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Les tâches de détection : faisceau attentionnel et dimensions visuelles

PARTIE I. INTRODUCTION

IV. Contexte et attention

IV.1. Courte histoire du déploiement attentionnel 1958-2008

IV.1.2. Les tâches de détection : faisceau attentionnel et dimensions visuelles

Une autre distinction entre déploiement contrôlé et automatique de l’attention vient de la recherche utilisant des tâches de détection. Dans ces tâches, on demande simplement aux sujets de rapporter l’apparition d’un stimulus sur un écran.

Les premières découvertes utilisant cette tâche ont été faites par Eriksen et ses collabora-teurs (Eriksen et Collins, 1969; Eriksen et St James, 1986; Eriksen et Yeh, 1985). Ces aucollabora-teurs ont montré que des sujets humains sont plus rapides à détecter un stimulus s’il est précédé d’un indice (flash lumineux) à l’endroit où il apparaît. L’attention est attirée automatique-ment par ce type d’indice attentionnel exogène. De tels indices attirent l’attention en cin-quante millisecondes (Eriksen et Collins, 1969). A partir d’environ 200 ms une période d’inhibition de retour (inhibition of return) se produit pendant laquelle l’attention met plus longtemps à être engagée à nouveau dans la même région (Klein, 2000; Posner et Cohen, 1984; Fecteau et Munoz, 2003). De même que dans les tâches de recherche visuelle, ces indi-ces automatiques peuvent être ignorés lorsque ils ne présentent aucun trait commun avec la cible de la tâche (Yantis et Jonides, 1990).

Posner (1980) a montré dans des tâches de détection que l’attention peut être engagée vo-lontairement dans une région du champ visuel pour accélérer la détection à cet endroit. Les sujets sont en effet plus rapides si un indice symbolique pointe à l’avance la direction où le stimulus est susceptible d’apparaître. On fait souvent référence à un faisceau de lumière (spo-tlight) (Posner, 1980) ou à la lentille (zoom lens) (Eriksen et St James, 1986) de l’attention, comme si l’attention éclairait ou zoomait sur une partie du champ visuel.

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Plus récemment, Carrasco et ses collaborateurs (2004 ; Carrasco, 2006) ont montré que l’attention augmente aussi les capacités de discrimination du système visuel. La perception de stimuli très faiblement contrastés est facilitée sous le faisceau de l’attention.

Le décours temporel de l’attention dans les tâches de détection a été mesuré par Müller et ses collaborateurs (1989; rapporté par Egeth et Yantis, 1997). Ces auteurs ont mesuré la faci-litation de la détection d’une lettre apparaissant sur un écran. Deux types d’indices étaient présentés : un indice périphérique exogène attirant l’attention automatiquement ou un indice symbolique endogène présenté au centre de l’écran indiquant la région probable d’apparition de la cible. Les indices périphériques attirent rapidement l’attention en 100 ms (avec un effet maximum à 175 ms). Les indices symboliques orientent l’attention plus progressivement pour atteindre un effet maximum à 400 ms.

L’attention endogène peut être dirigée non seulement dans l’espace mais aussi dans d’autres dimensions (par exemple la couleur ou la texture). Les objets peuvent aussi être les unités de la sélection attentionnelle (Duncan, 1984; Scholl, 2001). Rapporter deux attributs de deux objets est plus long que de rapporter deux attributs sur un seul objet (Duncan, 1984). Il y a donc un avantage lié à l’objet pour le déploiement de l’attention. L’attention se répand automatiquement sur les objets. Sélectionner une partie d’un objet sélectionne implicitement l’ensemble de l’objet (Egly, Driver et Rafal, 1994). L’expérience la plus convaincante sur le sujet a été conduite par O’Craven et collaborateurs (O'Craven et coll., 1999). Ces auteurs ont présenté des images composées d’un visage et d’une maison superposés (Figure 13) en trans-parence et demandé à leurs sujets de faire attention soit aux maisons, soit aux visages et de signaler lorsque le même visage (ou la même maison) était répété deux fois de suite. Cette tâche ne présente aucune difficulté. Les sujets peuvent très facilement décider de ne faire attention qu’aux visages ou qu’aux maisons. Il existe donc un mécanisme attentionnel de sé-lection des objets. Mais le résultat le plus intéressant de cette étude concerne les bases céré-brales de la sélection attentionnelle, que nous examinons dans le paragraphe suivant.

Figure 13 : Deux

exem-ples d’images présentées par O’Craven et

collabora-teurs. Il est facile de porter son attention sur la maison ou sur le vis-age dans chacune de ces images (tiré de O'Craven, Downing et Kanwisher, 1999).

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IV.1.3. Amplification et détection : deux systèmes cérébraux distincts pour le contrôle du déploiement de l’attention

Quels sont les mécanismes cérébraux qui permettent d’engager l’attention dans une ré-gion de l’espace ou sur un objet ? Avant d’aborder cette question, il est important de voir brièvement les effets de l’attention sur l’activité cérébrale.

Effets de l’attention sur le traitement neuronal 

L’attention augmente l’activité cérébrale des aires sensorielles corticales (Kanwisher et Wojciulik, 2000) et même jusque dans le thalamus (O'Connor, Fukui, Pinsk et Kastner, 2002). A l’échelle neuronale, l’attention augmente le taux de décharge des neurones en ré-ponse à un stimulus (Moran et Desimone, 1985 ; Motter, 1993 ; 1994 ; Treue et Maunsell, 1996 ; Roelfsema, Lamme et Spekreijse, 1998) et provoque des oscillations dans la bande de fréquence gamma (au dessus de 30 Hz) dans les populations de neurones sensoriels (Fries, Reynolds, Rorie et Desimone, 2001). L’attention module l’activité neuronale dans des aires distinctes selon la dimension attendue : l’attention à la couleur, la forme ou la vitesse de mouvement augmentent ainsi différemment l’activité des aires du cortex visuel extrastrié spécialisées dans le traitement de chacun de ces attributs (Corbetta, Miezin, Dobmeyer, Shulman et Petersen, 1991).

L’attention se répand aux objets et aux attributs similaires de l’image. Lorsque l’on sélec-tionne un évènement à partir d’un attribut donné, l’ensemble des éléments partageant cet attribut sont sélectionnés (Treue et Martinez Trujillo, 1999; Saenz, Buracas et Boynton, 2002; Melcher, Papathomas et Vidnyanszky, 2005). O’Craven et collaborateurs (1999) ont montré dans leur tâche d’attention sélective à des visages et des maisons superposés que, premièrement selon que l’attention est engagée sur les visages ou sur les maisons, l’activité augmente sélectivement dans l’aire connue pour le traitement des visages (l’aire fusiforme des visages, FFA pour fusiform face area) ou dans l’aire connue pour le traitement des lieux géographiques (l’aire parahippocampique des lieux, PPA pour parahipocampal place area). Deuxièmement, que l’attention sélectionne implicitement l’ensemble des attributs de l’objet sur lequel elle est portée. Un mouvement était imposé à l’un ou l’autre des deux objets (vi-sage/maison). La réponse à ce mouvement dans l’aire temporale moyenne (MT, connue pour le traitement du mouvement) dépendait de l’objet auquel les sujets faisaient attention. Lors-que les sujets faisaient attention aux visages, un mouvement imposé à un visage entraînait une réponse accrue de l’aire MT, alors que si le mouvement était imposé à une maison, la réponse de l’aire MT était plus faible. Ceci suggère que tous les attributs d’un même objet sont modulés ensemble par l’attention et constitue un argument fort pour la sélection atten-tionnelle basée sur les objets.

La très influente théorie de Desimone et Duncan (1995), dite du biais de compétition (biased competition) ajoute une composante de compétition à l’amplification des réponses

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neuronales par l’attention (Posner et Dehaene, 1994; Posner et Driver, 1992). Ces auteurs proposent que les stimuli sensoriels entrent en compétition pour l’accès aux ressources de traitement limitées du système nerveux. L’attention agirait en biaisant la compétition en fa-veur de certains stimuli au détriment des autres, de sorte que les stimuli sélectionnés « ga-gnent » la compétition.

Les mécanismes de résolution de cette compétition pourraient être le contrôle du gain de contraste (Reynolds et Chelazzi, 2004), par lequel les neurones influencés par l’attention augmentent leur sensibilité au stimulus sur lequel l’attention est portée. La synchronisation des réponses de populations de neurones pourrait aussi participer aux mécanismes physiolo-giques de l’attention (Engel, Fries et Singer, 2001 ; Womelsdorf et Fries, 2007).

Certains auteurs ont observé que l’attention augmente l’activité des neurones avant que le stimulus n’apparaisse (Luck, Chelazzi, Hillyard et Desimone, 1997; Kastner, Pinsk, De Weerd, Desimone et Ungerleider, 1999). Un contrôle de cette activité de base pourrait être à la source de l’augmentation de la réponse évoquée par l’apparition d’un stimulus (Driver et Frith, 2000).

Mécanismes neuronaux du déploiement de l’attention 

Nous voyons maintenant les mécanismes neuronaux du déploiement de l’attention (Fi-gure 14). Ici encore, on dissocie d’une part les mécanismes d’attraction automatique de l’attention par des stimuli saillants de l’environnement et d’autre part le déploiement volon-taire vers une cible (Corbetta, Kincade, Ollinger, McAvoy et Shulman, 2000; Corbetta et Shulman, 2002).

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Le déploiement volontaire de l’attention repose sur l’activation d’un réseau fronto-pariétal dorsal (Figure 14a, régions bleues). Ce réseau recouvre celui qui permet de maintenir des informations en mémoire de travail et la préparation de mouvements oculaires dans les aires frontales et la planification d’un mouvement dans l’espace dans les aires pariétales (Corbetta et Shulman, 2002). Lorsque un signal symbolique de déplacement ou de suivi at-tentionnel est donné, on observe une activation tonique dans le sulcus intrapariétal (IPS pour intraparietal sulcus), contenant l’aire intrapariétale latérale (LIP pour lateral intraparietal)

Figure 14 :Modèle neuroanatomique du contrôle attentionnel. a. Réseaux fronto-parietaux dorsal et ven-tral et leurs relations avec les régions endommagées chez les patients héminégligents. Les régions en bleu indiquent le réseau fronto-pariétal. FEF, champ oculaire frontal; Ips/SPL, sillon in-trapariétal/lobule pariétal postérieur. Les régions en orange indiquent le réseau fronto-pariétal ventral. TPJ, jonction temporo-pariétale (IPL/STG, lobule pariétal inférieur/gyrus temporal supérieur); VFC, cortex frontal ventral (Ifg/MFg, gyrus frontal inférieur/gyrus frontal moyen). Les aires endommagées chez les patients héminégligents (à droite) recouvrent mieux le réseau ventral. b. Modèle anatomique des contrôles ascendant et descendant. Le réseau IPs-FEF est impliqué dans le contrôle descendant du traitement visuel (flèches bleues). Le réseau TPJ/VFC est impliqué dans le contrôle ascendant (flèches orange). L’IPs et le FEF sont aussi modulés par le contrôle ascendant. Les connexions entre la TPJ et l’IPs interrompent le contrôle descendant lorsque des stimuli inattendus sont détectés. La pertinence comportementale est médiée par des connexions directes ou indirectes (non montrées) entre IPs et TPJ. Le VFC pourrait être impliqué dans la détection de la nouveauté. L : gauche; R, droite. (tiré de Corbetta et Shulman, 2002)

Aires corticales endommagées chez les héminégligents

Contrôle descendant Contrôle ascendant Nouveauté Coupe circuit Pertinence comportementale Sélection stimulus-réponse Aires visuelles

Aires corticales endommagées chez les héminégligents

Contrôle descendant Contrôle ascendant Nouveauté Coupe circuit Pertinence comportementale Sélection stimulus-réponse Aires visuelles

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et dans le champ oculaire frontal (FEF pour frontal eye field, chez le singe) (Yantis et Seren-ces, 2003)*. Ceci suggère que ces régions sont impliquées dans le maintient de l’attention sur un point de l’espace. Une structure un peu plus dorsale dans le lobe pariétal (le lobule parié-tal supérieur, SPL pour superior parieparié-tal lobule) s’active transitoirement lorsque l’attention est déplacée volontairement (Yantis et Serences, 2003). Une étude récente dévoile le décours temporel de l’activation des différentes aires du réseau fronto-pariétal dorsal (Green et McDonald, 2008). A l’apparition d’un indice symbolique, le SPL s’active transitoirement sui-vit en séquence de l’IPS, les aires frontales puis un retour vers l’IPS et enfin une actisui-vité dans le lobe occipital, supposément liée à la facilitation attentionnelle.

Le déploiement de l’attention reposerait comme expliqué au paragraphe IV.1.1 sur l’existence de cartes de saillance dans le cerveau. La localisation anatomique de ces cartes est incertaine. Elles pourraient se superposer au réseau oculomoteur (Fecteau et Munoz, 2006), se trouver dans les aires visuelles précoces (Li, 2002; Lee, Yang, Romero et Mumford, 2002). Ou encore distribuées à travers la hiérarchie de traitement visuel par convergence des infor-mations sensorielles et cognitives (Treue, 2003).

L’attraction de l’attention par un élément saillant repose sur l’intégrité d’un réseau tem-poro-pariétal ventral (Figure 14a, régions oranges) incluant les aires de la jonction temporo-pariétale (TPJ pour temporoparietal junction) et du cortex frontal ventral (VFC pour ventral frontal cortex) de l’hémisphère droit. Des patients ayant subi des lésions dans ces zones souf-frent d’héminégligence. Ce trouble de l’orientation attentionnelle empêche ces patients de désengager leur attention dans l’hémichamp contra-lésionnel. Ces zones sont activées lors de la détection d’éléments visuels, lorsque ces éléments sont inattendus (Downar, Crawley, Mi-kulis et Davis, 2000). Leur activation entraîne celle du réseau de l’attention volontaire (IPS, FEF), mais pas l’inverse (un signal de déplacement attentionnel n’active pas le réseau TPJ, VFC). De plus, l’activation du réseau IPS, FEF par un stimulus entraîne l’activation du réseau via l’IPS alors que l’activation de ce réseau par un signal attentionnel symbolique entraîne l’activation du réseau via le FEF (Buschman et Miller, 2007). On retrouve une séparation entre les activations endogèn es venant des aires « cognitives » (antérieures, ici FEF) et les activations exogènes venant des aires sensorielles (postérieures, ici l’IPS).

Selon Corbetta et Shulman (2002), le système d’attention exogène fonctionnerait comme un coupe-circuit de l’attention endogène (Figure 14b). L’activation du réseau ventral

* FEF et LIP recouvrent le système de planification et d’exécution des saccades oculaires, qui reflè-tent aussi l’allocation spatiale de l’atreflè-tention.

L’appellation cortex frontal ventral est donnée ici par opposition à la localisation plus dorsale du FEF, mais cette région est appelée par d’autres cortex préfrontal latéral, voire dorsolatéral, DLPFC pour dorsolateral prefrontal cortex

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romprait les activités de déploiement endogène de l’attention dans le réseau dorsal pour atti-rer l’attention vers les éléments nouveaux, saillants, inattendus de l’environnement.

En EEG, la composante P3 dite de nouveauté (novelty P3) (Friedman, Cycowicz et Gaeta, 2001) est générée par la TPJ et le VFC. Cette composante est interprétée comme une réponse à la nouveauté entraînant l’orientation attentionnelle automatique vers une cible.