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Sythèse et Objectifs

5.1. Résumé

La sélection perceptive et attentionnelle dont bénéficient les informations émotionnelles par rapport aux informations neutres permet à l’individu d’assurer son bien-être ou sa survie (Vuilleumier, 2015). Cette sélectivité s'observe non seulement lorsque les stimulations apparaissent en VC, mais également en VP, malgré la faible acuité de cette dernière. De plus, des stimuli émotionnels survenant en VP sont capables d’interférer avec le traitement d’informations apparaissant en VC (D’Hondt et al., 2013). Ce traitement privilégié par rapport aux informations neutres se manifeste par un ensemble de réponses cérébrales, lesquelles s’accompagnent de réponses comportementales et physiologiques, en particulier neurovégétatives, visant notamment à préparer l'organisme à agir (Damasio, 1999). Dans ce cadre, un traitement émotionnel altéré au sein de l'espace visuel pourrait conduire à des inadaptations au niveau comportemental et des activités neurovégétatives. En particulier, des perturbations du codage émotionnel de l’information visuelle en VC et en VP sont suspectées chez les individus souffrant d'un trouble anxieux ou dépressif.

En effet, l’anxiété est associée à un état d’hypervigilance (MacLeod & Mathews, 2012), ce qui se traduirait par une augmentation des ressources attentionnelles dédiées à l’environnement, notamment à la VP, dans le but de détecter des stimuli potentiellement aversifs. Au niveau cérébral, l’anxiété généralisée se caractériserait par une hypoactivité préfrontale, entrainant une désinhibition de l’amygdale et une hyperactivité émotionnelle (Davidson, 2002), ce qui conduit, notamment, le patient à considérer les stimuli ambigus comme menaçants. Au niveau neurovégétatif, les individus anxieux semblent présenter une hyeractivation au repos, indicé par un retrait de la modulation parasympathique des organes effecteurs, et en particulier le cœur, et par une augmentation de l’activité sympathique observée notamment sur l’activité électrodermale et la sécrétion d’alpha amylase salivaire. La réactivité neurovégétative en réponse à un facteur de stress, comme une stimulation émotionnelle, est également impactée dans l’anxiété même si les données de la littérature divergent quant à la qualifié d’hypo- ou d’hyperréactivité.

Par opposition, la dépression se caractérise par un ralentissement cognitif, moteur et des ressources attentionnelles dédiées à la VP, ce qui se traduit par une réduction des capacités à prendre en compte les informations survenant en VP. De plus, les patients atteints de dépression présentent une modification pathologique de l’humeur dont la séméiologie psychiatrique se compose principalement de perturbations de l’affectivité qui se traduisent par un biais dans le traitement des émotions (Duque & Vázquez, 2015). Au niveau cérébral, le

trouble dépressif est associé à une hypoactivité du cortex préfrontal dorsolatéral et à une hyperactivité du cortex préfrontal ventromédian (Koenigs & Grafman, 2009). Au niveau neurovégétatif, les individus dépressifs, comme les individus anxieux, présentent une hyeractivation au repos, indicée par un retrait de la modulation parasympathique des organes effecteurs et une augmentation de l’activité sympathique. Comme pour l’anxiété, la littérature diverge quant à l’établissement d’un pattern de réactivité neurovégétative spécifique ; cependant, ces divergences d’interprétation, dans l’anxiété comme dans la dépression, peuvent découler de la diversité des méthodes employées et des différentes limites méthodologies déjà soulignées.

Des perturbations du codage émotionnel dans l’espace visuel s’observent donc dans l’anxiété et la dépression ; toutefois, la dynamique des altérations des activités cérébrales en réponse aux émotions associées aux biais attentionnels, observée dans ces deux pathologies, reste à établir. De plus, il convient d’éclairer les débats menés dans la littérature quant à l’activité et à la réactivité physiologique des individus anxieux et dépressifs. Ceci apparaîtd’autant plus pertinent que ces symptomatologies semblent étroitement liées à la régulation des activités neurovégétatives, sous-tenduepar la balance sympathique/parasympathique.

5.2. Hypothèses générales

De ce qui précède, nous pouvons poser plusieurs hypothèses. L’hypervigilance caractéristique de l'anxiété se traduirait par une augmentation des ressources attentionnelles allouées au traitement des informations survenant en VP. Au niveau comportemental, cela pourrait être observé par une augmentation de la performance dans une tâche de localisation de stimulation survenant aléatoirement en VC ou en VP. Cette performance accrue serait associée à un traitement cérébral précoce de l’information visuelle, et accompagnée par une réactivité neurovégétative accrue pour les stimulations survenant en VP. Par ailleurs, cette hypervigilance pourrait particulièrement concerner les informations émotionnelles comparativement aux neutres, étant donné les biais de perception et attentionnels en faveur des informations déplaisantes, en particulier menaçantes, observées dans l’anxiété. Ainsi, on devrait également observer une augmentation des ressources allouées au traitement des informations émotionnelles.

Dans la dépression, une hypovigilance peut être attendue ; celle-ci se traduirait par une réduction significative des ressources attentionnelles dédiées à la VP et des performances comportementales de localisation ou de catégorisation amoindries.

5.3. Objectifs

L’objectif de ce projet de recherche est double. Il vise à : (1) comparer l’impact cérébral, comportemental et neurovégétatif de la valeur émotionnelle de stimulations visuelles en vision centrale (VC) et en vision périphérique (VP), chez des individus anxieux ou dépressifs et des contrôles sains ; (2) déterminer le lien entre l’activité neurovégétative, au repos et en réponse à des stimuli émotionnels en VC et en VP, et les niveaux d’anxiété et de dépression.

5.4. Mise en œuvre expérimentale

5.4.1. Méthodes

Population

Les troubles affectifs, tels que la dépression et l’anxiété, présentent des perturbations dans le traitement de l’information émotionnelle qui se manifestent au niveau cérébral, comportemental et neurovégétatif. Ces perturbations se retrouvent aussi bien en population clinique, chez des patients ayant reçu le diagnostic de troubles dépressifs ou troubles anxieux, qu’en population sous-clinique, c'est-à-dire chez des individus sains dont les niveaux de dépression et d’anxiété sont uniquement évalués par des échelles autorapportées. En population sous-clinique, la présence de biais dans le traitement de l’information émotionnelle serait impliquée dans l’apparition et le maintien des symptômes anxieux (Gotlib & Joormann, 2010; Mogg & Bradley, 2016). L’altération du traitement des émotions, accompagnée de perturbations comportementales et neurovégétatives, pourrait ainsi être un facteur de vulnérabilité à ces troubles affectifs, ou des indicateurs d’entrée dans la pathologie. Ainsi, il apparait pertinent de comparer l’impact cérébral, comportemental et

neurovégétatif entre des patients dépressifs ou anxieux et des contrôles sains qui leur sont appariés ; aussi, il est pertinent de déterminer le lien entre la réactivité des individus sains à des stimuli émotionnels visuels et leurs niveaux d’anxiété et de dépression. Nous avons donc souhaité étudier au cours de ce travail de recherche, d'une part la population atteinte d’épisodes dépressifs caractérisés ou de troubles anxieux généralisés et, d'autre part, des individus de la population générale en recueillant par des échelles autorapportées leurs niveaux de dépression et d’anxiété.

Stimulations

Dans le cadre de ce travail, nous avons souhaité utiliser des scènes naturelles issues de l'IAPS comme stimuli émotionnels. Cette banque d’images est largement utilisée dans le domaine des sciences affectives et permet une sélection selon des mesures normées de la valence et l’activation émotionnelles. Ainsi nos sélections de stimulations peuvent comporter

des images émotionnelles différentes en termes de valence (plaisante ou déplaisante), mais qui ont le même niveau d'activation, afin de les comparer à des images neutres. Il est alors possible d’étudier des effets de la valence émotionnelle indépendamment de l’activation et inversement. Ces scènes naturelles comprennent divers contenus sémantiques permettant d'appréhender de manière écologique la large variété de stimulations émotionnelles auxquelles nous sommes confrontés au quotidien. Enfin, sur nos sélections d'images, nous contrôlons plusieurs paramètres physiques : les luminances, les contrastes, les saturations en rouge, vert et bleu ainsi que la complexité et le contenu fréquentiel des images. De ce fait, les groupes d’images, plaisantes, neutres et déplaisantes ne varient que selon leur contenu affectif.

Procédures

Les données de la littérature montrent que le contenu émotionnel d’une information visuelle impacte la neurophysiologie et le comportement lorsque l’attention est focalisée sur l’aspect émotionnel de la stimulation (en condition explicite) ou sur des aspects non émotionnels de la stimulation (en condition implicite) (Cohen, Moyal, Lichtenstein-Vidne, & Henik, 2016; Critchley, Daly, et al., 2000; D’Hondt, Szaffarczyk, Sequeira, & Boucart, 2016). Des stimuli émotionnels sont traités de manière explicite et implicite même lorsqu'ils sont projetés en VP. Dans les deux conditions, explicite et implicite, l’attention des participants serait orientée vers l’information pertinente (émotionnelle); lorsque la tâche est explicite, l’attention serait soutenue sur le contenu affectif, expliquant ainsi une plus grande activation au niveau des composantes cérébrales tardives (Schupp, Junghöfer, et al., 2003a), alors qu’en condition implicite, les ressources cérébrales seraient réorientées selon l’objectif du participant (par exemple, localiser l’image ou catégoriser le genre du visage).

Il semble donc que le traitement de l’information émotionnelle diffère selon que la tâche est explicite ou implicite. Cependant, à notre connaissance, la manière dont les patients dépressifs et anxieux traitent les informations émotionnelles, en condition explicite ou implicite, reste peu explorée dans la littérature. C’est pourquoi, dans le cadre de ce travail, nous avons adopté les deux approches. La condition explicite que nous utilisons est une tâche de catégorisation émotionnelle dans laquelle le participant doit indiquer si l’image projetée est déplaisante, neutre, ou plaisante. Cette tâche peut faire appel aux propriétés de la voie visuelle ventrale impliquée dans l’identification des informations survenant en VC, ou, en accord avec le modèle de prédiction affective, aux propriétés de la voie visuelle dorsale qui transmet des informations visuelles rudimentaires afin d’établir rapidement des prédictions sur les représentations associées à la stimulation. La condition implicite que nous utilisons est une

tâche de localisation sur l’écran de projection ; cettetâche fait appel aux propriétés de la voie visuelle dorsale, impliquée dans la localisation des informations survenant en VP.

Mesures

Comme la plupart des troubles psychiatriques, la dépression et l’anxiété se manifestent au niveau cérébral, comportemental et neurovégétatif. Ainsi, et afin d’apprécier cette complexité, nous avons opté pour une approche multi-niveau intégrant des mesures électrophysiologiques de l’activité cérébrale, des mesures comportementales associées à des tâches impliquant des stimulations émotionnelles, et des mesures de la réactivité neurovégétative sur plusieurs organes effecteurs.

Analyses

Au cours de ce travail de recherche, des analyses en composantes principales (ACP) sont appliquées à différents signaux neurophysiologiques et neurovégétatifs en fonction du temps. Cette analyse sans hypothèse a priori, et donc guidée par les données, permet d’identifier des intervalles de temps d’intérêt, au cours desquels le signal présente des inflexions, et permet d’aboutir à des composantes principales auxquelles sont associés des scores factoriels pouvant être utilisés comme variable et être comparés entre conditions et entre groupes. Cette approche est bien documentée sur des signaux neurophysiologiques tels que les potentiels évoqués (PE) (Barry, De Blasio, Fogarty, & Karamacoska, 2016a; Pourtois, Delplanque, Michel, & Vuilleumier, 2008; Rigoulot et al., 2008, 2011; Rigoulot, D’Hondt, Honoré, & Sequeira, 2012), les champs magnétiques évoqués (CME) (D’Hondt et al., 2010, 2013) ainsi que les analyses temps-fréquence (Barry & De Blasio, 2017). L'ACP est déclinée en ACP temporelle et en ACP spatiale ; ces nalayses sont effectuées sur les PE ou les CME avec les électrodes EEG ou les capteurs MEG comme variables, visant ainsi à localiser les effets cérébraux induits par les stimulations. Dans le cas des signaux neurophysiologiques, l’analyse de scores factoriels permet d’éviter la subjectivité qui accompagne la manière dont les amplitudes peuvent être mesurées (maximum d’amplitude de chaque pic, l’aire sous la courbe par rapport à la période de base, par rapport à la tendance globale, ou par rapport au pic précédent…). Dans le cas des signaux physiologiques, l’ACP est documentée pour les variations de diamètre pupillaire pendant l’exploration d’images affectives (Bradley et al., 2017), mais reste novatrice pour les autres signaux physiologiques étudiés. La détection des intervalles de temps d’intérêt par cette méthode d’analyse, guidée par les données plutôt que l’utilisation des paramètres classiques pour chaque indicateur, permet notamment de bénéficier de mesures en relation avec les variations physiologiques, induites spécifiquement par les conditions expérimentales chez les individus enregistrés.

En ce qui concerne la variable émotion, nous nous plaçons dans le cadre de la théorie dimensionnelle qui décrit l’émotion selon deux dimensions, la valence et l’activation. Ainsi, en accord avec cette théorie bidimensionnelle (Lang et al., 1993), deux effets émotionnels sont attendus : un effet de la valence émotionnelle (Déplaisant vs. Plaisant), et un effet de l’activation émotionnelle (Émotion vs. Neutre). Ces hypothèses qui reposent sur le modèle théorique bidimensionnel de l’émotion, prédisant précisément soit des différences entre les conditions déplaisantes et plaisantes, soit entre les conditions émotionnelles et neutres, peuvent être testées spécifiquement en modélisant ces effets par des contrastes. Dans ce contexte, l’effet de valence est modélisé par un contraste linéaire (CL = Déplaisant – Plaisant) et l’effet d’activation est modélisé par un contraste quadratique (CQ = [Déplaisant + Plaisant] / 2 – Neutre). L’utilisation des contrastes linéaire et quadratique permettant de tester les hypothèses spécifiques relatives aux effets émotionnels est plus précis que les tests omnibus, cette précision allant de pair avec une puissance statistique plus élevée (Brauer & McClelland, 2005). De même, concernant la variable position, deux effets sont attendus : un effet de latéralité (Gauche vs. Droite), modélisé par un contraste linéaire (CL = Gauche – Droite), et un effet d’excentricité (Centre vs. Périphérie), modélisé par un contraste quadratique (CQ = [Gauche + Droite] / 2 – Centre).

5.4.2. Programmation expérimentale

La programmation expérimentale associée à ce projet est organisée selon trois étapes. La première vise à comparer la dynamique cérébrale du traitement de la valeur émotionnelle de stimuli présentés, soit en VC, soit en VP, entre les trois populations d’intérêt. La deuxième étape a pour but de comparer l’impact somatique de la valeur émotionnelle du même type de stimulations entre les trois populations, à travers la mesure d’indicateurs neurovégétatifs. La troisième étape consistait à mettre en place un protocole de SMT susceptible d’aider à restaurer le codage émotionnel dans l’espace visuel chez les patients souffrant de troubles anxieux ou de troubles dépressifs.