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Évolution du Profil « Différé »

CLASSIQUE/PERSISTANT

3.1 Synthèse et discussion des résultats

Mon travail de thèse a permis de répondre en partie aux 4 questions/problèmes exposés en introduction (Chapitre 1.7).

3.1.1 Quelle est l’incidence de la PADH et son évolution au cours du temps auprès d’une population de voyageurs traités pour paludisme grave par AS ?

L’organisation de la dispensation de l’AS en France (cohorte nationale et ATU nominative différée) par le système de recueil d’information mis en place (Chapitre 1.5 et 2.2) nous a permis de proposer l’individualisation de différents profils évolutifs d’anémie et/ou d’hémolyse rencontrés après traitement du paludisme (profil « Classique », « Persistant » et « Différé »). De plus l’observation fine des cas, de manière prospective a permis de dissocier le mécanisme de la PADH (l’hémolyse) de sa conséquence (la perte d’hémoglobine et l’anémie). Stricto sensu on devrait parler de PADH (survenue d’une hémolyse tardive telle que définie) et de PADHA en présence d’une anémie associée à l’hémolyse tardive. Dans la mesure où la quasi-totalité des patients est anémique au cours du paludisme (97%), la PADH se confond en pratique avec la PADHA. Si la distinction est peu importante en terme opérationnel (gestion clinique des malades), celle-ci l’est en termes de compréhension physiopathologique. En effet, l’hémolyse post artésunate est fréquente et touche environ 30% des patients traités par AS pour paludisme grave dans notre travail. Cette hémolyse est fréquente car elle est directement liée à l’effet du traitement par la génération d’oiRBC, mécanisme caractéristique de l’action de l’artémisinine et de ses dérivés dont l’AS. Cependant l’importance (quantitative) de cette hémolyse et son corollaire l’anémie, est éminemment variable. L’anémie qui en résulte, elle, semble rarement grave (diminution d’hémoglobine de 1,3 g/dl en médiane). Elle ne semble profonde que dans 15% des cas et cette profondeur dépend très probablement du niveau d’hémoglobine précédent le phénomène.

L’hémolyse est détectée de manière indirecte par des marqueurs sensibles mais peu spécifiques (haptoglobine et LDH). Ils permettent cependant de conférer une temporalité aux différents types d’hémolyse, y compris la PADH, et a permis de leur donner un cadre chronologique de définition et d’évolution par leur variation au cours du temps (Figure 2-4).

3.1.2 Quelle est sa gravité et son impact ?

Dans la droite ligne de la requête OMS [250], le travail accompli a pu donner un niveau de gravité de cet effet secondaire et contrebalancer l’impression première de gravité alarmante issue des travaux

136 antérieurs. Ceux-ci basés sur des données rétrospectives et focalisés sur les cas les plus graves diagnostiqués pour anémie ont pu majorer son importance (Tableau 1-4). Notre approche, prospective et sans a priori a pu donner un relief plus « physiologique » aux conditions de survenue de la PADH et de sa gravité. En médiane, la chute d’hémoglobine dans ce groupe de patients a été de 1,3 g/dl entre les jours 7 et 14 ; une diminution relativement modérée. Cependant cette médiane de diminution cache des disparités importantes. Certains patients ont atteints des niveaux d’anémie profonde, compris entre 4,6 et 12,9 g/dl. Sur l’ensemble de la cohorte, parmi les 8 patients présentant un degré d’anémie le plus grave lors des semaines de suivis 2, 3 et 4, la moitié présentait un profil de PADH (Figure 2-5). Autrement dit, parmi les anémies tardives les plus graves, 50% étaient due au phénomène PADH. Bien que rare la PADH profonde représente la moitié des cas d’anémies les plus sévères au cours du paludisme grave traité par AS, toutes causes confondues.

L’impact de la gravité est représenté par le taux de transfusion. Il est ici rassurant. Tous profils confondus, 75% des transfusions sanguines ont lieu durant les 7 premiers jours c'est-à-dire durant la phase post-infectieuse immédiate de destruction globulaire (iRBC et uRBC) et 85% des taux d’hémoglobine sont demeurés > 7 g/dl. Le taux de transfusion directement lié à l’épisode de PADH semble être de 5% (1 patient sur les 21). Ce chiffre que l’on peut discuter compte tenu des limites du recueil d’information, est bien loin du taux de transfusion des publications antérieures (plutôt de l’ordre de 40 à 60%).

Enfin aucun décès n’a été à déplorer en rapport avec la PADH confirmant les données publiées antérieurement.

3.1.3 Quel(s) sont le(s) mécanisme(s) de cette hémolyse retardée en retenant l’hypothèse que cet effet secondaire est en rapport étroit avec le mode d’action original de la molécule mais qu’il ne se manifeste pas chez tous les patients traités par AS ?

Notre approche physiopathologique a utilisé une définition stricte de la PADH [254]. Ainsi une sous-population de patients a été étudiée pour cette partie du travail de thèse. Il ne s’agit pas d’une étude sur la PADH au cours du paludisme grave en tant que tel puisque les malades transfusés à un moment ou à un autre (probablement les patients ayant les formes les plus graves) ont été exclus. Cependant l’aspect « caricatural » des phénotypes d’anémie de patients sélectionnés a permis d’observer le comportement fin des différentes populations globulaires à l’œuvre sans apport exogène de nouveaux globules rouges par la transfusion. L’étude de l’évolution des oiRBC au cours de l’infection a montré que leur nombre généré au cours de la première semaine, faisant suite au

137 traitement par AS, était fortement lié à la perte des érythrocytes lors de l’épisode de PADH (Figure 2-10 et 2-11). La réduction de S/V de ces globules rouges pittés semble être un facteur explicatif convaincant, menant à leur rétention et leur destruction, probablement au niveau de la rate. L’anémie au cours de la PADH est due à la rétention et la destruction des oiRBC générés lors de première semaine. La concentration de ces oiRBC (leur nombre en valeur absolue) dépend de 2 éléments (i) la parasitémie initiale et (ii) le taux de pitting. Une parasitémie élevée associée à un taux de pitting élevé génèrera un grand nombre de oiRBC qui seront détruits dans un second temps, expliquant l’épisode de PADH [254]. La nécessité d’une parasitémie élevée confirme ici les données publiées qui retrouvaient des parasitémies élevées au cours de la PADH [233, 235]. Le taux de pitting élevé est la donnée explicative majeure qui soulève en elle-même une question : pourquoi ce taux varie-t-il et quels sont les déterminants de cette variation ? La variation de ce taux (efficacité du pitting) et la variabilité de la parasitémie initiale, qui dépend d’autres facteurs explicités par ailleurs (Chapitre 1.2), expliquent pourquoi seuls 30% des patients traités par AS vont être frappés de PADH dans les suites de leur traitement et non pas l’ensemble des malades traités.

La revue de littérature de la première partie de ce travail de thèse a montré que les mécanismes d’anémie sont multiples au cours du paludisme à P. falciparum. Il n’est donc pas exclu que des mécanismes autres que la rétention des pittés, puissent contribuer à l’anémie, en particulier une destruction immunologique (Figure 1-26). La recherche de marqueurs immunologiques conventionnels de destruction (test de Coombs) s’avère non contributive dans notre travail à l’instar des données déjà publiées. Mais compte tenu des limites de ce type d’examens (sensibilité du Coombs, nécessité de technique d’élution systématique, répétition des examens, etc.), des résultats douteux ou négatifs n’excluent pas formellement la présence d’une auto-immunité ou allo-immunité associée.

Une responsabilité immunologique médicamenteuse (AHIM) est par contre très improbable, du fait des réserves ci-dessus décrites d’une part et de la demi-vie très courte de l’AS et de la DHA. Seule la recherche urinaire de métabolites tardifs (produit de dégradation) pourrait définitivement clore ce débat et éliminer définitivement la responsabilité du médicament ou de ses métabolites dans le cadre d’une AHIM [210].

Deux questions supplémentaires surgissent à ce stade : le moment de survenue de la perte et sa chronologie et la participation d’une réponse immune spécifique (cf. infra).

138 3.1.4 Quel pourrait être le facteur prédictif de survenue de cette hémolyse afin de sélectionner les patients les plus à risque qui pourront bénéficier d’un suivi rapproché et adapté ?

Le travail publié a montré que le nombre de pittés durant la première semaine au-delà d’un certain seuil était fortement corrélé au risque de PADH. Le seuil de 180 millions d‘oiRBC/l discrimine les patients à risque de PADH avec une sensibilité de 89% et une spécificité de 83%. Ce nombre en valeur absolue (concentration) constitue donc une piste intéressante de marqueur prédictif de risque. Il se heurte pour le moment à la difficulté de sa détermination. Afin de déterminer ce nombre maximum de pittés il est nécessaire d’avoir plusieurs prélèvements durant la première semaine et de pourvoir déterminer les nombre d’oiRBC par cytométrie (robustesse de la mesure). Peu de laboratoires et à fortiori en zone d’anémie palustre sont à même de réaliser cette mesure.