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II. Isonitriles et RMC

II.1 Les isonitriles

II.1.1 Synthèses

En 1859, Lieke a synthétisé de manière fortuite, le premier isonitrile en mettant en réaction, un iodure d’allyle avec du cyanure d’argent.213 Cependant, il n’a pas été en mesure d’identifier ce qu’il avait synthétisé (Schéma II.12). Cet isonitrile n’a été identifié formellement que quelques années plus tard par Gautier214,215 et Hofman.216

Schéma II.12. Première préparation d’isonitrile par Lieke.

Durant la première moitié du XXème siècle, différentes voies de synthèse ont été proposées mais se sont révélées complexes et inefficaces. Cela explique, partiellement, le faible développement de la chimie des isonitriles pendant cette période. De plus, l’odeur extrêmement irritante et pénétrante qui se dégage de certains isonitriles simples (isocyanoalkyles : MeNC, tBuNC, BnNC) a refoulé l’enthousiasme d’un certain nombre de chimistes.

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Le véritable renouveau de cette chimie se produit dans les années 1960 grâce notamment à Ugi et ses collègues. Il développe deux nouvelles méthodes fiables et robustes de synthèse des isonitriles qui ouvrirent la voie vers le développement de plusieurs RMCI.

La première méthode est issu directement des travaux pionniers d’Hofman qui, en 1867, propose la préparation d’isonitriles par réaction d’une amine primaire avec le chloroforme, en présence de potasse comme base.216 Cette méthode dite « carbylamine » d’Hofmann, souffre néanmoins de beaucoup de défauts comme le faible nombre d’amines pouvant réagir et la formation de produits secondaires (Schéma II.13).

Schéma II.13. Synthèse d’isonitrile par la méthode carbylamine d’Hofmann.

Nef présente en 1897, un mécanisme réactionnel pour la réaction d’Hofman.217 La réaction d’un dichlorocarbène, généré in situ par la réaction du chloroforme et de la potasse, sur une amine forme l’isonitrile après élimination de deux molécules de chlorure d’hydrogène (Schéma II.14).

Schéma II.14. Mécanisme proposé par Nef pour la réaction d’Hoffman.

En 1972, Weber Gokel et Ugi développent une version améliorée de la méthode carbylamine d’Hofmann. Celle-ci utilise un catalyseur de transfert de phase de type ammonium quaternaire dans un mélange bi-phasique dichlorométhane/eau.218 Cette voie facilite les étapes de déprotonation et améliore la sélectivité de l’addition du dichlorocarbène sur l’amine, limitant ainsi la génération de sous-produits (Schéma II.15).

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Schéma II.15. Méthode carbylamine d’Hoffman revisité par Weber et al.

La seconde méthode de synthèse repose sur la déshydratation de N-formamides monosubstitués issus d’amines primaires. La première version utilisait du phosgène, dont la forte toxicité rendait son usage difficile par les chimistes.219 Une alternative fut ensuite d’utiliser d’autres agents de déshydratation plus facilement manipulables (oxychlorure de phosphore, pentoxyde de phosphore, chlorure de thionyle en association avec le DMF, tribromure de phosphore) en présence d’une base (généralement une trialkylamine comme la N,N-diisopropyléthylamine, DIPEA ou la triéthylamine, TEA) pour donner l’isonitrile (Schéma II.16).220,221

Schéma II.16. Déshydratation des N-formamide à l’aide du couple DIPEA/POCl3.

Le mécanisme de cette déshydratation peut commencer par l’attaque nucléophile de l’atome d’oxygène du mésomère iminoalcoolate du N-formamide sur l’atome de phosphore de l’oxychlorure de phosphore. On forme alors un cation iminium dont l’atome d’hydrogène est capté par la DIPEA. Le cation nitrilium qui en résulte perd à nouveau un atome d’hydrogène sous l’action de la DIPEA pour donner l’isonitrile. L’excès d’oxychlorure de phosphore est finalement transformé en phosphate par hydrolyse basique. (Schéma II.17).

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Schéma II.17. Mécanisme de déshydratation des N-formamides avec le couple DIPEA/POCl3.

Bien que la méthode précédente soit très utilisée de nos jours, une nouvelle procédure de déshydratation des N-formamides, utilisant le réactif de Burgess, est décrite en 1998 par Creedon et al.222 Cet agent déshydratant est réputé doux notamment pour la déshydratation des alcools secondaires et tertiaires en alcènes.223 En effet, les conditions utilisant des agents de déshydratation chlorés rends difficile l’emploi de N-formamides chiraux ou fonctionnalisés par des groupements sensibles à leur action comme les groupements silylés. Le réactif de Burgess s’est révélé être chimiosélectif avec des N-formamides diversement fonctionnalisés. Il déshydrate aussi bien les N-formamides aliphatiques que leurs homologues aromatiques. De plus, il permet la synthèse d’isonitriles chiraux avec rétention de configuration sans racémisation préalable du centre chiral (Schéma II.18). Ce réactif commercial est bien adapté pour la synthèse d’isonitriles sophistiqués et il a été retenu dans notre laboratoire pour synthétiser nos isonitriles.

Schéma II.18. Synthèse d’isonitriles par déshydratation avec le réactif de Burgess.

Il n’existe pas de mécanisme publié sur la déshydratation des N-formamides par le réactif de Burgess. Nous nous sommes donc inspirés de la déshydratation avec l’oxychlorure de phosphore et de la déshydratation des alcools secondaires avec le réactif de Burgess pour

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proposer un mécanisme plausible. Celui-ci débute par l’attaque de la forme mésomère iminoalcoolate du N-formamide sur l’atome de soufre de la fonction diazasulfone. Le cation iminium issu de cette addition perd alors un atome d’hydrogène pour donner un cation nitrilium qui sous l’action de l’anion sulfamate, fournit l’isonitrile (Schéma II.19).

Schéma II.19. Mécanisme de déshydratation des N-formamides avec le réactif de Burgess.

La chimie en flux continu (Flow Chemistry en anglais) a également contribué à améliorer la méthode de synthèse des isonitriles par déshydratation des N-formamides. Dans ce contexte, Sharma et al. ont développé un système micro-fluidique permettant la génération en continu d’isonitrile, par déshydratation avec l’oxychlorure de phosphore et la DIPEA et sans émanations de vapeurs odorantes.224 Les isonitriles ainsi générés in situ sont ensuite utilisés, toujours en flux continu, dans différentes RMCI (Passerini, Ugi) (Schéma II.20).

Schéma II.20. Dispositif en flux continu dédié à la génération in-situ d’isonitriles.224

Des composés comme les isocyanates ou les isothiocyanates, peuvent être réduits en isonitriles par différents agents réducteurs. Le triéthylphosphite permet la réduction des isocyanates tandis que les isothiocyanates nécessitent l’usage de triphénylphosphine,

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d’hydrure de triphénylétain ou de cuivre. Ces réductions se déroulaient souvent à des températures élevées et l’isonitrile formé finissait par polymériser. Cela limitait l’usage de ce procédé. Une alternative, permettant de travailler à des températures plus acceptables (34- 36°C), est d’utiliser soit le 1,3-diméthyl-2-phényl-1,3,2-diazaphospholidine, soit le diphényl-

tert-butylsilyllithium ou un mélange trichlorosilane-triéthylamine (Schéma II.21).225–227

Schéma II.21. Synthèse d’isonitriles par réaction d’oxydoréduction.

Certains isonitriles possèdent une odeur tellement fétide et écœurante que l’armée américaine les a considérés un temps pour devenir des armes non létales.228,229 Néanmoins, en travaillant sur la synthèse d’isonitrile par ouverture de cycle oxazole, le groupe de Pirrung a remarqué que les isonitriles ainsi synthétisés n’avaient pas leurs odeurs habituellement repoussantes. Bien au contraire, certains isonitriles sentaient la cerise ou le bonbon par exemple (Schéma II.22).

Schéma II.22. Synthèse d’isonitriles par ouverture du cycle oxazole.

Une version améliorée de la synthèse de Lieke a été développée par El Kaïm et al. Cette méthode met en jeu les cyanures d’argent et de potassium avec un halogénure benzylique ou allylique en présence d’une quantité catalytique de chlorure de triéthylbenzylammonium (TEBAC) à 80°C dans l’acétonitrile. Les isonitriles ainsi formés in situ peuvent être par la suite engagés dans différentes RMCI (Schéma II.23).230–232

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Schéma II.23. Synthèse in situ d’isonitriles.

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