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3 Les voies de communication

4.1 La Tène finale

4.1.1 Introduction

Il est devenu coutumier de caractériser l’habitat de cette époque en se référant au texte de la Guerre des Gaules. César utilise en effet trois mots se rapportant à différentes caté-gories d’établissements :

1. les oppidums : véritables agglomérations fortifiées, souvent perchées sur des émi-nences naturelles facilitant la défense, ce sont des centres proto-urbains. D’une superficie variable (de moins de 5 ha à plus de 100 ha), ils sont souvent implantés près d’une voie commerciale, sur des points de passage obligés (gués, cols…) ou à proximité. La place, qui abrite l’aristocratie locale, est aussi un lieu d’artisanat et un marché régional. Il n’est pas exclu que certains oppidums n’étaient occupés que de temps à autres, lors de périodes de crise ;

2. les vici, ou villages ;

3. les aedificia, exploitations agricoles dispersées dans la campagne.

Pour les Helvètes, César mentionne une douzaine d’oppidums et 400 villages, sans préciser malheureusement le nombre de fermes isolées104. Comme le célèbre général nous rensei-gne également sur le nombre de la population helvète, qui aurait été de 263 000 têtes, certains auteurs ont avancé, à titre d’hypothèse, la répartition suivante. En admettant 2000 résidents par oppidum et 200 par village, il reste 159 000 personnes pour les aedificia.

Sur une base qui semble raisonnable de 40 habitants par aedificium, on obtiendrait ainsi 3975 exploitations agricoles disséminées dans la campagne, soit environ 10 fermes pour un village: l’habitat helvète comporterait donc un oppidum pour 33 vici et 330 aedificia105. Quoique conjecturales, ces estimations sont néanmoins plausibles et donnent, dans les grandes lignes, un portrait de la structure des sociétés celtiques à la fin du second Age du Fer : autour des centres régionaux que sont les oppidums gravitent un certain nombre d’agglomérations entourées de fermes isolées.

4.1.2 Les oppidums

Des trois types d’habitats de la fin de l’épo-que celtil’épo-que, cette catégorie est de loin la mieux connue. A Cornol, l’oppidum du Mont Terri (fig. 22) a depuis longtemps attiré l’attention des chercheurs: il est vrai que le nom que lui donne la tradition, le

« camp de Jules César », n’est pas pour rien dans la notoriété de ce lieu fortifié. Au XVIIIe siècle déjà, le R.P. Dunod y situait le

camp du généralissime romain lors de la bataille de 58 av. J.-C. contre Arioviste (fig. 21).

Vers le milieu du XIXe siècle, deux propriétaires terriens locaux, MM. de Koeckler et de Maupassant, y pratiquèrent des fouilles fructueuses, riches en trouvailles romaines qui finirent par provoquer un scandale, car il s’est vite avéré qu’il s’agissait de travaux frau-duleux: les propriétaires y cachaient eux-mêmes des objets achetés dans le commerce en France voisine. Ces antiquités étaient si inhabituelles par rapport à celles qui avaient déjà été trouvées sur le Mont Terri qu’Auguste Quiquerez, ironique, avait pu noter : «Nous savons par expérience que les taupes étaient alors en veine de pousser hors de terre des objets fort étrangers à la localité et que depuis lors elles ont perdu cette faculté»106. Lui-même avait également fait procéder à des travaux d’excavation sur cette montagne, pour prouver l’authenticité du camp de Jules César.

104 César, Guerre des Gaules, I, 5.

105 BUCHSENSCHUTZ et CURDY 1991, p. 89.

106 QUIQUEREZ 1862a, p. 75.

Fig. 22 Cornol, Mont Terri (site 27.3). Vue de l’oppidum en direc-tion du nord-est.

Fig. 21 En 1716, le R.P. Dunod écri-vait le premier ouvrage consacré en grande partie au Mont Terri.

L’original, aujourd’hui perdu, n’est connu que par une réédition retra-vaillée de 1796.

4 L’habitat

Le sommet du Mont Terri forme un pla-teau de 4 ha, bordé au sud et à l’ouest par des falaises. Sur les côtés nord et est, les trois campagnes de fouilles effectuées en-tre 1984 et 1987 par l’Université de Bâle et le canton du Jura ont mis en évidence le système défensif de cette place fortifiée, construit sur un modèle communément appelé murus gallicus: des poutres hori-zontales entrecroisées et fixées entre elles par de grandes fiches de fer, forment des caissons qui sont remplis de terre; le parement externe est formé d’un chaînage de pieux et de pierres sèches (fig. 23).

Un premier habitat, détruit par un incendie dont les traces ont été repérées en fouilles, existait à La Tène D1 mais on ignore tout de son étendue et d’éventuelles fortifications, ainsi que du moment précis de la catastrophe: Peter Andrew Schwarz a émis l’hypo-thèse que celle-ci pourrait correspondre aux évènements de 58 av. J.-C. Ce qui est certain, c’est que le site fut réoccupé à La Tène D2 et que le rempart fut alors érigé107.

La question qui se pose, c’est pourquoi le Mont Terri a été fortifié à cette époque seule-ment. Peut-être, comme le pense Peter Andrew Schwarz, César a-t-il ordonné à l’une ou l’autre tribu gauloise d’occuper le lieu afin d’assurer la sécurité du flanc nord du Jura;

ses légions elles-mêmes avaient pris leurs quartiers d’hiver, en 58 et 52 av. J.-C., au pied nord-ouest de la chaîne jurassienne. Peut-être aussi que c’est Auguste qui fit fortifier le site dans le cadre de la campagne des Alpes108: du mobilier d’époque augustéenne est en effet attesté sur le Mont Terri109.

Faute de fouilles récentes, nous ne connaissons malheureusement rien de l’organisa-tion interne de l’oppidum. Il est même probable qu’une partie des vestiges a été détruite lors des recherches archéologiques du XIXe siècle, puisque les techniques de fouilles en vigueur ne permettaient habituellement pas de repérer les traces de bâtiments en bois.

107SCHWARZ 1993, pp. 57-58.

108Voir supra p. 16.

109DEMAREZ et al. 1997, p.89.

Fig. 23 Cornol, Mont Terri (site 27.3). Reconstitution du rempart de La Tène finale (LT D2). La trame en gris clair représente la masse de terre apportée pour l’aménage-ment de la fortification, sur des ni-veaux d’occupation antérieurs (La Tène D1 et Age du Bronze).

Fig. 24 Le Montchaibeux à cheval sur les communes de Rossemaison et de Courrendlin (site 71). Plan to-pographique avec relevés GPS de Claude Buchwalder (à droite) et re-levé d’A. Quiquerez (à gauche).

Des levées de terre (à droite, en noir) laissent percevoir un système de remparts. Au nord-ouest, un dé-crochement entre deux terre-pleins semble correspondre à un système d’entrée en chicane. Les anomalies du relief observées par A. Quique-rez au nord-est du plateau ne sont aujourd’hui plus visibles. Voir aussi fig. 94.

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4 L’habitat Un autre oppidum serait à rechercher à Rossemaison, au Montchaibeux (fig. 24). Le

plateau sommital de cette colline qui occupe le centre de la vallée de Delémont est coupé en deux par un fossé bordé d’un amas de blocs calcaires, vestiges d’un ancien rempart effondré. Au nord, le plateau se termine par une terrasse artificielle d’une lar-geur de 3 à 5 m. Un décrochement entre deux segments de terrasse semble correspondre à un dispositif d’entrée. Si l’architecture générale permet, par comparaison, de propo-ser une date à La Tène, la fonction précise du site est difficile à cerner, dans la mesure où des observations faites dernièrement ont montré l’absence apparente de couche ar-chéologique; seules une monnaie et une fibule celtiques trouvées par Ulrich Löw témoignent d’une présence humaine peut-être occasionnelle; le Montchaibeux serait da-vantage un lieu de refuge temporaire qu’un habitat permanent110.

4.1.3 Autres habitats

Si aucun village de La Tène finale n’est at-testé dans le canton, nous avons plusieurs indices de fermes isolées, les aedificia mentionnés par César. Ces exploitations agricoles se composaient d’une série de bâ-timents (habitations, greniers, étables…) disséminés dans une grande cour délimi-tée par un fossé et sans doute des haies.

Des constructions fouillées à Alle, Pré au Prince (fig. 25), paraissent bien avoir fait partie d’une telle exploitation. L’état de conservation des vestiges, la forte érosion du niveau archéologique et la rareté du mobilier, de même que la faible étendue des surfaces explorées, rendent cepen-dant impossible une interprétation exacte.

Le bâtiment occidental, d’une surface de 10 × 5 m, a pu servir d’habitation: des maisons similaires sont en effet connues, à Pomy (VD) par exemple111. Les trois pe-tits édifices à quatre poteaux trouvés à l’est du site (Pré au Prince 2) sont des structures traditionnellement interprétées comme greniers. Sur la base des rares tessons récol-tés, les différentes constructions peuvent être datées de La Tène finale, sans qu’il soit

possible pour l’instant de préciser s’il s’agit de La Tène D1, D2 ou des deux phases. La période d’occupation pourrait même être remontée à La Tène moyenne, d’après deux datations C14 peu précises, et prolongée jusqu’au début de l’époque romaine à cause de quelques tessons de céramique. L’abandon de ces bâtisses – en tout cas des greniers – s’est produit au plus tard sous le règne de Claude : la chaussée romaine, construite sous le principat de cet empereur, recouvre en effet certains des trous de poteau de ces structures.

Une inconnue supplémentaire subsiste : l’ampleur de l’établissement. Les fouilles qui viennent de se terminer sur le site gallo-romain des Aiges, à 80 m au nord du premier bâtiment du Pré au Prince, ont livré un certain nombre de trous de poteau. Si certains appartiennent sans conteste à des constructions d’époque romaine, d’autres semblent antérieurs au premier édifice maçonné, tout comme un fossé attesté sur une vingtaine de mètres: ces vestiges et ceux des bâtiments en bois appartiennent vraisemblable-ment à la même exploitation agricole. Un rapport entre celle-ci et des restes d’un établissement contemporain au lieu-dit Sur Noir Bois (site 24.8) est également envisa-geable mais ne peut être actuellement établi. Ces sites, lorsqu’ils seront étudiés, apporteront peut-être des éléments de réponse.

110 SCHIFFERDECKER 2001.

111NUOFFER et MENNA 2001, p. 46.

Fig. 25 Alle, Les Aiges (site 24.11) et Pré au Prince (sites 24.13,16). Pré au Prince 1: bâtiment de La Tène fi-nale (habitation ?). Pré au Prince 2:

greniers de La Tène finale. Les Aiges: sous le bâtiment gallo-ro-main se trouvent des trous de po-teau et un fossé antérieurs (non vi-sibles ici, site en cours d’étude). La concentration des vestiges rend vraisemblable la présence d’une ferme gauloise. En trait interrompu, l’emprise des fouilles.

Des traces plus diffuses d’une occupation de la fin de l’époque celtique sont appa-rues ces dernières années, également dans le cadre des fouilles de l’A16 - Transjurane, comme sur le site de la Combe en Vaillard à Chevenez. L’emprise réduite des fouilles n’a hélas permis que la mise au jour d’une vingtaine de trous de poteau et d’un foyer de forge, attestant néanmoins d’un éta-blissement112.

A Courfaivre, sur le site mal conservé des Esserts, quelques dizaines de tessons cérami-ques de La Tène finale suggèrent une occupation humaine, éventuellement jusqu’au début de l’époque romaine: un fragment de sigillée, malheureusement très mal con-servé et indatable, figure en effet dans l’inventaire113.

En fait, si les vestiges des fermes de la fin de l’indépendance gauloise sont si rares, c’est que selon toute vraisemblance, les villas gallo-romaines ont été construites aux mêmes emplacements. Ce phénomène est encore assez mal connu en Suisse, mais les recher-ches effectuées dans d’autres régions de l’ancienne Gaule, par exemple dans les grandes plaines du nord de la France, ont montré que deux cas de figures sont possibles: certai-nes fermes gauloises sont abandonnées (et réinstallées ailleurs ?) alors que d’autres sont reconstruites sur place avec des techniques nouvelles, donnant ainsi les villas gallo-romaines. Du reste, les fouilles modernes, qui ne s’arrêtent plus à la base des niveaux d’époque romaine mais qui cherchent à scruter les «dessous» des bâtiments, révèlent de plus en plus souvent des habitats antérieurs en bois. Nous pensons que dans le Jura où, à cause du relief, les endroits propices à l’installation d’exploitations agricoles sont restreints, la plupart des sites occupés à La Tène finale n’ont pas été abandonnés et qu’ils sont à rechercher sous les établissements gallo-romains: les exemples de Boécourt et de Laufon en sont du reste un témoignage114.

Ainsi, à Boécourt, Olivier Paccolat a mis en évidence des structures creuses et de la céra-mique datées au plus tard de la première moitié du Ier siècle ap. J.-C.(fig. 26). Dans l’enceinte de la villa de Vicques a été mis au jour récemment un fossé parallèle au mur de clôture dont le remplissage contenait de la poterie du second quart du Ier siècle. La villa de Courroux a livré de nombreuses monnaies gauloises, lesquelles n’étaient plus guère en usage à partir de Claude: il faut donc en déduire l’existence d’un habitat antérieur.

Il nous reste, pour terminer ce chapitre, à mentionner un type d’occupation particu-lière, les habitats de refuge en grotte ou abri sous roche. Leur présence, quoique peu fréquente, est néanmoins attestée sur tout le territoire suisse, jusqu’à très haute alti-tude dans les Alpes, où on les considère comme lieux de halte sporadique utilisés par les pasteurs en charge d’un troupeau115. Dans le Jura, il faudrait plutôt les considérer comme refuges temporaires permettant de se cacher lors de périodes de troubles. Un seul exemple est du reste attesté, à Bressaucourt, dans la Bâme aux Pirotas (fig. 27). La quinzaine de tessons de céramique, étudiée par Gilbert Kaenel, peut être attribuée à la période de La Tène D1116.

112DESLEX SHEIKH 2000.

113POUSAZ, TAILLARD et al.1994, pp. 61-62.

114Sur le problème de la transition entre les fermes de La Tène finale et les villas gallo-romaines, voir les Actes du colloque d’Amiens de 1993 (BAYARD et COLLART 1996). Pour la Suisse particulièrement, voir PAUNIER 1996.

115SPM IV, p. 151.

116KAENEL et al. 1987.

Fig. 26Boécourt, Les Montoyes (site 62.2). Céramique de type La Tène finale (première moitié du Ier siècle ap. J.-C., au plus tard).

Fig. 27 Bressaucourt, Bâme aux Pirotas (site 21.2). Comme souvent dans les régions de mon-tagne, les abris naturels ont servi de refuge aux populations lors de périodes de troubles. Ici, quelques tessons de céramique de La Tène fi-nale attestent une occupation ponctuelle dans le courant du Ier siècle av. J.-C. Voir aussi fig. 64.

4 L’habitat