ECOUTER CES CONTES BERLINOIS
CHAPITRE 7 : UN PASSÉ PRESSANT
1. Raconter hier
1.1 Témoignages, récits, souvenirs
1. Raconter hier
1.1 Témoignages, récits, souvenirs
1.1.1. Raconter la guerre
Voyager à Berlin et en rapporter les paroles, c’est également écouter les souvenirs et les récits sur le passé des familles, de la ville, de l’Allemagne, de l’Europe. C’est une immersion dans les mémoires, souvent douloureuses, d’une époque pas si lointaine que cela, la Seconde guerre mondiale et ses horreurs sont sur toutes les bouches. Tandis que les journalistes et producteurs questionnent, les Berlinois racontent, se confient sur ce qu’ils ont vu, petits, sur ce que leurs parents ont fait ou dit. Ainsi les différentes émissions abordent au fil de la décennie, sous de nombreuses formes ces époques révolues, mais qui au sons des voix, renaissent.
Les Berlinois racontent leurs souvenirs d’enfance, notamment pendant la Bataille de Berlin131, et évoquent les ruines, les flammes, les maisons détruites, mais
également la présence des Russes dans la ville. Sabine pour les Nuits Magnétiques de Marguerite Gateau raconte en détails cette époque, et notamment les nombreux viols qu’a subi sa mère au cours de l’occupation soviétique, à la chute du IIIe Reich. Nombreuses sont les voix qui racontent cette période de chaos qui a suivi la fin de la guerre. Ce sont souvent les premiers souvenirs évoqués, ce sont les choses vécues frontalement par les Berlinois qui témoignent. Ils étaient enfants, et vivaient à Berlin, ils regardaient la ville en ruine, « des images des maisons détruites, des corps morts sur la rue, des ruines tout ça en noir. 132» La Seconde guerre mondiale
est donc souvent évoquée par ce biais, des souvenirs d’enfance, un peu flous, de désolation et de perdition. C’est une approche et des témoignages plutôt rares sur cette période de chaos. En évoquant la guerre, les journalistes et les producteurs de Radio France recueillent également de nombreux témoignages de Juifs berlinois
131 Assaut de l’Armée Rouge sur les forces de la Wehrmacht à Berlin, qui amorce la chute du IIIe Reich. Les pertes humains, civils et militaires furent énormes ainsi que les pertes matérielles : le centre-‐ville de Berlin fut détruit à plus de 70%.
rescapés, qui racontent leur exil, l’antisémitisme ou les camps. Ainsi les témoignages s’entremêlent en évoquant l’Histoire, des souvenirs d’enfants, aux récits terribles de lynchage collectif et de déportation. L’histoire allemande s’évoque ainsi à travers différentes voix, différents regards. Les mémoires et les victimes sculptent les milles facettes de cette guerre, qui ne s’oublient pas et continuent de soulever nombreuses interrogations. Ainsi, quant à l’antisémitisme allemand et à l’exécution de la Solution finale, la décennie recueille le témoignage notamment de Dora Schaul, une Berlinoise née dans une famille juive qui entra en Résistance à Lyon, et qui raconte notamment, lors de la Journée exceptionnelle de France Culture sa participation au procès de Klaus Barbie.
1.1.2 Rêver des années 1920
Les récits et les souvenirs de guerre s’égrainent au cours de la décennie radiophonique, et l’histoire de Berlin se dessine autour des cadavres laissés par le Seconde Guerre mondiale. Pas de nostalgie pour une autre époque, pas d’autres histoires, pas d’autres souvenirs, tout converge autour de cette guerre, selon la volonté des producteurs et des journalistes. Aller à Berlin, c’est évoquer cette époque monstrueuse. Malgré tout, une seule autre époque se galvanise de nostalgie dans la bouche des Berlinois : il s’agit des années 1920, de l’âge d’or de Berlin. Beaucoup d’habitants évoquent cette période, qu’ils n’ont pourtant pour la plupart pas vécue, mais qu’ils idéalisent. La nostalgie pour un temps inconnu mais fantasmé, idéalisé. Comme-‐ci cette décennie fut la dernière d’insouciance que connu la ville. Laboratoire d’expérimentations, de théâtre, de danse, de cabarets, de musique, tout se passe à Berlin et toute l’Europe regarde Berlin. « « Regardez-‐moi », claironnait la capitale allemande, fière jusque dans le désespoir. « Je suis Babel, la pècheresse, le monstre parmi les villes. Sodome et Gomorrhe réunies étaient loin d’être aussi dépravées, aussi misérables que moi ! (…) De la débauche, encore de la débauche ! Ce n’est pas le choix qui manque ! Ici, il s’en passe, des choses, mesdames et messieurs, il ne faut pas rater ça ! 133», raconte ainsi Klaus Man134 en 1923. Ce qui
133 MANN, Klaus, in Journal, in « GILLEN, Eckart, « Quand j’entends le mot culture, je sors mes subventions », in Berlin, le ciel partagé, sipra, p. 167
permet de saisir cette atmosphère si joyeuse, si insouciante de cette période. Le poète Emett William, installé à Berlin dit à ce propos au micro de René Farabet pour
l’Atelier de Création radiophonique « Vivre à Berlin dans les années 20, sous la
République de Weimar, franchement je me promène dans la ville et je cherche des allusions, des clés de ce passé. Une image nostalgique des années 20.135»
Et lorsque les années 1920 rencontre l’expérimentation cinématographique, « Berlin, symphonie d’une grande ville » voit le jour, en 1927. Il s’agit d’un film sonore, non parlant, de Walther Ruttman, mis en musique par Edmund Reisel. Film qui raconte Berlin, dans l’effervescence des années 1920, du lever du soleil, au crépuscule. C’est une ode à la modernité, à la vitesse, à l’euphorie de cette ville dans un temps d’entre-‐deux guerre joyeux. Marguerite Gateau au cours de la Journée exceptionnelle interroge un compositeur français qui s’est inspiré de ce film et de sa musique, mais déclare cependant en préambule de cet entretien « Nous avions décidé de ne pas parler des années 1920, mais évidemment nous avons fait une exception. Il s’agit de Walhter Ruttman.» Comme-‐ci l’évocation des années 1920 était à éviter, car il s’agit d’un Berlin fantasmé, tandis que « Berlin, ville invisible» tente de peindre un paysage actuel et concret de la ville. Quant à l’Atelier de Création
Radiophonique, il diffuse l’intégralité du film sonore « Wochenende136 », soit 11
minutes 30 de bruitages, d’ambiances, plus ou moins confuses. Il s’agit d’un extrait de « Berlin, symphonie d’une grande ville ». France Culture diffuse ainsi ce qui pourrait s’apparenter à l’un des premiers documentaires de création sonore, et il s’agit d’un portrait de Berlin capté dans les années 1920.
1.2 Un certain goût pour le sensationnalisme ?
-‐ Quel rapport avez-‐vous à ce passé ? Quelles images gardez-‐vous de cette époque ? Que faisaient vos parents ? Vous en parlent-‐ils ? – Les questions et les
134 Klaus Mann (1906-‐1949), fils de l’écrivain Thomas Mann, lui-‐même écrivain, s’illustre par sa littérature de combat envers le régime nazi, qu’il fuit d’ailleurs pour la France. Dans les années 1920, il fréquente les cabarets berlinois, et rapporte ces expériences dans un journal, publié par la suite. 135 Atelier de Création radiophonique, « Berliners », France Culture, 1987