la pensée de Jacques Lévy, le géographe a beaucoup à apprendre de la sociologie (celle de Louis Wirth), c’est pourquoi je m’attacherai à cette approche de l’appropriation qui replace au cœur de sa problématique la dimension collective du processus d’appropriation de l’espace résidentiel, avec ses conflits et enjeux de positionnement social.

Dans un premier temps, l’observation de leurs différentes conceptions du partage du jardin permet de rendre de compte que leurs perceptions s’ancrent dans un double registre, l’idéel et le matériel.

Dans un second temps, il s’agira de mettre en exergue les motivations qui semblent les avoir guidés à s’inscrire et s’investir dans le projet de jardin partagé, ainsi que les sentiments qu’elles en retirent. Pour cela, l’attention se porte sur leurs regards, sur leurs différentes manières de se représenter et d’utiliser le jardin : pourquoi avoir choisi de participer ? Que leur apporte-t-il ? Comment s’y investissent-elles ?

Enfin, à partir de leurs définitions de la « nature » et de leurs perceptions de cette dernière dans le quartier et dans la ville de Stains, nous rendrons compte de leur entendement de la « nature » et de ce qu’elle représente pour elles. M’interrogeant sur leur sensibilisation aux enjeux de Nature en Ville, je les ai questionné quant à la présence et leur fréquentation d’espaces verts ainsi que sur leur entendement et recours à de nouvelles pratiques écologiques. Endosse-t-il un rôle au sein du quartier ? En d’autres termes, exerce-t-il un pouvoir particulier sur la manière dont elles pratiquent et utilisent leur quartier et les espaces de « nature » (auxquels il est supposé renvoyé) de manière plus général ?

3.1 Des perceptions à dominante idéelle ?

Le partage étant à l’essence même du jardin, de connaître son étymologie nous apportera une meilleure compréhension du mot. Du latin partes qui signifie « faire des parts, des potions » et agere qui signifie « pousser, faire, agir », le partage est défini comme étant « la division d’une chose en plusieurs

portions ou l’action d’avoir part à quelque chose » (Dictionnaire de l’Académie française, 8ème édition). Il semble ainsi engager plusieurs personnes sur un point commun et les amenant à considérer l’autre partie. Etant donné que le jardin est partagé entre presque trente personnes, j'ai demandé à chacune des quatorze jardinières composant l’échantillon interrogé ce que cette notion signifiait pour elles. Plusieurs sens du partage sont alors ressortis à partir de leurs différentes définitions qui ont été organisées dans le tableau suivant (tableau 10).

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