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De la tâche à la posture : modèles et redondance

Ayant déni la tâche et la structure cinématique de l'opérateur, comment relie-t-on la réalisation de la tâche à l'action de l'opérateur ?

Ceci doit être fait à la fois en statique : réalisation d'un repère outil ou d'une posture ; mais aussi en cinématique : évolution d'un repère à l'autre, d'une posture à l'autre, simulation d'un mouvement. Du point de vue statique, la diculté est très diérente selon la consigne. Si la consigne est une posture, elle dénit la valeur aux articulations du squelette et il n'y a aucun traitement à fournir pour simuler l'opérateur. Remarquons qu'à l'exception du premier élément de la séquence, on connaît rarement la posture et on en cherche justement une. Dans notre problématique, la tâche est principalement constituée par la donnée d'une séquence de repères attachés aux objets à manipuler, aux outils (remarquons que cela nécessite que l'on ait déjà planié une stratégie de prise ou de positionnement des mains). Xi est le vecteur qui représente les paramètres de ce(s) repère(s) dans

Fig. 2.21  Modélisation géométrique de notre mannequin à 23 DDL un repère xe R0 lié à son environnement.

Pour une posture donnée qi, les diérents segments du squelette prennent une position relative particulière. Comme l'ensemble du squelette n'est pas rigidement xé à un repère de référence, il nous faut aussi connaître les paramètres Xb d'un repère lié à un des corps5 de la structure cinématique. La donnée de Xb et de qi nous permet de calculer Xi par des changements de repère successifs via le paramétrage de Denavit et Hartenberg. On peut écrire :

Xi= f (Xb, qi) = f (Yi)

La fonction f est explicite et est ce que l'on appelle le Modèle Géométrique Direct (MGD) d'un système mécanique en robotique. Le calcul de f, qui fournit Xi, est certes complexe car chacune de ses composantes est non linéaire (les cosinus et les sinus des diérents angles aux articulations y apparaissent et se multiplient) mais son obtention est automatique. Connaissant les valeurs aux liaisons, la valeur de Xi est automatiquement calculée quel que soit le nombre des liaisons considéré dans la modélisation du squelette.

Généralement, et c'est également notre cas, c'est la relation inverse à celle ci-dessus que l'on recherche. En eet, la tâche à eectuer est naturellement dénie en terme de situation X et c'est la valeur aux articulations qpermettant de réaliser cette tâche qui est l'inconnue. Lorsqu'on impose un mouvement à l'opérateur sur une trajectoire donnée (déposer un joint, suivre une arête,...), c'est à nouveau une consigne sur l'évolution de la situation X qui est la donnée et l'évolution de la conguration q, l'inconnue.

Le problème de la simulation de systèmes articulés amène donc à considérer des modèles inverses. Si l'on impose X et que l'on recherche Xb et q, ce Modèle Géométrique Inverse (MGI) s'écrit formellement :

Yi = {Xb, qi} = g(Xi)

C'est la relation inverse de celle qui dénit le MGD. Ici, les dicultés sont considérables :

 f est non linéaire. Il n'existe pas de méthode générale d'inversion pour les fonctions non linéaires. L'outil mathématique générique fait défaut (contrairement au cas linéaire). On ne sait résoudre de manière expli-cite (et donc fournir toutes les solutions analytiquement) que pour des géométries extrêmement simples. Par exemple, Tolani et al. proposent une résolution explicite pour un bras anthropomorphe à 7 DDL [Tolani D. 00] [Tolani D. 96].

 En plus des problèmes liés à l'inversion du MGD, il faut tenir compte des contraintes de type inégalité imposées à chacune des variations articulaires (la géométrie de l'espace de travail accessible pour un humain est très complexe).

 Les méthodes formelles qui permettent de dire s'il existe une solution ne la calculent pas (elles ne sont pas constructives).

Et surtout, l'inversion révèle une caractéristique prépondérante de notre problème. Lorsque n > m, l'espace opérationnel est de dimension inférieure à celle de l'espace généralisé et il existe en général, par seule inversion du MGD, une innité de solutions {Xb, q} pour un même X (un même positionnement de la main est obtenu par une grande variété de postures où les déplacements du tronc, des membres supérieurs et inférieurs "se compensent"). C'est le phénomène de redondance qui traduit le fait qu'il y a un nombre plus élevé de moyens d'actions, ici les coordonnées généralisées (indépendantes), que de contraintes (la situation des organes terminaux). C'est le physiologiste russe N. A. Bernstein [Bernstein N. 67] qui fut le premier a introduire cette notion dans les années 50 en parlant de "problème mal posé". Depuis la redondance a été considérablement traitée en robotique. Le couple (être humain, tâche de manipulation) fournit une situation naturellement redondante : en eet, un objet peut être atteint par diérentes postures et nous pouvons réaliser une même action en congurant diéremment notre structure cinématique. La gure 2.22 illustre cette notion en montrant que la même position d'un point centré à l'extrémité de la main est obtenue par diérentes postures.

En terme de génération automatique de posture, cet état de fait pose le problème du choix d'une bonne solution. Lorsqu'on s'intéresse au mouvement, au déplacement, et à l'incrément au premier ordre, l'objet mathématique qui se substitue au MGD est le modèle qui relie la vitesse de X, ˙X, à la vitesse aux articulations, ˙q. C'est le Modèle Cinématique Direct (MCD). On l'obtient par diérentiation et, comme Xb est xe, sa forme est la suivante :

˙

X = J(q) ˙q

où J est une matrice à m lignes et n colonnes. Cette relation est linéaire pour une conguration donnée. Ce caractère linéaire permet de disposer de résultats d'analyse très étendus pour ce type de modèle. De manière analogue à celle rencontrée pour les modèles géométriques, c'est une relation qui permet de trouver ˙q pour ˙X imposé, qui est généralement recherchée. Comme le MCD est linéaire, on dispose de moyens de résolution, i.e.

d'inversion  classique ou généralisée  du MCD, puissants dont les modalités varient selon les dimensions de

J et les propriétés de l'application linéaire qu'elle représente dans le système de coordonnées choisi. On peut généralement écrire les solutions, lorsqu'il en existe, sous la forme :

˙q = ˙q1+ ˙q2

où le premier terme ˙q1 est déni par la consigne ˙X et est de la forme ˙q1 = M ˙X où M est une matrice à n lignes et m colonnes et où le second terme ˙q2 est indépendant de ˙X.

D'un point de vue pratique, cette relation nous indique que l'on peut réaliser un même suivi de trajectoire avec diérentes évolutions de la posture. Un exemple simple, académique s'il en est, est celui qui consiste à écrire au tableau en agissant uniquement avec les membres supérieurs ou en produisant le mouvement désiré en combinant le déplacement du haut et du bas du corps. Notons, d'ores et déjà, que lorsqu'on considère un système holonome i.e. tel que la structure cinématique n'impose pas de couplage non intégrable entre les vitesses généralisées, la dimension de l'espace des solutions au niveau géométrique et cinématique est identique en dehors des congurations dites singulières.

Remarque : On le voit, lorsqu'il s'agit d'inverser la relation qui concerne les vitesses, on entre dans le cadre linéaire et les outils mathématiques fournissent des moyens systématiques de résolution. Ce constat est intéressant à plus d'un titre car la matrice J qui relie les vitesses est celle qui relie également de manière exacte les diérentielles, et, au premier ordre, les incréments ou variations δX et δq : c'est donc la relation que l'on peut utiliser à chaque fois qu'on fait l'hypothèse d'une petite variation autour d'une posture de référence. On pourra donc utiliser le même outil à chaque fois qu'il sera utile d'approximer : Xi+1 − Xi par J(q)(2qi+1− qi). Ce pourra être utile notamment pour :

 résoudre de manière numérique l'inversion du MGD à partir d'un estimé initial (c'est d'ailleurs la base des méthodes numériques itératives qui permettent la résolution dans les cas quelconques),

 faire varier localement la situation.

2.5 Conclusions

Dans ce chapitre, nous avons précisé le type de tâche que nous nous attachons à faire réaliser de manière automatique à notre opérateur virtuel. Celle-ci est naturellement dénie dans l'espace opérationnel et la géné-ration automatique de mouvement revient à trouver une relation valide entre l'espace généralisé, où est dénie

l'action des diérentes articulations, et l'espace opérationnel. La recherche d'une telle solution s'eectue dans le cadre d'une modélisation simpliée de l'humain mais qui tient compte d'un certain nombre de caractéristiques physiologiques : butées articulaires, proportions, masses. Le point-clé de la problématique que nous avons décrite est la redondance. A première vue, celle-ci nous fournit localement une innité de solutions d'un point de vue de "roboticien". Mais un opérateur humain n'est pas un robot et nous nous devons de rechercher une ou des solution(s) naturelle(s). Comment restreindre l'ensemble des solutions qui sont fournies par nos modèles géomé-triques ou cinématiques ? Le chapitre suivant a pour ambition d'extraire des caractéristiques, des comportements et peut être des "invariants" à partir de l'étude, d'une part de la littérature concernant le mouvement humain, d'autre part de campagnes de capture de mouvement.

Nous nous intéressons à la génération automatique de mouvements d'atteinte (mouvement point à point) eectués par un opérateur, assis ou debout, sur un poste de travail. La redondance naturelle de l'humain le conduit à pouvoir atteindre un même objectif avec diverses postures, et en suivant diverses trajectoires dans l'espace cartésien. Le mouvement eectué dans l'espace articulaire répondant à une consigne dans l'espace cartésien n'étant pas unique, il est nécessaire de faire des choix pour la génération d'une solution automatique. An que ces choix conduisent à des solutions automatiques à la fois paramétrables et proches d'une solution que pourrait réaliser un humain, nous proposons d'étudier et d'analyser le mouvement humain dans ce chapitre. Pour ce faire, nous nous basons sur de nombreuses études et travaux réalisés dans les domaines de la physiologie, des neurosciences et de la biomécanique dans lesquels le mouvement humain a été étudié dans des buts divers tels que la compréhension des mécanismes cognitifs mis en ÷uvre lors du mouvement, l'étude du contrôle moteur, ou la prédiction de mouvement par exemple. Nous souhaitons ainsi obtenir des informations sur l'existence de caractéristiques invariantes au mouvement, telles que la forme d'une trajectoire dans un espace ou la valeur d'un critère à optimiser, ceci an de contraindre le problème, et donc de réduire la taille de l'espace des solutions en ne conservant que des solutions susceptibles d'être réalisées par un humain.

En d'autres termes, nous recherchons des propriètés remarquables, des critères ou principes concernant :  les trajectoires suivies dans l'espace cartésien par un organe terminal (la main en l'occurrence),  les trajectoires suivies dans l'espace articulaire,

 les coordinations articulaires,

 les courbes d'évolution des vitesses dans l'espace cartésien ou articulaire.

La première partie de ce chapitre consiste en un état de l'art de l'étude du mouvement humain. Les conclusions obtenues sont confrontées à des expérimentations que nous avons eectuées sur divers sujets. Enn, le même dispositif expérimental est utilisé an d'analyser un mouvement spécique pour lequel peu de résultats sont disponibles dans la littérature.