CHAPITRE I : CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE
I. 1.3.2. … Marqué par un climat de défiance envers les acteurs intermédiaires de la distribution,
I.2. Des initiatives visant à rapprocher production et consommation sur les territoires
I.2.2. Des distributeurs impliqués dans la relocalisation alimentaire
I.2.2.5. Des acteurs émergents en matière de relocalisation alimentaire
En-dehors des acteurs « traditionnels » de la distribution alimentaire cités précédemment,
d’autres acteurs du commerce et de la distribution interviennent désormais en matière de
relocalisation alimentaire. Les initiatives de valorisation des produits en circuits courts
portées par des coopératives se sont ainsi récemment multipliées, avec l’ouverture
successive de points de vente à Toulouse, Herblay ou à proximité de Blois par exemple. Ainsi,
10
http://www.jardindici.fr/, consulté le 12 décembre 2018.
11 Cette vision est particulièrement défendue par les organisations professionnelles du commerce alimentaire, à l’image des fédérations professionnelles des métiers.
le groupe InVivo a ouvert en octobre 2014, son premier magasin de produits locaux
(Delvallée, 2014), proposant une offre composée à 70 % de produits fabriqués en
Midi-Pyrénées. Le groupe InVivo détient 52 % des parts, le reste étant réparti entre les quatre
coopératives à l’origine du projet (Vivadour, les Fermes de Figeac, Val de Gascogne et
Arterris). L’ambition du groupe pour le futur est de développer ce type de magasins sous
forme de franchises, en restant cependant l’actionnaire majoritaire au départ pour s’assurer
de la cohérence du dispositif. A la même période, la coopérative Unicor a inauguré « Les
halles de l’Aveyron » à Herblay (Val d’Oise), en suivant une logique semblable à celle
d’InVivo. Il s’agit du deuxième magasin de la coopérative, qui indique compter sur sa
maîtrise complète de la chaîne agroalimentaire pour mettre en place de tels « circuits courts
collectifs
12». Le fait de doter les magasins d’une enseigne commune permet de rayonner
au-delà des limites régionales, en continuant à proposer des produits à l’identité « terroir »
forte (produits par des agriculteurs aveyronnais exclusivement). Ce type d’initiative est
jusqu’alors porté par des groupes coopératifs importants (respectivement InVivo, Unicor ou
un groupement de onze coopératives du Centre). En effet, de nombreux freins peuvent se
poser à des coopératives de taille plus restreinte : gamme de produits limitée, problèmes de
gouvernance éventuels, coûts de l’ouverture d’un magasin trop élevés et forte concurrence
avec les GMS locales (Christy et Scandella, 2011). Les plus petites coopératives agricoles, qui
participent fortement à la définition de la stratégie d’accès au marché de leurs adhérents,
participent cependant à la relocalisation de l’alimentation par les circuits de distribution
qu’elles empruntent, majoritairement locaux ou régionaux (Magrini et al., 2011).
Enfin, on assiste également à la multiplication de concepts de distribution alimentaire
spécifiquement orientés vers la commercialisation de produits locaux, qu’il s’agisse de
systèmes de commercialisation en ligne comme La Ruche qui dit Oui !
13, dont le réseau a
essaimé sur l’ensemble du territoire français, ou de magasins ou sites Internet proposant
exclusivement des produits locaux par exemple. Ces nouveaux intermédiaires de la
distribution peuvent relever d’organisations distinctes : d’une part, des distributeurs
émanant de grands groupes de la distribution, à l’image d’O’Tera du Sart (fondé par un
membre de la famille Mulliez) ; d’autre part, il peut s’agir d’initiatives non issues de la
distribution professionnelle et fondées sur un modèle collaboratif, visant à proposer une
mise en réseau des acteurs, à l’image de La Ruche Qui Dit Oui !. Enfin, il peut s’agir
d’initiatives plus locales orientées avant tout vers la mise en relation des producteurs et des
consommateurs, issues de l’économie numérique.
Les initiatives présentées laissent finalement entrevoir le rôle joué par les commerçants et
distributeurs dans la mise en œuvre d’un approvisionnement local. Ce rôle peut notamment
se jouer sur la mise en avant de la proximité géographique entre producteurs et
consommateurs, par la prise en charge de fonctions logistiques, de transport, de préparation
des produits (par la constitution de lots, la découpe, l’emballage, etc.). Malgré ces
12 http://www.lafranceagricole.fr/var/gfa/storage/fichiers-pdf/Docs/2014/hallaveyron.pdf
possibilités nombreuses, leur légitimité en la matière est régulièrement questionnée. En
effet, force est de constater que les acteurs du commerce et de la distribution sont bien
souvent absents, voire « négligés », dans les démarches publiques visant à une
reterritorialisation de l’alimentation. L’exemple le plus frappant est certainement celui de
l’approvisionnement local de la restauration collective, qui se développe largement sur
l’ensemble du territoire français. En effet, les initiatives d’approvisionnement local de la
restauration collective peuvent par exemple aboutir à la création de nouvelles plateformes
de regroupement de l’offre locale, ne tenant pas compte des grossistes et expéditeurs déjà
présents sur le territoire (Le Velly, 2011). Ces derniers réalisent pourtant déjà certaines des
activités d’approvisionnement et de logistique nécessaires à la constitution et à la
distribution d’une offre locale sur un territoire.
L’engagement des distributeurs en matière d’alimentation de proximité illustre finalement
un phénomène à l’œuvre de « réinvention locale des circuits longs » (Chiffoleau, 2014
14).
Cette notion se réfère au fait que des acteurs relevant du système alimentaire
conventionnel, tels que les commerçants et distributeurs, investissent circuits courts et
relocalisation alimentaire. Ce phénomène n’est cependant pas synonyme de changements
associés à la gouvernance des filières agroalimentaire. La diffusion des circuits courts peut
amener à réfléchir à de nouvelles alliances entre producteurs et acteurs de la distribution ;
au sein même de la grande distribution, l’engagement sur la voie de l’alimentation de
proximité peut par exemple être à l’origine d’initiatives de mutualisation entre acteurs
(concernant la recherche de fournisseurs, la logistique, le partage d’expérience et la visite
d’exploitation, etc.). Certains partenariats se créent ainsi progressivement entre les
intermédiaires du commerce et de la distribution, et des entreprises prenant en charge la
promotion des produits locaux commercialisés par une enseigne (à l’exemple de la société
« Le Petit Producteur » et sa marque collective Direct Producteur), ou entre des collectivités
faisant la promotion d’une marque territoriale à l’échelle d’une région et les distributeurs
(Bravo l’Auvergne par exemple). La promotion d’une marque territoriale peut donc être à
l’origine de partenariats entre acteurs de la distribution et collectivités (Beylier et al. 2011) :
en effet, le distributeur y joue un rôle clé dans la promotion d’une marque locale, de par les
volumes commercialisés et sa capacité à réaliser des opérations de promotion et
communication autour d’une telle initiative. Ainsi, les collectivités soutenant la création de
marques collectives territoriales peuvent s’appuyer sur les initiatives individuelles de
certaines enseignes, qui commercialisent des produits sous cette marque territoriale.
Pour finir, les initiatives portées par les acteurs du commerce et de la distribution illustrent
la diversification progressive des processus de relocalisation alimentaire. Ces acteurs
apparaissent en effet comme des acteurs de cette relocalisation. D’autres acteurs se
positionnent également en la matière, à l’image des pouvoirs publics ou des citoyens ; les
initiatives qu’ils portent sont aujourd’hui largement médiatisées, par rapport à celles que
nous venons d’évoquer.
Dans le document
Rôle des acteurs du commerce et de la distribution dans les processus de gouvernance alimentaire territoriale
(Page 47-50)