• Aucun résultat trouvé

Substrats psychologiques et cérébraux de la familiarité et du souvenir

PARTIE I. INTRODUCTION

III. Contexte et reconnaissance

III.1. La reconnaissance visuelle : familiarité et souvenir

III.1.3. Substrats psychologiques et cérébraux de la familiarité et du souvenir

Le sentiment de familiarité se développe plus rapidement que le souvenir. Ainsi, si on li-mite le temps autorisé pour répondre dans une tâche de reconnaissance de mots étudiés, les jugements de familiarité se développent plus rapidement que les jugements basés sur le sou-venir (p.ex. Hintzman, Caulton et Levitin, 1998). La méthodologie utilisée pour ce type de

Partie I : Introduction III.Contexte et reconnaissance

mesures est basée sur la procédure de dissociation de processus (voir II.3.3). On utilise une tâche d’exclusion pour dissocier les contributions du souvenir et de la familiarité dans une tâche nouveau/ancien. Deux listes d’éléments sont apprises par les sujets et dans une tâche d’exclusion, on demande aux sujets de ne répondre « ancien » que pour les éléments prove-nant d’une liste spécifique. En faisant varier le temps autorisé pour répondre, on observe que la probabilité de faussement répondre ancien à un élément de la liste à ignorer augmente d’abord rapidement et diminue ensuite (p.ex. McElree, Dolan et Jacoby, 1999). Ceci montre l’existence d’au moins deux processus au décours temporel différent : un processus automa-tique de familiarité se développant rapidement, poussant les sujets à répondre ancien lors-qu’ils doivent répondre rapidement, et un processus plus lent de souvenir de la source per-mettant aux sujets de rejeter les éléments de la mauvaise liste lorsqu’ils ont plus de temps pour répondre.

Des manipulations expérimentales additionnelles permettent d’examiner la sensibilité de la familiarité et du souvenir à différents paramètres physiques des éléments à mémoriser. Par exemple, les manipulations de la qualité perceptive des images affectent plus la familiarité que le souvenir. Dans un test nouveau/ancien, plus que le temps autorisé pour répondre est court, plus un élément nouveau à la phase de test est facilement classifié (à tort) comme an-cien s’il est similaire à un élément vu pendant l’apprentissage (Hintzman et Curran, 1994). L’amorçage subliminal (voir II.2.3) n’affecte que la familiarité : une image présentée trop rapidement pour être perçue consciemment pourra être jugée familière mais difficilement donner lieu à un jugement de souvenir. Enfin, les manipulations de l’attention pendant l’apprentissage affectent plus le souvenir que la familiarité (Diana et coll., 2007; Yonelinas, 2002).

Les deux processus psychologiques de familiarité et de souvenir sont ils basés sur des processus neuronaux distincts ou sont-ils sous-tendus par les mêmes mécanismes ? La diffé-rence entre familiarité et souvenir est-elle quantitative ou qualitative au niveau neuronal ?

Du point de vue cérébral, le lobe temporal médian (LTM) est une structure essentielle à la création et à la récupération de la mémoire. Il est fondamentalement impliqué dans la mé-moire de reconnaissance.

La région hippocampique en particulier est centrale (Figure 10a). L’hippocampe est une structure corticale ancienne (archéocortex) repliée sur elle-même et située dans la face mé-diane du lobe temporal. Il a été impliqué de longue date dans la mémoire, notamment la mémoire déclarative dont fait partie la mémoire de reconnaissance. Le cortex adjacent (gyrus parahippocampique) est divisé en deux parties, le cortex parahippocampique (PHC pour pa-rahippocampal cortex) caudalement, et le cortex périrhinal (PRC pour perirhinal cortex) rostralement. Le PRC reçoit des informations venant des aires visuelles de la voie ventrale. Le

Partie I : Introduction III.Contexte et reconnaissance

PHC reçoit des informations venant de la voie visuelle dorsale. Le PRC et le PHC projettent leurs efférences vers le cortex entorhinal, principale voie d’entrée dans l’hippocampe (Figure 10b) qui projette lui-même ses efférences sur l e gyrus denté et la corne d’Amon de l’hippocampe.

Le PRC participe à la perception et à la mémoire des objets (Murray et Richmond, 2001; Buckley et Gaffan, 2006). Il est au centre d’un système discriminant la familiarité et la ré-cence des stimuli présentés. Des neurones y ont la capacité de répondre différemment à la seconde occurrence d’un objet même si de nombreux autres sont présentés entre temps (Brown et Aggleton, 2001), et jusqu’à 24 h après la première présentation (Xiang et Brown, 1998). Ceci suggère l’existence de mécanismes efficace de mémorisation et une plasticité presque immédiate des architectures de traitement. Le PHC est quant à lui connu pour son rôle dans la représentation des endroits, il contient l’aire parahippocampique des endroits (PPA pour parahippocampal place area Epstein et Kanwisher, 1998; Epstein, Harris, Stanley et Kanwisher, 1999). Il est impliqué dans la représentation des scènes visuelles : il répond à la présentation de scènes plutôt qu’à des objets et des lésions de la PPA entraînent une incapa-cité à apprendre de nouvelles scènes visuelles (Epstein, 2005). Il a récemment été impliqué dans la représentation du contexte des objets (Bar, 2004; Bar et Aminoff, 2003). Le contexte spatial pourrait être représenté dans la PPA et en l’absence de relations spatiales dans le PHC

a

b

a

b

Figure 10 : Le modèle de « liaison des élé-ments dans le contexte » (BIC) des struc-tures du lobe temporal médian (LTM). (a) Ce modèle distingue trois structures princi-pales dans le LTM : l’hippocampe (en rouge), le cortex périrhinal (PRC, en bleu) et le cortex parahippocampique (PHC, en vert), le deux derniers appartenant au gyrus parahippocampique. (b) Selon le modèle BIC, les informations sensorielles venant de la voie ventrale (quoi) et de la voie dorsale (où) sont traitées spécifiquement par le PRC et le PHC puis transférées vers l’hippocampe à travers le cortex entorhinal. La réactivation dans l’hippocampe du pa-tron d’activité produit pendant l’apprentissage réactive en retour les struc-tures du gyrus parahippocampique, don-nant lieu à la reconnaissance. (Tiré de Diana, Yonelinas et Ranganath, 2007)

Partie I : Introduction III.Contexte et reconnaissance

plus antérieur (Aminoff, Gronau et Bar, 2007).

D’autres régions cérébrales sont aussi impliquées dans la reconnaissance. Ainsi, les connexions de l’hippocampe avec le thalamus antérieur sont essentielles pour le souvenir et les connexions avec le cortex perirhinal et le thalamus dorsal sont essentielles pour la familia-rité. Des projections du thalamus vers le lobe frontal joueraient aussi un rôle, autant pendant l’apprentissage que pendant la récupération des souvenirs et de la familiarité (Aggleton et Brown, 1999; Habib, Nyberg et Tulving, 2003). Nous nous concentrons ici sur le rôle du LTM.

Un débat existe à l’heure actuelle entre deux visions du rôle du LTM dans la mémoire de reconnaissance. La vision monolithique des structures du LTM soutient que familiarité et souvenir sont en fait les deux facettes d’un même processus de reconnaissance et que toutes les structures du LTM y participent également. Squire et ses collaborateurs ont développé une théorie de la reconnaissance permettant de rendre compte de beaucoup de résultats de la littérature à l’aide d’un processus unique de détection de signal (Squire, Wixted et Clark, 2007; Wixted, 2007). Ces auteurs s’appuient sur un modèle de détection du signal dans le-quel la variance de la distribution du signal est plus grande que celle du bruit. Le modèle est parcimonieux mais d’autres auteurs soutiennent qu’il ne permet pas de rendre compte d’asymétries observées dans les lésions sélectives des structures du LTM ainsi que dans les différentes activités observées sélectivement pour la reconnaissance par familiarité et par souvenir.

Selon de nombreux auteurs, les processus de familiarité et souvenir sont affectés diffé-remment par des lésions des différentes structures du LTM. Ainsi, les lésions sélectives de l’hippocampe affecteraient les souvenirs mais pas la familiarité (Yonelinas, 2002; mais voir aussi Squire et coll., 2007).

Familiarité et souvenir produisent des potentiels évoqués (PE) électroencéphalographi-ques (EEG) distincts et avec des décours temporels différents (Rugg et Curran, 2007). Ainsi, dans une tâche de jugement ancien/nouveau, les éléments correctement classés « ancien » évoquent un PE frontal plus positif vers 300-500 ms après l’apparition du stimulus qui est sensible aux manipulations affectant la familiarité. Une composante pariétale du PE après 400 ms est quant à elle affectée par les manipulations affectant le souvenir (Rugg, Mark, Walla, Schloerscheidt, Birch et Allan, 1998).

En imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), les méthodes psychologi-ques de mesure de la familiarité et du souvenir sont utilisées comme facteurs expérimentaux. Ainsi, les différences entre les réponses souvenir et connaissance, mémoire de source cor-recte et incorcor-recte et entre les niveaux de confiance les plus élevés et les moins élevés sont considérés comme reflétant les processus cérébraux du souvenir. A l’inverse, les différences

Partie I : Introduction III.Contexte et reconnaissance

entre réponses aux éléments reconnus mais non souvenus et les éléments non reconnus (bien que présentés) ou les changements d’activité qui corrèlent avec les niveau de confiance sont considérés comme reflétant la familiarité. Diana et collaborateurs (2007) montrent que l’activité hippocampique et parahippocampique pendant l’encodage et la récupération est supérieure pour les éléments rappelés par souvenir. A l’inverse, l’activité dans les régions du PRC corrèle avec la familiarité. Cette activité est plus forte pendant l’apprentissage couronné de succès (qui donnera lieu à un jugement de familiarité) et diminue pendant la récupération d’éléments familiers. Ces observations ont amené récemment Eichenbaum, Yonelinas et Ranganath (2007) à formuler un modèle dit de liaison des objets et du contexte (BIC pour Binding Items and Context, Figure 10). Il existe de nombreux modèles neuropsychologiques de la mémoire de reconnaissance (Yonelinas, 2002; Yonelinas et Parks, 2007). Nous prenons ici le parti de ne détailler que le modèle BIC qui prend explicitement en compte le contexte et permet donc de poser les bases anatomo-fonctionnelles de notre réflexion. Les différentes parties du LTM jouent un rôle déterminé pour la représentation et la mémorisation des élé-ments dans leur contexte.

La problématique de ce modèle est d’expliquer comment la familiarité et le souvenir sont supportés par différentes parties du cerveau et comment les voies de traitement des objets visuels et des scènes globales (leur contexte) sont unifiées dans une représentation neuronale unique et cohérente en mémoire.

Dans le modèle BIC (Figure 10b), le rôle de l’hippocampe est d’associer les éléments dans leur contexte, donc de lier l’activité du PRC et du PHC (voir plus haut). Comme la reconnais-sance par familiarité fait appel uniquement à la mémoire de l’objet, sans son contexte, le mo-dèle BIC prédit une implication du PRC dans la reconnaissance par familiarité et pas ou peu d’implication du PHC et de l’hippocampe. En revanche, la reconnaissance par souvenir im-plique la récupération du contexte de l’objet. Le modèle BIC prédit alors une implication de l’hippocampe et du PHC.

Le modèle BIC prédit des activations différentes selon le processus psychologique en cours. Pendant l’apprentissage, les éléments qui seront jugés plus tard comme familiers acti-vent plus le PRC, entraînant ainsi un meilleur encodage des éléments nouveaux. De la même façon, le PHC est plus actif pendant l’apprentissage dans les essais pour lesquels l’information contextuelle sera récupérée, lorsqu’il y aura reconnaissance par souvenir. Cette activation pendant l’encodage réussi d’éléments en mémoire est appelée effet de mémoire subséquente (subsequent memory effects Paller et Wagner, 2002).

Un meilleur encodage donne naissance à une représentation plus efficace, et à une ré-ponse physiologique au stimulus apparemment moins forte parce qu’elle est activée plus ra-pidement et/ou parce que moins de neurones sont activés (voir II.4.1 Grill-Spector et coll., 2006). Ainsi, pendant la reconnaissance, les éléments jugés familiers donnent lieu à une

acti-Partie I : Introduction III.Contexte et reconnaissance

vation moins forte mais plus efficace du PRC par rapport à celle provoquée par des éléments jugés nouveaux. Pour récupérer un souvenir, il faut récupérer l’information contextuelle et donc activer sa représentation dans le PHC. Le rôle de l’hippocampe dans ce modèle étant de lier les éléments et le contexte, l’activation de l’hippocampe par le PRC entraîne la récupéra-tion des détails contextuels via le PHC. La reconnaissance d’éléments familiers et le rappel d’éléments contextuels pour récupérer un souvenir doit donc entraîner une désactivation du PRC et une activation de l’hippocampe et du PHC.

Nous allons maintenant examiner les effets du contexte sur la reconnaissance et voir si ces effets reposent sur le recrutement des aires mentionnées dans le modèle BIC.