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3.2 Résultats observationnels de l’ère pré-INTEGRAL

3.2.1 Les systèmes à trou noir

Nouvelles découvertes et comportement temporel

Parmi les binaires X, les cibles les plus intéressantes pour les instruments X-dur/γ sont les systèmes à trou noir (ou candidat trou noir). Par rapport aux systèmes à étoile à neutrons, ils présentent en moyenne des spectres plus durs et une luminosité plus importante au-delà de 20 keV (White et al., 1988; Barret et al., 1996). Ainsi, plusieurs sources de cette catégorie ont été découvertes par les instruments à bord de GRANAT, CGRO et RXTE, comme par exemple GRS 1915+105 (Castro-Tirado et al., 1992), GRO J0422+32 (Paciesas et al., 1992) et XTE J1550–564 (Smith, 1998).

Grâce à ses capacités de moniteur, BATSE fut le premier instrument qui permit d’étudier l’évolution à long terme de plus d’une douzaine d’entre eux. Cette étude a montré que le com- portement temporel au-dessus de 20 keV sépare les binaires X à trou noir en trois sous-classes

(Grove, 1999) :

– Les sources persistantes : elles sont caractérisées par une émission continue au-dessus de 20 keV dont l’intensité peut cependant varier de plusieurs ordres de grandeur sur diverses échelles de temps. Parmi les sources persistantes figurent p.ex. Cygnus X-1, 1E1750.7– 2942 et GRS 1758–258.

– Les sources épisodiques : aussi appelées SLTs (pour Slow Rise Transients, Harmon et al. 1994), elles sont caractérisées par des épisodes récurrents de forte activité (les sursauts ou outbursts en anglais), séparés par des phases de quiescence. Les sursauts majeurs sont généralement lumineux, assez similaires en intensité et peuvent durer plusieurs années. Pendant les phases de quiescence, souvent assez longues elles aussi, le flux>20 keV n’est plus détectable. GX 339–4, GRS 1915+105 et GRO J1655–40 sont des représentants de cette catégorie.

– Les novae-X : aussi parfois appelés SXRTs (pour Soft X-Ray Transients) ou FREDS (pour Fast Rise Exponential Decay Sources, Grove et al. 1998), elles sont caractérisées par des sursauts moins fréquents et de durée plus courte. La courbe de lumière typique d’un sur- saut d’une nova-X présente une montée relativement rapide (de l’ordre de quelques jours) et une décroissance plus ou moins exponentielle dont la durée typique est de l’ordre d’un mois. De plus, des maxima secondaires sont souvent observées lors de la décroissance graduelle du flux. Les novae-X les plus étudiées sont GS 2023+338 (X-Nova Cyg 1989), GS/GRS 1124–68 (X-Nova Mus 1991) et GRO J0422+32 (X-Nova Per 1992).

Comme indiqué au premier chapitre, ces différences peuvent s’expliquer par la nature de l’étoile compagnon et la taille de séparation de la binaire. Ces deux aspects ont une influence importante sur la température (i.e. la stabilité, cf. section 1.3.2) du flot d’accrétion et déterminent ainsi le comportement à long terme de l’émission X/γ (van Paradijs, 1996; King et al., 1996; Dubus et al., 1999).

A la fin des années 90, avec la découverte de plus en plus de sources dont les sursauts avaient des formes et des durées variées, la sous-classification entre sources épisodiques et novae-X a progressivement été abandonnée, si bien qu’aujourd’hui on distingue simplement entre sources transitoires et sources persistantes.

Continuum à haute énergie

En ce qui concerne la caractérisation et la modélisation du continuum à haute énergie, Cy- gnus X-1 est la binaire à trou noir par excellence. Les états spectraux canoniques (cf. Chapitre 2) ont en effet été définis à partir du comportement bimodal de cette source. SIGMA a observé seulement l’état dur de Cygnus X-1 et mesuré un spectre qui s’étend au moins jusqu’à 500 keV, caractérisé par une loi de puissance dure (Γ ∼ 2.0) à coupure exponentielle à haute énergie (Sa- lotti et al., 1992). Un tel spectre peut s’expliquer par un processus de Comptonisation thermique

(Titarchuk, 1994), i.e. des interactions Compton inverses entre une distribution Maxwellienne d’électrons chauds de la couronne (cf. Chapitre 2) et un champ de photons mous issus du disque d’accrétion. La somme d’un grand nombre d’observations pointées d’OSSE a montré que le spectre de l’état dur de Cygnus X-1 s’étend au moins jusqu’à ∼1 MeV (Phlips et al., 1996).

En 1996, Cygnus X-1 a quitté l’état dur et OSSE a pu étudier le spectre de l’état mou, bien décrit par une loi de puissance à pente plus molle (Γ ∼ 2.5) qui s’étend sans coupure apparente jusqu’à plus de 800 keV. Un tel spectre peut s’expliquer par un processus de Comptonisation non-thermique, i.e. des interactions Compton inverses faisant intervenir des électrons distribués en loi de puissance (Dermer et al., 1996; Li & Miller, 1997). Une distribution Maxwellienne, en revanche, n’est pas adaptée pour expliquer le spectre à haute énergie de l’état mou.

En réunissant les résultats de SIGMA, BATSE et OSSE avec des données simultanées à plus basse énergie (issus des observatoires Ginga, ASCA et RXTE par exemple), la communauté a pu utiliser des modèles de plus en plus sophistiqués pour expliquer les deux spectres canoniques, incluant notamment la réflexion des photons X-durs par le disque d’accrétion (George & Fabian, 1991; Magdziarz & Zdziarski, 1995) et la présence d’électrons non-thermiques dans la couronne (Coppi, 1992). Dans le cadre des modèles de Comptonisation thermique, Gierlinski et al. (1997) et Ling et al. (1997) ont montré que la partie haute énergie du spectre de l’état dur ne se laisse pas expliquer par une population unique d’électrons, mais nécessite des populations à deux températures différentes. Une étude similaire de l’état mou (Gierli´nski et al., 1999) a permis de discuter la géométrie du flot d’accrétion dans cet état et mis en évidence que l’émission haute énergie peut être attribuée à une population hybride d’électrons (i.e. thermique et non- thermique). Une analyse des données COMPTEL a finalement révélé que le spectre de Cygnus X-1 s’étend au-delà du MeV (McConnell et al., 2000). McConnell et al. (2002) ont étudié les spectres large bande (0.5 keV – 10 MeV) des deux états canoniques à l’aide d’un modèle physique auto-consistent (Coppi, 1999). Ils ont montré entre autre que la partie haute énergie du spectre de l’état dur pouvait, elle aussi, s’expliquer par la présence d’une fraction d’électrons non-thermiques dans la couronne.

Parallèlement, SIGMA, OSSE et COMPTEL ont pu mesurer la partie haute énergie des spectres d’autres systèmes binaires à trou noir ou candidat trou noir. En comparant les résul- tats obtenus pour une petite dizaine de sources1, Grove et al. (1998) ont identifié deux états spectraux dans le domaine γ-mou qui sont observés de manière récurrente :

1. L’état dit à cassure : cet état présente un continuum Comptonisé à pente dure (i.e. avec un indice spectral typique deΓ ∼ 1.5 − 2.0) et une coupure exponentielle entre 50 – 150 keV. Il coïncide avec l’absence d’une forte composante thermique à basse énergie et peut donc être identifié avec l’état dur.

2. L’état dit à loi de puissance : cet état présente un spectre en loi de puissance à pente

Figure 3.4 – Distribution spectrale bimodale de Cygnus X-1. Les spectres rouge et bleu repré- sentent les états canoniques, respectivement l’état à loi de puissance et l’état à cassure. La figure est tirée de Zdziarski et al. (2004) et les données proviennent de Gierli´nski et al. (1999) pour l’état mou et de McConnell et al. (2000) pour l’état dur.

relativement molle (i.e. avec un indice spectral typique deΓ ∼ 2.5 − 3.5) sans aucun signe de coupure à haute énergie. Sur certaines sources, la loi de puissance est détectée au-delà de 511 keV mais de manière générale le spectre ne présente pas de raie d’annihilation visible2. En raison de la présence d’une forte composante thermique en rayons X, l’état à loi de puissance s’apparente avec l’état mou ou l’état très intense.

De manière évidente, cette classification est consistante avec le comportement bimodal de Cy- gnus X-1, ce qui explique le caractère représentatif des spectres de cette source (cf. Figure 3.4).

Les modèles d’accrétion

La variabilité du spectre à haute énergie, observée dans la plupart des systèmes à trou noir, a suscité beaucoup d’intérêt dans la communauté. De nombreux travaux ont été consacrés à dégager des modèles capables d’expliquer ce phénomène de manière cohérente. Ces modèles tentent de déterminer la nature du flot d’accrétion interne, les processus d’émission ainsi que les mécanismes de chauffage impliqués. Le paradigme standard, présenté au chapitre 2, stipule que le spectre de l’état dur est produit par un flot radiativement inefficace, de type ADAF, qui chauffe les électrons par collisions, i.e. de manière thermique. En revanche, le spectre de l’état

2. Remarquons cependant que des raies d’annihilation ont été rapportées pour les sources 1E 1740.7-2942 (Bouchet et al., 1991) et Nova Muscae (Goldwurm et al., 1992).

mou suggère la présence d’une population d’électrons non-thermiques, i.e. la nécessité que les particules soient accélérés.

Pourtant, certaines sources montrent des comportements qui remettent en question ce para- digme. La partie la plus énergétique du spectre des états durs lumineux semble incompatible avec les lois d’une simple Comptonisation thermique (i.e. selon le modèle de Sunyaev & Titar- chuk 1980). Comme mentionné plus haut, cette déviation peut être expliquée par une deuxième population Maxwellienne d’électrons plus chauds (Gierlinski et al., 1997; Ling et al., 1997), ou de manière alternative, par la présence d’une faible fraction d’électrons non-thermiques (Mc- Connell et al., 2002). Notons cependant qu’une émission au-delà du MeV, qui a été observé pour l’état dur de Cygnus X-1 (McConnell et al., 2000), est difficilement conciliable avec un processus de Comptonisation thermique.

Dans le cadre d’un plasma à deux températures (de type ADAF, cf. Partie 2.2.2 du Chapitre 2), les protons chauds peuvent aussi jouer un rôle dans la production de cette composante sup- plémentaire. En effet, Jourdain & Roques (1994) ont remarqué que la décroissance des pions neutres produits par interactions proton-proton peut créer une population de paires e+e−. Le rayonnement inverse Compton produit par ces particules peut expliquer les excès qui sont ob- servés au-dessus de 200 keV dans certaines sources comme p.ex. Cygnus X-1, GX 339–4 et GRO J0422+32 (Johnson et al., 1993; Roques et al., 1994). Pour des résultats relativement récents à ce sujet, nous renvoyons le lecteur à (Bhattacharyya et al., 2006).

Enfin, Laurent & Titarchuk (1999) ont proposé un modèle de Comptonisation dynamique qui prend en compte le mouvement de chute libre des électrons sur le trou noir dans les régions les plus internes du flot (R ≤ 3RG), au-delà de la dernière orbite stable. Ce modèle, appelé BMC (pour Bulk Motion Comptonization en anglais), produit des spectres similaires aux modèles de Comptonisation thermique standard (de type Sunyaev & Titarchuk (1980)), avec toutefois un excès à haute énergie. Des calculs plus récents (Nied´zwiecki & Zdziarski, 2006) ont cependant montré que ce mécanisme n’est pas suffisant pour expliquer les spectres de Cygnus X-1, puisque le modèle prédit une coupure trop basse pour être en accord avec les observations d’OSSE et de COMPTEL.