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4 Discussion

4.2 Objectif spécifique 2 – Modèle géomorphologique

4.2.2 Synthèse géomorphologique

Comme le MNA du site (figure 18) l’a indiqué, la Crête E constitue la partie haute de la moraine. Sans trop de détail, le MNA régional (figure 7) laisse entrevoir qu’elle se prolonge sur l’axe nord-sud au moins jusqu’au marais Eikland, à quelques 2.2 km au sud-sud-est du site. Le lac Antifreeze et le marais Eikland sont intégrés dans la partie supérieure de la moraine depuis sa mise en place. Les forages qui y ont été faits (Rampton, 1971a; Rampton, 1971b; Vermaire et Cwynar, 2010) indiquent que depuis le retrait des glaces, un peu plus de 5 m de silt éolien y ont migré.

Figure 47 – Représentation en trois dimensions de la structure actuelle du géosystème de Beaver Creek, basée sur l’interprétation éco-géomorphologique simplifiée de la catena avant le déplacement de la route (figure 42) et sur l’interprétation du stade évolutif 4 (figure 46). Le remblai de la route actuelle et la tranchée ont été superposés, ils

seront discutés dans la prochaine section.

La plus grande dépression de la moraine, à l’ouest du site, est interprétée comme une zone d’accumulation sédimentaire locale restée en relief au-dessus de la plaine alluviale de la rivière Beaver Creek (figures 13 et 43), dont le lit actuel (667.10 m) est 20 m plus bas que l’altitude minimale au site (690 m – figure 17). Comme les lacs Antifreeze et Eikland, cette cuvette se serait emplie d’au moins 5 m de silt éolien arraché à l’environnement proximal, en plus d’une quantité importante de matière organique et de glace (figure 47). Les forages montrent une accumulation bien plus épaisse dans la dépression. Les buttes S-O et N-O dans

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cette dépression (figures 17, 45 et 47) sont interprétées comme des monticules de till assez relevés pour que leur expression topographique ait persisté jusqu’à présent malgré la tendance géomorphologique convergente. L’extension de la cartographie dans l’entièreté de la moraine a montré que le yedoma y est discontinu et s’est aggradé entre les buttes et les crêtes (figure 48), qui elles lui ont fourni une portion des sédiments et de l’eau nécessaire. Enfin, le yedoma a évolué en quatre temps suivant la situation initiale.

Figure 48 – Nuances locales de la géologie de surface sur la moraine de Beaver Creek (masques orange et rose). Le masque rose représente la mince couverture de silt éolien sur le till alors que le masque orange représente l’épais dépôt riche en glace et matière organique du Pléistocène Tardif. Le cadre noir entoure le site d’étude et la

ligne notée A–A’ localise la coupe cryostratigraphique du même nom (figures 35 et 37).

Au temps 0, la topographie initiale de la moraine aurait été relativement complexe et accidentée. Considérant toutes les incertitudes qui persistent quant à la déglaciation régionale, l’issue la plus probable de la glaciation de Mirror Creek est une stagnation du glacier au Wisconsinien Précoce. Les glaciers actuels de la région sont souvent recouverts d’une importante quantité de débris (Rampton, 1970; Johnson, 1971; Johnson, 1980; Johnson, 1992). Il est raisonnable de présumer un important couvert aussi sur le complexe de glacier de piémont

des St-Elias. La rigueur climatique de l’époque et la forte continentalité du bassin Wellesley auraient justifié la présence du pergélisol durant la majeure partie du Wisconsinien.

Le faciès sédimentaire de réajustement postglaciaire est mince et riche en matière organique, ce qui implique que les mouvements de masse étaient relativement limités. Les pentes déjà relativement stables auraient lentement permis l’instauration d’une toundra-steppe durant le stade 1. Cette apparente stabilité pourrait avoir été provoquée par la présence de pergélisol. Néanmoins, la solifluxion, l’érosion en nappe, les glissements rotationnels, les coulées boueuses et d’autres processus de pente ont pu être ponctuellement actifs.

Le pergélisol était officiellement installé à l’arrivée du stade 2. Les processus de pentes auraient été ralentis. Un réseau de polygone à coins de glace s’est développé. L’accumulation de glace et de matière organique s’est préférentiellement effectuée dans les dépressions. La sédimentation éolienne de matériaux carbonatés aurait suralimenté l’accumulation organique (Laxton et al., 1996) et la cryogenèse écosystémique en assurant la disponibilité de nutriments. À l’heure actuelle, le yedoma résultant est limité aux parties déprimées de la moraine. Durant son aggradation, les crêtes morainiques pourraient s’être dénudées par altération chimique et solifluxion (Schaller et al., 2009a; 2009b; 2010) comme elles pourraient aussi avoir été recouvertes de silt éolien. Les deux processus pourraient avoir opéré en synchronisme.

Durant la dégradation du pergélisol au stade 3, les lentilles et coins de glace ont fondu jusqu’à une certaine profondeur. Les processus de pente ont dû accélérer temporairement. Le pergélisol écosystémique est reconnu comme plus résilient aux éventuels réchauffements climatiques (Swanson, 1996b). Le yedoma plus mince près des buttes pourrait avoir complètement disparu, contrairement à celui des dépressions. En contrepartie, la réponse topographique de ce dernier pourrait avoir été plus forte vu sa richesse en glace. La surface du yedoma dans la cuvette a pu raviner, s’affaisser ou subir d’autres formes d’érosion plus ou moins catastrophiques. La qualité générale du drainage a dû augmenter partout suite à l’épaississement de la couche active.

Le pergélisol a été réinitié et maintenu jusqu’à présent. L’image du stade 4 (figure 46) correspond à la catena idéalisée (figure 42) et s’applique à la configuration actuelle du site d’étude, sans considérer les modifications les plus récentes associées au changement climatique

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ou à l’utilisation du territoire. Depuis la dégradation partielle, le plafond du pergélisol a remonté puis la cryogenèse a repris en deux phases. La première fut dominée par la sédimentation éolienne et l’aggradation de pergélisol syngénétique alors que la seconde fut dominée par l’ajustement de l’écosystème, l’accumulation de tourbe et l’aggradation de pergélisol quasi- syngénétique (bref, la cryogenèse écosystémique). L’érosion par écoulement hypodermique continue à s’opérer dans une couche active minérale et organique sur les crêtes et le long des pentes (Rampton, 1971a).

En somme, l’épaisseur du remplissage sédimentaire est maximale vers le centre du milieu humide sous la route, dans la partie ouest du site d’étude. Cette épaisseur dépasse les 15 m en certains endroits. Elle diminue ensuite en s’éloignant vers les buttes où la couche active et/ou l’unité cryostratigraphique E est directement assise sur l’unité A, le till. La teneur en matière organique et en glace associée aux stades évolutifs 1, 2 et 4 représente un volume de matériel en équilibre transitoire. Sa conservation est tributaire de la préservation du pergélisol, qui elle-même est tributaire du maintien de l’écosystème. Le climat en réchauffement et l’utilisation du territoire sont deux facteurs qui perturbent actuellement le régime thermique du pergélisol. Ensemble, ces deux perturbations amorcent un cinquième stade où les matériaux non durables (la glace et la matière organique) se dégradent.