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Le mémoire qui sera ici résumé traite de l'érotisme dans deux œuvres de l'Antiquité à travers une étude comparée. La première, Joseph et Aséneth, est le récit principal qui fait l’objet de cette analyse, et le roman d'Héliodore d'Émèse, Les Éthiopiques, en est le second. Tous deux étant des écrits romanesques helléniques, cette approche comparative a pour but de comprendre les usages qui sont faits de l'érotisme au sein de ces histoires comme moyens d'introduire et de soutenir d'autres idées. Comme cela ne représente qu'une synthèse des démonstrations et des analyses présentées dans le mémoire, ce document se bornera à évoquer les grandes lignes de la démarche et de l'argumentation.

Introduction

Cette introduction a pour objectif d'offrir au lecteur un survol de l'état de la question des textes, ainsi qu'une justification de la méthode comparée, car cette dernière n'est pas acceptée par l'ensemble de la communauté scientifique. L'étude de Joseph et Aséneth et de ses contextes historique et littéraire est complexe. Le récit de l’amour qu’éprouve Aséneth pour Joseph figure parmi les œuvres juives rédigées en grec entre la période hellénistique et le début de l'Empire romain. Il fait donc partie des écrits rejetés par la tradition rabbinique naissante et préservés seulement grâce aux chrétiens, tels que le corpus de Philon d'Alexandrie, les fragments d'Ézéchiel le Tragique et un certain nombre de documents pseudépigraphes et apocryphes. L'intérêt d’évoquer ces autres textes, qui ne seront guère analysés plus loin, est de montrer les échanges qui se font entre les écrits juifs et païens. La tendance qu’on a à placer des bornes intellectuelles entre les penseurs juifs et les traditions philosophiques helléniques est de moins en moins acceptée. On reconnaît maintenant qu'il existait des contacts entre les juifs et leurs voisins païens dans les communautés de la Diaspora, ainsi qu’au sein de la communauté palestinienne. C’est par des études comparées que s’améliore notre compréhension de ces textes juifs, et cela se révèle tout aussi vrai pour Joseph et Aséneth.

Les juifs de cette époque étaient toujours aussi fortement attachés à la Torah qu'auparavant.

Joseph et Aséneth est inspiré par le verset problématique de Genèse 41,45: « Et Pharaon donna à

Joseph le nom de Psonthomphanêx ; et il lui donna comme femme Aséneth, la fille de Pentéphès, le prêtre de la ville d'Hélios ». Le roman de Joseph et Aséneth explique comment il est possible que

Joseph, symbole du juif qui conserve son identité culturelle dans un monde païen, ait pu se marier avec une non juive. Etudier ce texte aujourd’hui suscite cinq questions : celles de la date, de la langue, de la provenance, de la religion et de sa version définitive. On admet généralement que ce texte fut écrit au premier siècle avant ou après Jésus-Christ, en grec, en Égypte, par un juif et que la version longue - car il en existe une courte - serait plus proche de l'original. Ce consensus reste l’hypothèse la plus convaincante sur ces sujets ; cependant quelques-unes de ces questions seront reprises dans la conclusion.

La littérature scientifique concernant Joseph et Aséneth a beaucoup évolué depuis trente ans. Ce texte, qui fut longtemps étudié pour ses intérêts théologiques et sociaux, est maintenant lu comme une œuvre de divertissement et pour son intertextualité. Cette nouvelle lecture qu’on en fait a inspiré plusieurs études comparées avec les romans idéaux grecs. La diversification et l’enrichissement de la recherche contemporaine sur Joseph et Aséneth ont été encouragés par les récentes études du genre romanesque de l'Antiquité. Depuis que ce genre a cessé de se limiter aux cinq romans d’amour grecs les plus connus et aux quelques romans latins traditionnels, est apparu un réel intérêt universitaire pour les écrits romanesques en prose et les emprunts entre ces textes. C’est dans cette perspective que se situe cette étude comparée de Joseph et Aséneth.

Dans le cadre de cette recherche, parmi les cinq romans d’amour de l'Antiquité, c’est avec

Les Éthiopiques qu’une comparaison s’impose de la façon la plus logique. En effet, le texte

d'Héliodore présente lui aussi un questionnement méthodologique. La date de rédaction n'en est pas certaine. Certains chercheurs penchent pour une datation au IIIe siècle apr. J-C., d'autres pour le IV ͤ. De nos jours, c’est cette seconde datation qui est plus couramment admise que la première. La distance chronologique entre ces deux œuvres rend crucial un point de ce mémoire : ce travail ne plaide pas en faveur d’une filiation directe entre Joseph et Aséneth et Les Éthiopiques ; il étudie plutôt comment deux auteurs différents, pour trasmettre des idées religieuses ou philosophiques, ont recouru au même genre littéraire, celui du roman d’amour, et à ses topoï.

On dit que Les Éthiopiques est le plus religieux des romans idéaux, car il propose en abondance au lecteur dieux, oracles, rêves et symbolisme solaire. La place centrale qu’y occupent les dieux célestes invite à une comparaison avec Joseph et Aséneth. De plus, les deux textes ont été écrits en grec, ce qui rend possibles l’intertextualité et la recherche de sources communes. Mais on peut évoquer des raisons plus profondes pour les comparer. En premier lieu, les héroïnes des deux romans vivent des expériences initiatiques dont l'amour est le moteur de la trame narrative.

D'ailleurs, cet amour n'est jamais le but des textes, mais un moyen d'atteindre une autre conclusion. En second lieu, ces deux romans furent écrits dans des milieux où circulaient des écrits à la fois judéo-chrétiens et païens. Qu’ils aient un vocabulaire commun et des sources communes est donc tout à fait vraisemblable, et ces similitudes permettent la comparaison entre ces deux romans. Le but de cette comparaison est triple. D'abord, cette étude revendique le titre de « roman grec » pour

Joseph et Aséneth en se fondant sur l'analyse et la comparaison de l'usage qui est fait de l'érotisme

dans Les Éthiopiques. Cette revendication permettra une contribution au débat sur la date de rédaction de l'œuvre juive. En fin de compte, cette recherche vise à une qualification de l'expérience religieuse des personnages.

Avant de passer à l'analyse des deux textes, il doit être précisé ce qui est entendu par l'emploi du terme « érotisme ». Ce terme est ici conçu comme ayant de multiples facettes. D'abord, il concerne la sexualité proprement dite des personnages, ce qui inclut la description des corps ou des émotions, ainsi que les métaphores qui évoquent des tensions sexuelles dans ces récits. Ensuite, il faut tenir compte des courants néoplatoniciens qui ont pu influencer les auteurs et qui créent un érotisme purement philosophique. C'est de cette manière complexe et éclectique que cet érotisme est étudié dans ce mémoire. Cette définition permet de passer maintenant à la première partie, où cet érotisme révèle son importance dans les deux œuvres.

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