CHAPITRE I : CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE
I. 1.3.2. … Marqué par un climat de défiance envers les acteurs intermédiaires de la distribution,
I.2. Des initiatives visant à rapprocher production et consommation sur les territoires
I.2.1. Des systèmes alimentaires alternatifs fondés sur la relocalisation alimentaire
Les pressions exercées par les dérives du système alimentaire dominant se traduisent en
partie par le développement d’initiatives prenant racine dans une forme d’opposition, ou de
rupture, face au système en place. On assiste ainsi à une profusion d’initiatives voulues
« alternatives » au modèle dominant, qui sont portées par une diversité d’acteurs du
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A l’exemple de cet article relatant le lancement d’un site de vente en ligne de produits locaux sur l’agglomération clermontoise : http://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/puy-de-dome/clermont-ferrand/produits-locaux-portee-clics-clermont-ferrand-1362525.html
système alimentaire. Ces initiatives développées sur les territoires, les « systèmes
alimentaires alternatifs » (Deverre et Lamine, 2010), ont en commun un ancrage local ou
territorial marqué, une volonté forte de rapprocher producteurs et consommateurs, ainsi
que le souhait de permettre le développement d’un système alimentaire plus durable
(Goodman, 2003). Ils visent également à proposer une plus grande transparence que dans
les circuits de distribution relevant du système alimentaire conventionnel. La plupart de ces
alternatives prônent en particulier une « consommation engagée » (Dubuisson-Quellier,
2009), c’est-à-dire un rôle actif des consommateurs-citoyens dans les choix conduits en
matière d’alimentation. Les consommateurs diversifient en effet progressivement leurs
sources d’approvisionnement alimentaire, exprimant par ce biais leur volonté de « reprendre
le contrôle de leur alimentation » (Bricas et al., 2013).
Bien que les initiatives relevant des systèmes alimentaires alternatifs présentent une grande
diversité, toutes sont orientées vers la reconnexion entre producteurs et consommateurs, en
particulier du fait de l’intérêt que portent ces derniers à l’origine et la traçabilité de leur
alimentation. Le rapprochement entre producteurs et consommateurs est envisagé en
premier lieu au travers du développement des circuits courts, qui font en France l’objet
d’une attention croissante depuis les années 2000 (Maréchal, 2008).
Nous revenons ici sur les différentes notions mobilisées par la littérature pour aborder le
phénomène de rapprochement entre production et consommation, qu’il soit fondé sur des
circuits visant à réduire le nombre d’intermédiaires entre production et consommation, ou
plutôt sur le rapprochement géographique entre production et consommation. Les circuits
courts, tels que définis par le Ministère en charge de l’agriculture en 2009, désignent ainsi un
mode de commercialisation de produits agricoles en vente directe ou faisant intervenir un
intermédiaire au maximum. Ils sont essentiellement constitués par la vente directe, qui
implique un contact direct entre producteur et consommateur. En France, les circuits courts
sont pratiqués par 21 % des producteurs agricoles (Agreste, 2012), tous produits confondus.
Les modes de commercialisation retenus par le recensement général agricole ne tiennent
jusqu’ici compte que de la vente directe ou à un intermédiaire, laissant alors de côté les
circuits de proximité, qui peuvent être pratiqués par un plus grand nombre d’acteurs des
systèmes alimentaires. Les circuits de proximité désignent des circuits faisant intervenir une
proximité à la fois géographique et relationnelle entre producteurs et consommateurs (Praly
et al., 2014).
La définition des circuits courts étant axée sur la longueur des circuits (et donc, sur le
nombre d’opérateurs intervenant dans la chaîne alimentaire), elle ne fait pas intervenir la
proximité physique entre producteurs et consommateurs ; les circuits de proximité
permettent donc d’envisager l’existence de circuits courts mais distanciés
géographiquement, pouvant apparaître comme des aberrations au sens du développement
durable. En effet, le caractère supposément durable des circuits courts s’en trouve alors
impacté, les distances géographiques parcourues par les produits pouvant être
conséquentes. La notion de « local », est quant à elle, malaisée à définir (Kneafsey et al.,
2013 ; Arnauld de Sartre et al., 2010) : elle repose avant tout sur la conception d’un espace a
priori infrarégional, celui des espaces de proximité géographique, sans pour autant faire
intervenir la question de la longueur des circuits de distribution considérés. De façon
générale, son acception varie en fonction des acteurs et initiatives considérés
(Amilien, 2005) : le « local » peut ainsi désigner un rayon de 25 à 250 km autour du lieu
choisi (qu’il s’agisse d’un périmètre administratif, d’un point de vente, etc.).
Au-delà des consommateurs et producteurs, qui sont placés au cœur des rapprochements
évoqués plus tôt, les acteurs publics se positionnent aussi peu à peu comme des acteurs
centraux de la relocalisation alimentaire. Certaines collectivités territoriales ambitionnent
ainsi de « rapprocher » l’agriculture des villes, qui constituent les bassins de population les
plus importants (Guiomar, 2014). L’action des collectivités passe par exemple par le soutien
et la protection de l’agriculture périurbaine, la promotion de la consommation de produits
locaux, la création d’évènementiels spécifiques (foires gastronomiques, repas à thèmes)
destinés à améliorer la connaissance des produits agricoles sur les territoires, etc. La
relocalisation s’applique ici à tous types de produits, y compris des produits « banaux »
(Delfosse, 2012). Enfin, les initiatives publiques en matière d’alimentation s’orientent
fortement vers la restauration collective, envisagée comme le levier principal dont disposent
les acteurs publics vers la durabilité des systèmes alimentaires (Morgan et Sonnino, 2010).
La relocalisation de l’alimentation vise avant tout à contrer le phénomène de déconnexion
entre les consommateurs et leur alimentation, constaté au sein du système alimentaire
conventionnel. L’enracinement local est alors envisagé comme permettant une maîtrise
accrue du système alimentaire par ses acteurs et notamment les consommateurs, soulevant
de la sorte des questions de démocratie alimentaire (Hassanein, 2003). Pour Poulot (2014) la
production locale apparaît en effet comme « susceptible d’être suivie, connue et reconnue
et […] moins suspecte », et peut donc contribuer à améliorer la connaissance des
consommateurs concernant l’origine, comme les circuits de distribution, empruntés par
leurs aliments.
Les systèmes alimentaires alternatifs recouvrent finalement une grande diversité de réalités,
depuis le développement de formes traditionnelles de vente directe (Chiffoleau, 2017) au
commerce équitable, ou encore aux mouvements de justice alimentaire, particulièrement
développés en Amérique du Nord par exemple (Hochedez et Le Gall, 2016). La capacité de
ces systèmes à engager une transition vers une plus grande durabilité (des systèmes
alimentaires), est souvent affirmée mais paraît finalement limitée. En effet, leur rôle en
faveur d’une plus grande durabilité est parfois questionné, notamment quant à leur
contribution effective à l’émission de gaz à effet de serre souvent prise pour acquise, ou à
leur rôle dans une plus juste répartition de la valeur ajoutée, le long des circuits de
distribution. De plus, la grande diversité des systèmes alimentaires alternatifs implique des
initiatives disséminées, et parfois déconnectées ou peu mises en cohérence sur les
territoires (Renting et Wiskerke, 2010) ; leur échelle d’inscription étant variable, cette mise
en cohérence s’avère parfois délicate. Au-delà de la mise en cohérence entre ces initiatives à
l’échelle territoriale, la diversité des acteurs impliqués dans les systèmes alimentaires
alternatifs nous interroge également sur la coordination (et les processus associés) entre ces
derniers. Enfin, la grande majorité de ces initiatives étant centrée sur la relation directe
entre producteurs agricoles et consommateurs, elles laissent généralement de côté les
autres acteurs des systèmes alimentaires et notamment les intermédiaires, souvent perçus
comme néfastes à leur bon développement et porteurs du modèle conventionnel qu’elles
combattent. L’attention croissante portée à ces systèmes alternatifs conduit donc à négliger
certains acteurs, qui occupent pourtant un rôle central dans la structuration des systèmes
alimentaires (Pouzenc, 2016). C’est le cas des acteurs de la distribution, qui participent
pourtant aux mouvements de relocalisation de l’alimentation.
Dans le document
Rôle des acteurs du commerce et de la distribution dans les processus de gouvernance alimentaire territoriale
(Page 39-42)