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CHAPITRE 5 CONCLUSION

5.1 Synthèse de la méthode

La méthode de diagnostic de l’équité d’une offre de transport collectif présentée dans ce mémoire s’inscrit dans une perspective de mise en application des principes du développement durable, qui reposent sur les sphères environnementale, économique, mais aussi sociale (ONU, 1987). Il s’avère pourtant que ce dernier volet constitue jusqu’ici le « parent pauvre » au chapitre de l’intégration au sein des politiques publiques, celles-ci ayant plutôt misé sur les aspects économiques (par exemple en vantant le commerce équitable et l’achat local) et environnementaux (programmes de réduction des émissions de GES et de gestion des matières résiduelles, entre autres choses). Il a par ailleurs été démontré que des investissements en transport collectif motivés par les idées du développement durable ont eu tendance à orienter les ressources vers des populations peu vulnérables qui disposent déjà d’alternatives, notamment dans le but de diminuer la pollution et de fidéliser de nouveaux usagers (Karner, 2018; Jiao et Dillivan, 2013). Non seulement ces initiatives ont généralement eu des impacts limités, mais elles ont détourné des ressources qui auraient pu profiter à l’amélioration des conditions de mobilité de populations captives de l’offre de transport collectif. C’est dans cette perspective que le présent mémoire cherchait à proposer une méthode de diagnostic visant à évaluer si l’offre de transport collectif avantage les individus les plus vulnérables en termes d’accessibilité. Le terme équité renvoie à des réalités variées dans le domaine du transport. Il peut évoquer l’idée d’accessibilité universelle pour certains, de tarification sociale pour d’autres, ou encore faire écho aux externalités environnementales des réseaux de transport. Dans le cadre de ce mémoire, il a été décidé d’orienter le diagnostic en fonction du bénéfice premier d’un système de mobilité, qui réside dans l’accessibilité qu’il confère aux individus (Martens, 2016; Van Wee et Geurs, 2011). L’enjeu social le plus évident dans cette perspective tient à la combinaison d’un déficit d’accessibilité et de facteurs de vulnérabilité sociale, dont la synergie peut accroître le risque d’exclusion sociale par le transport chez les individus défavorisés d’un point de vue de la mobilité (Jones et Lucas, 2012a; UK Social Exclusion Unit, 2003). Cet enjeu se trouve d’ailleurs exacerbé par le contexte de dépendance automobile (Kenyon et al., 2002; UK Sustainable Development Commision, 2011), caractérisé par un éclatement des lieux d’activité et de l’hypermobilité. Cette réalité induit une pression accrue envers la motorisation, ce qui peut s’avérer hautement contraignant pour les

individus vulnérables, dont ceux à faible revenu (Mattioli, 2014; Taylor et al., 2009). C’est dans cette optique que l’importance des services de proximité et d’une offre de transport collectif de qualité prend tout son sens, en cela qu’ils sont susceptibles de favoriser la participation sociale des segments de population touchés par des obstacles variés à la mobilité (Currie et al., 2009; Lucas et al., 2018; Garrett et Taylor, 1999).

L’énoncé de la problématique va comme suit : l’offre de transport collectif et l’accessibilité aux opportunités qui en découle favorisent-elles les individus à risque de pauvreté d’accessibilité et d’exclusion sociale? Pour répondre à cette question, un modèle de diagnostic fut mis au point à la lumière de la littérature relative à l’équité en transport. Tout d’abord, puisque tous ne sont pas égaux en matière de mobilité (Litman, 2017), une échelle de vulnérabilité sociale en transport a été développée, laquelle vise à faciliter l’identification des zones de vulnérabilité sociale et à permettre une évaluation de l’équité verticale de l’accessibilité. Les attributs constituants ont été sélectionnés en fonction de la littérature et extraits de l’Enquête Origine-Destination de 2013. Diverses mesures d’accessibilité à une gamme élargie d’opportunités jugées essentielles à la satisfaction des besoins de base et à l’épanouissement des individus ont alors été développées, en lien avec l’accessibilité locale, régionale et la qualité de l’offre de transport. Par la suite, une approche de diagnostic hybride fut développée, basée sur les principes de justice distributive égalitariste et sufficientariste (Meyer et Roser, 2009; Pereira et al., 2017). Ces deux approches sont inspirées de celles identifiées dans la littérature, telles que les analyses d’adéquation de l’offre aux besoins (needs-gap analysis) et d’évaluation de l’équité verticale des niveaux d’accessibilité. Ces deux approches tentent, chacune à leur façon, d’établir une hiérarchie des zones et des interventions à prioriser d’un point de vue moral, cela afin de mitiger les conditions d’accessibilité déficientes et d’encourager une participation accrue des populations vulnérables à la vie économique et sociale.

La première approche fait écho au principe égalitariste de justice, lequel s’intéresse aux écarts entre les individus, donc au niveau relatif de ressources, tout en stipulant qu’il importe d’aider de façon prioritaire les populations défavorisées (Meyer et Roser, 2009). Ainsi, une première analyse visait à évaluer si les niveaux d’accessibilité favorisent les segments de population vulnérable, de manière conforme au principe de visée prioritaire (Parfit, 1997), ce qui a permis de constater que le transport collectif semble globalement les avantager (section 4.2.1). Une deuxième analyse, reposant sur des typologies d’accessibilité (section 4.2.2), a permis de mettre en évidence des lacunes d’accessibilité présentes dans divers types de contextes urbains et d’orienter les types d’interventions sur lesquels

miser pour rectifier la situation. Cette méthode novatrice, qui définit les conditions d’accessibilité en fonction de l’accessibilité locale (à pied), de l’accessibilité régionale (en transport collectif) ainsi que de la qualité de l’offre locale de transport, permet d’ailleurs l’identification des zones à risque pour chacune des typologies, conformément à l’idée qu’il faut orienter les interventions de manière prioritaire vers les zones combinant une forte vulnérabilité individuelle et un déficit d’accessibilité. Cela fait écho au principe de différence du théoricien égalitariste John Rawls (1971).

La seconde approche répond plutôt à une logique sufficientariste, associée à la notion de seuil de suffisance et, dans un contexte de mobilité, à la pauvreté d’accessibilité. Moyennant l’identification (arbitraire) de seuils différents pour chaque type d’opportunité, il fut possible de mettre en évidence en quoi l’accessibilité varie spatialement et socialement selon le secteur et l’opportunité considérés (section 4.3.1). La combinaison des pointages de pauvreté d’accessibilité permet aussi de composer des indicateurs cumulatifs, traduisant le portrait général du déficit d’accès, que ce soit pour un volet précis (accessibilité locale, régionale ou à l’offre de transport collectif) ou pour l’ensemble des 20 opportunités simultanément, créant ainsi un proxy du niveau global d’accessibilité. Le croisement des pointages de déficit d’accessibilité et de vulnérabilité sociale facilite ensuite l’identification de zones d’intervention prioritaires, soit des secteurs enclins à l’apparition du phénomène d’exclusion sociale par le transport ou de motorisation contrainte (Mattioli, 2014).

Fait notable, les deux approches de diagnostic mènent à des diagnostics dissemblables, lesquels ne pointent pas nécessairement vers le même type d’intervention ou les mêmes zones prioritaires (voir Figure 4.29 et 4.54). Cela peut notamment s’expliquer par les fondements différents des approches, l’une étant plus relative (égalitarisme) et l’autre absolue (sufficientarisme). Il s’avère donc crucial d’aborder les résultats avec un certain recul, ceux-ci étant d’ailleurs le fruit de diverses hypothèses et de limites variées (voir 5.3). Par ailleurs, la pertinence des approches peut varier à la lumière des objectifs visés en pratique. Il demeure malgré tout pertinent de recourir aux deux approches afin de témoigner de la sensibilité du diagnostic au choix d’un principe de justice donné.

Le présent mémoire ne permet pas de se prononcer sur l’approche à privilégier, puisque toutes deux comportent un certain nombre de limites. Quant à déterminer si la problématique est adressée de façon adéquate par ces dernières, il faut dire que la portée des résultats ne permet pas d’y répondre de manière précise. À la lumière de l’évaluation agrégée de l’accessibilité (section 4.2.1), il semble que la desserte de transport collectif favorise les individus vulnérables, moyennant des temps de

parcours longs. Il reste que la méthode proposée sert avant tout à faciliter l’identification de zones d’action prioritaires en vue d’une analyse sectorielle plus fine des enjeux d’accessibilité et non pas à déterminer si un réseau de transport collectif est équitable à proprement parler. En ce sens, la méthode développée dans ce mémoire fait écho aux principes du maximin et du worst-off man de Rawls (1971), en vertu desquels l’intervention à privilégier d’un point de vue moral est celle qui permet d’améliorer le sort du plus grand nombre (maxi) d’individus identifiés comme faisant partie du segment le plus vulnérable (min). Dans cette optique, l’analyse par cartes de chaleur trouve sa pertinence, puisqu’elle sert essentiellement à identifier des zones affichant de fortes concentrations d’individus vulnérables et des faiblesses au chapitre de l’accessibilité, que ce soit de façon relative (approche égalitariste) ou absolue (approche sufficientariste). Reste qu’en raison des hypothèses et limites multiples, le diagnostic ne permet pas une analyse fine, mais devrait plutôt servir à faciliter l’identification de zones au sein desquelles il serait intéressant de pousser plus loin le diagnostic. Un raffinement des hypothèses permet cependant d’envisager le recours à ce cadre méthodologique pour cerner des enjeux d’accessibilité et identifier le type d’intervention adapté à chaque contexte.