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Synthèse historique de cent ans de découvertes et de redécouvertes à propos de

ARTICLE 1 : Fungal infections in HIV/AIDS

2. Généralités et état des connaissances à propos de l’histoplasmose chez le patient infecté

2.1. Synthèse historique de cent ans de découvertes et de redécouvertes à propos de

C’est en 1905 que Samuel Taylor Darling, anatomopathologiste américain en poste sur le canal de Panama, fait la description princeps d’un cas fatal d’histoplasmose disséminée chez un homme originaire de la Martinique (3). A l’autopsie, les lésions macroscopiques évoquent une tuberculose disséminée, mais en microscopie optique il découvre de nombreux petits corps encapsulés dans le cytoplasme des cellules réticuloendothéliales du foie, de la rate et des ganglions. Il leur donne le nom d’Histoplasma capsulatum car ils évoquent un « Plasmodium encapsulé » dans le cytoplasme des histiocytes (3). Par la suite, en 1912, Da Rocha Lima est le premier à suggérer que l’agent pathogène découvert par Darling n’est pas un protozoaire mais plutôt une levure (4). Par ailleurs, le terme encapsulé est inexact, cette levure n’ayant pas de capsule à proprement parler, mais persiste encore aujourd’hui (5).

Ainsi, depuis cette description princeps, le principal diagnostic différentiel de l’histoplasmose au plan clinique est représenté par les maladies granulomateuses telle que la tuberculose ou la sarcoïdose et, au plan de l’examen direct en microscopie optique, les formes amastigotes de parasitoses (Leishmania spp et Trypanosoma spp.) ou autres levures (C. glabrata et T. marneffei) (6).

Dans les années 1920, au décours de la découverte de la tombe de Toutankhamon par Howard Carter et Lord Carnavon, plusieurs décès de membres de l’équipe de fouilles ont été attribués à l’histoplasmose. Toutefois, aucun arguments clinico-biologiques chez les personnes décédées n’a pu étayer cette hypothèse étiologique et justifier l’emballement médiatique qualifiant l’histoplasmose de « Malédiction des Pharaons ». Par ailleurs, H. capsulatum ne fut jamais identifié dans le sol de la vallée des rois (7).

Les années 1930 à 1940 sont marquées par des avancées importantes, majoritairement décrites aux USA, dans la compréhension du pathogène et sur son importance au plan de la santé publique.

En 1934, suite au premier diagnostic d’histoplasmose disséminée du vivant d’un enfant américain par Dodd et Tompkins, De Monbreun révèle le caractère dimorphique d’H. capsulatum (une phase mycélienne saprophyte à température ambiante sur milieu de Sabouraud et parasitaire après culture à 37°C sur un milieu complexe à base de sang) et conclut que la forme saprophyte est probablement

présente dans l’environnement (8, 9). En 1945, Parsons et Zarafonetis rapportent sept nouveaux cas post mortem d’histoplasmose et font une revue mondiale de 71 cas autopsiques connus (10). En 1949, après de longues investigations sur le site de camp Gruber, Oklahoma, où une épidémie d’histoplasmose avait été décrite chez des soldats américains, Emmons met en évidence pour la première fois la forme saprophyte d’H. capsulatum dans l’environnement (11, 12). Prélude au diagnostic sérologique de l’histoplasmose, Tenenberg et Furcolow, en 1948, mettent en évidence chez l’animal l’existence d’une réponse anticorps (13).

Au cours de cette période, le corps médical prend conscience de l’intérêt qu’il faut porter à cette pathologie, à présent nommée « Histoplasmose », qualifiée de rare mais rapidement fatale (14). Le développement concomitant de la mycologie médicale et l’utilisation d’isolats antigéniques d’H.

capsulatum (issus des travaux de De Monbreun) pour réaliser des intradermoréactions (IDR) à

l’histoplasmine, vont révéler la distribution de l’histoplasmose aux Etats-Unis d’Amérique (USA) (7). En effet, avec le développement de l’IDR à la tuberculine et de la radiographie pulmonaire, associées dans le dépistage de masse de la tuberculose, les médecins américains font face à un nombre important d’individus ayant une anergie tuberculinique associée à des nodules pulmonaires radiologiques. Ces lésions radiographiques étant alors considérées comme spécifiques de la tuberculose infection, les médecins restent perplexes (7). C’est Palmer qui, en 1945, au décours d’une campagne nationale d’IDR à l’histoplasmine aux Etats-Unis d’Amérique, démontre qu’un nombre important de ces tests positifs prédomine dans certaines régions comme les vallées des fleuves Ohio et Mississipi. Il conclut également que les calcifications pulmonaires radiologiques attribuées à la tuberculose chez des individus ayant un test cutané tuberculinique négatif sont probablement dues à l’histoplasmose, celle-ci survenant par petites épidémies (15, 16). L’histoplasmose passe donc du statut de pathologie isolée rapidement fatale, à celui d’une pathologie bénigne très répandue et rarement létale aux USA. Palmer pose ainsi les bases de nombreux travaux qui révéleront des diagnostics d’histoplasmose chez des personnes pour lesquelles un diagnostic de tuberculose avait été porté à tort (7, 17-19).

Les années 1950 à 1960 s’accompagnent d’un vif intérêt à l’échelle mondiale pour l’étude de l’histoplasmose, comme en atteste l’augmentation rapide du nombre de publications scientifiques (Figure 1) (7). Cette période est marquée par les premières estimations du niveau de prévalence de l’histoplasmose en population générale hors Amérique du Nord et la confirmation des hypothèses formulées concernant les facteurs de risque d’exposition environnementale à H. capsulatum.

Ainsi, en 1952, Zeidberg montre la présence plus fréquente d’H. capsulatum dans le sol autour des poulaillers ou d’autres sources de déjections aviaires (20). Puis, Emmons, en 1958, établit l’association entre la présence de chauve-souris et d’ H. capsulatum dans l’environnement (21). La disponibilité croissante d’histoplasmine de bonne qualité autorise la mise en œuvre d’enquêtes de prévalence à grande échelle. C’est Mochi et Edwards qui, alors en poste à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au sein du bureau de recherche sur la tuberculose, publient successivement deux revues de la littérature sur la distribution mondiale de l’histoplasmose, base à l’établissement par Edwards de la première carte mondiale de répartition des IDR positifs à l’histoplasmine (Figure 2) (22, 23).

Figure 1 : Nombre de publication scientifiques référencées par années entre 1909 et 2016 (d’après une requête Pubmed avec le terme « Histoplasmosis », le 16/05/2016).

Source : Histoplasmosis: Proceedings of the second national conference. Springfield, Ill: Thomas. 1971.

Figure 2 : Carte mondiale de la répartition des tests cutanés positifs à l’histoplasmine selon P.Q. Edwards, 1956.

Les années 1970 sont marquées par la synthèse des connaissances à propos de l’histoplasmose avec l’établissement de cartes de distribution de la prévalence par continents, le développement d’une classification (Figure 3) et de stratégies de prise en charge thérapeutique basées sur des essais cliniques antérieurs et des séries de cas publiées (14).

Figure 3 : Classification des formes cliniques d’histoplamsose selon le statut de l’hôte par R.A. Goodwin, 1980 (14)

A cette époque, les connaissances sur la prévalence et l’incidence de l’histoplasmose sont importantes comparées aux autres infections fongiques profondes, bien qu’appartenant à ce qu’Ajello qualifiait d’ « iceberg de la mycologie médicale » (2). Sans être une maladie à déclaration obligatoire, l’histoplasmose est décrite sur les cinq continents avec une fréquence variable. Si 25 pays rapportent des études avec une prévalence supérieure à 10% en population générale, la partie Centre-Est des USA est considérée comme la zone d’hyperendémicité avec : jusqu’à 90% d’exposés à partir de 15 ans, 200 000 cas symptomatiques et 74 décès estimés par an, sans compter les 95% d’individus non symptomatiques nouvellement infectés tous les ans (Figure 4) (2, 24).

Figure 4 : Répartition géographique de la fréquence de réaction positive cutanée à l’histoplasmine parmi 275 558 recrue de l’U.S. Navy, âgées de 17 à 21 ans et ayant résidé toute leur vie dans le même comté (25)

Le terme « histoplasmose disséminée » apparaît dans les classifications, accompagné de la notion de déficit immunitaire (inné ou acquis essentiellement iatrogène) comme condition quasi nécessaire à son développement et à l’évolution systématique vers le décès en l’absence de traitement. Une synthèse des corrélations entre les spectres anatomopathologiques et cliniques est proposée par Goodwin (Figure 5) (14).

Figure 5 : Schéma des corrélations observées entre les spectres anatomopathologiques et cliniques de l’histoplasmose disséminée (25)

Des années 1980 à nos jours, la morbidité et la mortalité imputables à l’histoplasmose (aigüe ou disséminée) a augmenté du fait d’un accroissement du nombre de personnes immunodéprimées. Si les immunosuppresseurs et autres biothérapies utilisés pour la prise en charge de patients transplantés ou atteints de maladies inflammatoires chroniques ont largement contribué à cet accroissement, la part la plus importante est attribuable à l’émergence et à la diffusion globale de l’infection par le VIH (26).

Les premiers cas d’histoplasmose disséminée associée à un SIDA, chez des patients identifiés rétrospectivement comme infectés par le VIH, sont décrits en 1982 à Indianapolis (27). Et, ce n’est

qu’en 1987 que les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) inscrivent l’histoplasmose disséminée (autre localisation, isolée ou associée à une atteinte pulmonaire ou ganglionnaire cervicale ou médiastinale) à la liste des infections opportunistes définissant le stade SIDA chez les patients infectés par le VIH (28).

Depuis, l’accroissement du nombre de cas d’histoplasmose disséminée, rapportés dans la littérature comme associés à une infection par le VIH, s’est accompagné d’avancées diagnostiques et thérapeutiques notables.

Au plan du diagnostic, des méthodes performantes non invasives (échantillons de sang et d’urines principalement) de détection d’antigène d’H. capsulatum ont été développées mais peu diffusées car non commercialisées hors USA (29). De nombreuses publications envisagent différentes méthodes de biologie moléculaire comme des outils utiles. Toutefois, leur place dans la prise en charge est incertaine et aucun kit n’est commercialisé (30). Au plan thérapeutique, des essais cliniques ont été menés, principalement en Amérique du Nord, chez des patients infectés par le VIH, pour la prise en charge des formes sévères (31) et non sévères (32) ou la prévention primaire (33) de l’histoplasmose disséminée. A noter que le niveau de preuve des recommandations actuelles pour la prise en charge thérapeutique reste intermédiaire, les essais cliniques publiés n’ayant été réalisés qu’une seule fois dans leur grande majorité.

A l’ère des trithérapies antirétrovirales accompagnées de politiques de dépistage et de prise en charge précoces de l’infection par le VIH, on observe une tendance significative à la baisse de la part des hospitalisations pour histoplasmose et infection par le VIH en Amérique du Nord (Figure 6).

Figure 6 : Répartition de la fréquence annuelle (%) des comorbidités associées au diagnostic d’histoplasmose au décours d’une hospitalisation, USA, 2001-2012 (34)

On observe également une tendance significative à la baisse de la mortalité attribuable à la coinfection histoplasmose et VIH dans certains centres de référence hors Amérique du Nord (34-36).

Toutefois, en 2017, ces évolutions favorables ne sont pas la règle pour la grande majorité des patients infectés par le VIH vivants en zone d’endémie (37-39). L’histoplasmose reste une infection opportuniste majeure au cours de l’infection par le VIH dont la réalité des coûts humains et économiques en termes de santé publique sont toujours largement méconnus et probablement sous-estimés (34, 38).

Depuis 2013 et la publication d’une série de cas de patients coinfectés histoplasmose et VIH dans la vallée du fleuve chinois Yang-Tsé-Kiang, tout se passe comme si certains auteurs, pour la plupart nord-américains, redécouvrent que l’histoplasmose existe en dehors des Amériques et plus particulièrement de la région d’hyperendémicité de la vallée du fleuve Ohio (40-42). Ceci, alors même que des études menées dans les années 1950 à 1960 décrivent des prévalences importantes de tests cutanés positifs à l’histoplasmine en Asie (24), dans des régions qui ne sont pas indemnes d’épidémies d’infection par le VIH de nos jours.

Ainsi, dans les zones d’endémie ou non pour l’histoplasmose, principalement en dehors des USA, de très nombreux défis restent à relever pour améliorer l’un ou l’ensemble des paramètres suivants : la connaissance de l’épidémiologie locale de l’histoplasmose, la prise de conscience du corps médical de l’existence et du poids de la maladie, la mise à disposition de tests diagnostiques rapides et simples, la mise à disposition de traitement antifongiques efficaces à prix abordables, une prise en charge optimale de l’infection par le VIH et notamment une diminution importante de la part des personnes dépistées tardivement (CD4<200/mm3).

Des initiatives sont en cours pour faire face à ces défis (43-45). Certaines actions et collaborations engagées dans le cadre de ce travail de thèse s’envisagent humblement comme une tentative de réponse à certains de ces défis.

2.2. Etat des connaissances à propos de l’histoplasmose chez le patient