• Aucun résultat trouvé

III. Le backpacking israélien au Chili : propositions pour une approche géographique

5. Une géographie culturelle du backpacking israélien

5.4 Synthèse : quelques idées pour la route

L’approche du backpacking israélien en géographie culturelle nous conduit à nous intéresser à deux entrées centrées d’une part sur les pratiques touristiques en tant que logiques d’action (approche actantielle, spatialité, comparaison quotidien/hors quotidien), et d’autre part sur les pratiques spatiales comme reflet d’une construction sociale des sujets (approche qualitative, territorialité(s), rapports pratiquant-sujet/espace). Au-delà de ces aspects qui ont le mérite de produire théoriquement et scientifiquement une recherche sur les espaces récréatifs (Bourdeau et al., 2004), nous souhaiterions présenter synthétiquement deux exemples d’études que nous pourrions analyser à l’avenir, et qui se concentrent sur les territorialités des backpackers.

La relation entre backpackers et espaces naturels : une approche par le trekking Les études sur le backpacking israélien ont montré que l’Amérique latine était associée dans les imaginaires à des pratiques aventureuses (trekking, sports extrême) et à la découverte d’espaces et de sites naturels (Anderskov, 2002 ; Noy, Cohen, 2005 ; Reichel et al., 2009). En recourant à nos études sur le « regard spatial sioniste », nous pouvons affirmer que la société israélienne présente une relation particulière aux sites naturels (Schwarz, 2013), perçus comme des espaces pouvant être explorés et appropriés en tant que « Frontiers » (Kimmerling, 1983), et ce dans un rapport prométhéen, moderne et conquérant, issu de la culture Sabra et du monde militaire (Noy, 2007b, 2008). Et par ce rapport de domination, le trekking israélien est assimilable à une forme d’activité « militouristique » (Noy, 2007 ; Schwarz, 2013), établissant notamment des pratiques corporelles « masculinistes » et des techniques militarisées (Noy, 2007). Dans cette mesure, l’étude du trekking nous intéresse car cette activité récréative fait partie des pratiques privilégiées par les backpackers israéliens. Par ailleurs, les Rapports annuels sur le Tourisme (Sernatur - INE) de 2010 à 2013 présentent des données sur les touristes (origines nationales) ayant visité des Espaces Protégés chiliens administrés par la CONAF (Corporación Nacional Forestal). Ces espaces correspondent aux

104 Parcs Nationaux, aux Réserves Nationales et aux Monuments Nationaux, et sont réunis dans un système appelé Sistema Nacional de Áreas Silvestres Protegidas del Estado (SNASPE). Le tableau ci-dessous montre le nombre de touristes israéliens ayant visité des Espaces Protégés, par région administrative entre 2010 et 2013.

Figure n°4

Nombre de touristes israéliens ayant visité des espaces protégés (SNASPE) au Chili, par région (2010-2013)

Note : réalisation propre. 2017 (sources : Sernatur et INE)

30 Année 2010 : 23.797 Israéliens se sont rendus dans des Espaces Protégés. Les données de Sernatur

et nos calculs valident ce résultat, pourtant supérieur au nombre d’entrées de touristes israéliens sur le territoire chilien... Cette surprenante (et douteuse) différence semble confirmer l’analyse de Fabien Bourlon et de Pascal Mao (Bourlon, Mao, 2016) expliquant que les données peuvent être faussées par la mauvaise coopération/coordination entre les acteurs publics, mais aussi parce qu’un même voyageur peut être enregistrés à plusieurs reprises dans des espaces/réserves/parcs naturels différents.

Année 2010 2011 2012 2013 Nombre total de touristes israéliens entrés au Chili 22.046 23.210 20.435 18.408 Nombre total de touristes israéliens (SNASPE) 23.79730 19.531 17.647 15.431 Région Arica y Parinacota 15 10 23 15 Tarapáca 0 0 0 0 Antofagasta 535 527 380 483 Atacama 0 2 1 13 Coquimbo 7 11 5 10 Valparaíso 94 70 55 73 Metropolitana 7 2 9 0 O’Higgins 0 7 4 0 Maule 26 22 19 13 Biobío 19 6 9 0 Araucanía 4.012 5.074 5.051 4.911 Los Ríos 0 0 0 0 Los Lagos 7.527 1.661 1.218 616 Aysén 1.774 1.996 1.453 1.087 Magallanes y la Antártica 9.781 10.143 9.420 8.236

105 D’après ce tableau, il semble que les espaces privilégiés par les voyageurs israéliens correspondent à quatre importantes régions touristiques chiliennes où il existe un imaginaire de Wilderness (Magallanes, Aysén, Araucaria, forte baisse dans la région de Los Lagos), ainsi qu’à la région d’Antofagasta où se situe le bourg de San Pedro de Atacama et différents espaces protégés. Pour chaque année présentée, on remarque qu’une large majorité des voyageurs israéliens s’oriente vers la découverte et l’expérience dans les parcs et réserves nationales, répondant alors à leurs imaginaires d’altérité et à leurs quêtes d’aventure.

Enfin, ces régions de Wilderness se corrèlent parfois avec l’existence d’enclaves touristiques (Puerto Varas dans la Région des Lacs, San Pedro de Atacama dans la Région de Antofagasta) mais aussi avec des enclaves en apparences « israéliennes » (Pucón et Chabad

House dans la Région d’Araucaria, auberges israéliennes à Puerto Natales et dans la région

de Magallanes). En ce sens, une étude des pratiques de trekking dans les espaces protégés (par exemple une immersion ethnographique de plusieurs jours dans le Parc Torres del Paine) nous permettrait d’analyser les pratiques spatiales, les corporalités et les techniques militaires utilisées par les backpackers israéliens (Schwarz, 2013), afin de démontrer le rapport « moderne » qu’ils entretiennent avec la nature. Les terrains d’études pourraient alors se « limiter » aux espaces protégés, en suivant une approche méthodologique centrée sur les micro-territorialités, proche de celle développée par l’anthropologue Eric Boutroy dans l’études des pratiques de via ferrata et d’escalade sportive (Bourdeau et al., 2004)

Backpackers israéliens et mochileros chiliens : géographiquement distincts, sociologiquement proches

Des chercheurs de l’Université de Concepción au Chili ont montré dans une étude sur le tourisme dans la région de Aysén que deux groupes se différenciaient des autres touristes en raison de leurs caractéristiques sociales et économiques et de leurs pratiques spatiales et touristiques (Muñoz, Torres Salinas, 2010 ; Torres Salinas, Rojas Hernandez, 2011). Ces groupes correspondent aux mochileros chiliens, et aux jeunes israéliens. Les études citées montrent que les Israéliens et les mochileros chiliens correspondaient aux populations les plus jeunes, et disposant d’un capital économique relativement faible en comparaison avec d’autres voyageurs « occidentaux ». En répondant favorablement à la demande d’Erik Cohen (Cohen, 2003) sur la nécessité d’étudier d’autres « contextes » nationaux ou cultures du backpacking, nous pensons qu’il est possible de conduire une étude comparative entre ces deux groupes de pratiquants. Des expériences personnelles passées nous ont permis d’entrer en contact avec des mochileros chiliens, notamment dans des espaces « en marge » faiblement

106 réglementés (Prost, 2004), et nous avions pu observer qu’une grande partie des voyageurs partageait un ensemble de valeurs issues de groupes contre-culturels errants (Hippies,

drifters, punks), ce qui tend à déterminer une certaine postmodernisation de la société

chilienne, par l’existence de tribus mobiles.

6. Une approche en géographie sociale : la dimension postcoloniale du