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Effet de l’âge parasitaire sur l’expression clinique : nosologie chronologique et histopathologique histopathologique

1.2.4.1 Évaluation de la charge parasitaire : corrélation à la gravité

Il résulte de la séquestration, la quasi-absence de formes matures parasitaires (trophozoïtes, schizontes) dans le sang périphérique circulant des patients infectés par P. falciparum. De fait la parasitémie (nombre de globules rouges infectés rapporté aux globules rouges totaux sur du sang prélevé de patient, donc – par définition – périphérique) mesurée par les techniques classiques (frottis sanguin, goutte épaisse) est un mauvais reflet de la biomasse parasitaire totale [72] puisqu’elle ne met en évidence que la biomasse parasitaire circulante et non pas la biomasse séquestrée dans les petits vaisseaux [73]. L’impact de la séquestration sur le fonctionnement des organes est corrélé à l’importance et à la synchronisation en âge de cette biomasse parasitaire et de sa capacité à séquestrer [74]. Il est admis depuis les années 30 qu’il existe une relation forte entre une parasitémie élevée et la mortalité. Sur une série de 750 cas, colligés à Kuala Lumpur en 1937, le

42 seuil de 2% de parasitémie était associée à une mortalité de 7% et celle-ci atteignait 63% lorsque la parasitémie dépassait 10% [75]. La parasitémie donne une indication du nombre de parasites et de leurs hématies hôtes, susceptibles de cytoadhérer dans les 24 heures suivant le prélèvement, et fait partie des critères de gravité même si cette parasitémie ne représente que la partie (visible) de la population parasitaire totale. Une parasitémie élevée (>20%) est toujours considérée comme grave et ce, quel que soit le niveau de prémunition du malade considéré [76]. L’existence de cette synchronisation parasitaire et du moment de réalisation du frottis sanguin explique les observations cliniques connues de longues dates. Elles traduisent la grande variabilité de la relation entre la parasitémie et le pronostic. Certains patients à parasitémie élevée semblent tolérer de fortes charges parasitaires circulantes, parfois jusqu’à 50%, alors que d’autres sont retrouvés dans le coma avec une parasitémie de 0,1% [73]. La population parasitaire visualisée sur lame est caractérisée par sa jeunesse (anneaux, jeunes trophozoïtes) et de fait l’absence d’expression de molécules d’adhésion et de capacité immédiate à séquestrer. Dans un modèle parfaitement synchronisé de croissance parasitaire (moins de 4 heures de déviation standard de l’âge parasitaire des populations présentes chez un individu) le phénomène de séquestration surviendra au même moment compte tenu du fait que les parasites ont à peu près le même âge [73] (il est estimé le début de séquestration effective dans la microcirculation à 16-20h de maturation parasitaire [77]). Il en résulte la possibilité de voir dans le sang périphérique des parasitémies élevées constituées de populations parasitaires jeunes, n’ayant pas encore adhéré sans retentissement clinique majeur immédiat. La situation peut changer du tout au tout, quelques heures plus tard après maturation et séquestration progressive des globules rouges parasités. La parasitémie réalisée à partir de ce moment là, en conséquence, diminuera rapidement à mesure que la population parasitaire cytoadhère et disparait du sang périphérique [74]. La gravité du paludisme est corrélée à la biomasse parasitaire mais aussi à la proportion de la biomasse séquestrée au moment du prélèvement donc au degré moyen de maturité de la population parasitaire totale [78].

L’ « Histidine Rich protein » de type 2 (PfHRP2), une protéine produite par P. falciparum, stockée dans le cytoplasme et la vacuole nutritive du parasite, joue un rôle dans la polymérisation de l’hème en hémozoïne. Elle est libérée dans le plasma lors de la rupture des schizontes, essentiellement (89%). Soluble dans l’eau, son taux est corrélé à la biomasse parasitaire totale, et au contraire de la parasitémie, est étroitement corrélée à la gravité clinique et au risque de décès [78].

1.2.4.2 Données histopathologiques corroboratives

Les études histopathologiques réalisées sur des patients décédés ont confirmé l’intense séquestration des hématies parasitées dans les organes vitaux, particulièrement le cerveau, mais cette séquestration est très inégalement répartie entre les organes [69]. De plus au sein d’un même

43 organe certains vaisseaux peuvent être totalement obstrués (Figure 1-10) alors que d’autres ne le sont pas permettant le maintien du débit sanguin global au prix d’une vasodilatation importante du réseau non infecté.

Figure 1-10. Coupe de 3 vaisseaux sanguins de tissu cérébral post mortem. 1 : vaisseau où cytoadhère un schizonte. 2 : vaisseau obstrué par des schizontes à gauche, et des trophozoïtes matures à droite. 3 : vaisseau à la lumière libre (adapté de [69]).

Il a été montré que même dans des vaisseaux apparemment occlus, les globules rouges non infectés arrivent à franchir malgré tout les obstacles cellulaires constitués. Par ailleurs chez un patient donné, il existe une cytoadhésion de formes synchrones par vaisseaux pris un à un (âge identique) mais l’observation de plusieurs vaisseaux montre des stades parasitaires différents (Figure 1-11). Cela est expliqué par la stimulation asynchrones des molécules d’adhésion [34, 69].

Figure 1-11. Coupe de vaisseaux cérébraux post mortem. Deux populations parasitaires d’âge différent (schizontes et trophozoïtes) de P. falciparum séquestrés dans deux vaisseaux différents d’un même patient décédé (adapté de [69]).

44 En cas d’infection à P. falciparum, l’absence de mixité des âges parasitaires dans le sang périphérique suggère qu’une fois séquestrés, les globules rouges infectés ne peuvent plus passer de nouveau en circulation générale. La congestion microvasculaire vasculaire cérébrale est d’autant plus importante que le coma précédant la mort est profond et le décès rapide. Sur une série de 21 cas de décédés de neuropaludisme, le taux de séquestration vasculaire cérébral atteignait 85% contre 14% chez 23 contrôles décédés de paludisme non cérébral [52].

In vivo, l‘évaluation des débits sanguins au sein de certains organes (cerveau, foie, rein) a montré que celui-ci était globalement conservé compte tenu de l’index cardiaque élevé et d’un plus faible contenu artériel en oxygène [79-82]. La mesure du taux de lactates sanguins, marqueur de glycolyse anaérobie est plus informatif car plus étroitement corrélé au degré de séquestration [83, 84]. Par contre des études évaluant la vitesse et la répartition du flot sanguin au sein même des microvaisseaux (rétine, rectum) chez les malades ont montré une hétérogénéité de cette microcirculation sanguine. L’obstruction est compensée par la vasodilatation des vaisseaux libres adjacents. De plus cette obstruction se lève à mesure que le patient guérit [84]. L’obstruction est un phénomène réversible si le patient survit. L’évaluation de la vitesse érythrocytaire dans un lit capillaire rectal a montré chez 43 patients atteints de paludisme grave, que des capillaires rectaux étaient bloqués chez 67% d’entre eux alors que les vaisseaux adjacents étaient le siège d’une accélération du débit capillaire (vitesse érythrocytaire > 750 µm/s) dans 93% des cas. Le degré d’obstruction capillaire est proportionnel à la sévérité [84, 85].

1.2.4.3 Théorie de la séquestration et les chainons manquants

S’il apparait évident que la séquestration globulaire est la pierre angulaire de la physiopathologie du paludisme grave, elle n’explique pas tout. Au-delà de l’ischémie il n’est pas clairement établi comment l’obstruction microvasculaire entraine la dysfonction d’organe et la mort. La pathogénèse de la fuite capillaire, de l‘œdème et des perturbations métaboliques demeure floue. Les autres atteintes d’organes potentiellement létales comme l’œdème pulmonaire, l’insuffisance rénale et l’anémie ne sont qu’en partie expliquée par l’obstruction microvasculaire [69]. A contrario la persistance de symptômes (coma persistant) et/ou la présence de séquelles (5 à 15 % chez l’enfant, 3% chez l’adulte atteints de neuropaludisme) malgré la disparition de toute séquestration est possiblement expliquée par la persistance d’une activation endothéliale liée à la présence de résidus membranaires et de pigment malarique associée à une atteinte de la signalisation axonale cérébrale et de la substance blanche (Figure 1-12) [9, 86, 87].

45 Figure 1-12. Vaisseau cérébral d’un patient décédé après plusieurs jours de traitement par quinine. La parasitémie périphérique était de 80/µL (adapté de [34]).

1.2.5 Mesures de contrôle de l’hôte à l’exception de la rate : facteurs génétiques et