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Synthèse des effets du couple Eh/pH de la biodisponibilité des nutriments

Comme il a ainsi été vu dans les précédentes parties le Eh et le pH du sol ont un effet très fort sur la disponibilité des nutriments du sol et leur assimilabilité par les plantes, impactant alors directement la croissance et le développement de ces dernières.

L’impact du pH sur l’ensemble des nutriments a été résumé à travers la Figure 30 (Sparks 2003).

Figure 30 : Effet du pH sur la disponibilité des nutriments importants pour la croissance des plantes. À mesure que la bande pour un nutriment particulier s'élargit, la disponibilité du nutriment est plus grande (Sparks 2003) Ainsi, en dessous de pH 6, Fe, Mn, Cu et Zn sont plus solubles et leur mobilité est accrue, en même temps que celle de Al, et des autres métaux traces (Cadmium, plomb, chrome …)

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pouvant devenir toxiques pour les plantes (Sparks 2003). Plus les conditions de pH deviennent acides, plus la solubilité de ces métaux est accrue. Ainsi, en dessous de pH 5,5 ces ions métalliques ont une activité relativement élevée, et peuvent réagir avec les phosphates pour donner des phosphates de fer et/ou d’aluminium peu solubles, entraînant une diminution de la disponibilité du phosphore, comme le montre la Figure 30. De la même façon, ce processus diminue la biodisponibilité des autres nutriments absorbés sous la forme d’oxyanions : les sulfates, les molybdates les borates, et dans une moindre mesure les nitrates. En effet, la diminution de disponibilité en azote des sols acides est plutôt la conséquence d’un ralentissement du processus de nitrification en milieu acide.

Lorsque le pH augmente, et dépasse la valeur de 7, c’est le phénomène inverse qui se produit : les éléments métalliques se retrouvent à des niveaux de concentration dans la solution du sol d’autant plus bas que le pH est élevé, ce qui peut générer des carences. La chlorose ferrique en un exemple fréquent sur les sols calcaires. Dans ces conditions, plus le calcaire actif sera abondant, plus l’ion Ca2+ aura une forte activité, et plus il sera en capacité

de faire évoluer les phosphates vers des formes de phosphates de calcium, moins en moins solubles.

Finalement, la Figure 30 met clairement en évidence la gamme de pH des sols situés entre 6 et 7. En effet cette dernière est optimale du point de vue de la mobilité des nutriments : les anions comme les cations. Cela est relativement connu par les agriculteurs qui maintiennent donc le pH des sols cultivés à des niveaux le plus proche possible de la neutralité.

Le potentiel d’oxydoréduction aura quant à lui un impact sur les espèces lorsque des changements de conditions hydriques ou de tassement de sol seront observées.

L’azote, le manganèse, le fer et le soufre sont directement impactés par le Eh du sol. Alors que N et S sont sous forme fortement mobile dans le sol dans des conditions oxydées (respectivement sous forme NO3- et SO42-), la mise en place de conditions anaérobies

engendre un changement de la forme prédominante de N (qui devient NH4+) et de S (qui

devient S2-) dans les sols, engendrant alors une plus forte adsorption de N et une perte de S

pour la plante. A contrario la réduction de Fe et Mn, présents en milieu aérobie sous forme d’oxydes insolubles, améliore la disponibilité des deux espèces. Ces dernières passent alors sous la forme soluble Fe2+ et Mn2+. Dans certaines situations la trop forte libération de Fe et

Mn dans la solution du sol peut même engendrer des cas de toxicité chez les plantes.

Les principales réactions d’oxydoréduction mises en jeu dans le sol, notamment lors de changements de conditions aérobies/anaérobies, ont ainsi été synthétisées dans le Tableau 5. Afin de mieux interpréter la lecture de E, la valeur de E0

pH7 est proposée. Cette dernière

intègre la valeur du E0 ainsi que le facteur contenant le pH mentionné dans l'équation de E :

𝐸 = 𝐸° − 𝑎 × 𝑝𝐻 + 𝑏 et 𝐸°𝑝𝐻7′ = 𝐸° − 𝑎 × 7

Le pH a été fixé à 7 afin de se placer le domaine de pH généralement rencontré dans les sols.

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Tableau 5 : Les principales demi-réactions rédox mises en jeu dans le sol. Les valeurs de E0 ont été prises dans Pourbaix (1966) Couple Demi-réaction E0 (V/ENH) E0 ’pH7 (V/ENH) E (V/ENH) O2/H2O 𝑂2+ 4𝐻++ 4𝑒−↔ 2𝐻2𝑂 1,23 0,817 E = 1,23 − 0,059pH + 0,015log(PO2 ) NO3-/N2 2𝑁𝑂3−+ 12𝐻++ 10𝑒−↔ 𝑁2+ 6𝐻2𝑂 1,246 0,496 E = 1,246 − 0,0709pH + 0,0059log ( [NO3]2 PN2 ) NO3-/ NO2- 𝑁𝑂3−+ 2𝐻++ 2𝑒−↔ 𝑁𝑂2−+ 𝐻2𝑂 0,835 0,422 E = 0,835 − 0,059pH + 0,0295log ( [𝑁𝑂3] [𝑁𝑂2−] ) NO2-/ NH4+ 𝑁𝑂2−+ 8𝐻++ 6𝑒−↔ 𝑁𝐻4++ 2𝐻2𝑂 0,897 0,344 E = 0,897 − 0,079pH + 0,0098log ( [𝑁𝑂2] [𝑁𝐻4]) MnO2/Mn2+ 𝑀𝑛𝑂2+ 4𝐻++ 2𝑒−↔ 𝑀𝑛2++ 2𝐻2𝑂 1,23 0,404 E = 1,23 − 0,118pH − 0,0295log(Mn2+)

Fe3+/Fe2+ 𝐹𝑒3++ 1𝑒↔ 𝐹𝑒2+ 0.771 0.771 E = 0.77 + 0.059log ([Fe

3+] [Fe2+])

Fe(OH)3 /Fe2+ 𝐹𝑒(𝑂𝐻)3+ 3𝐻++ 1𝑒−↔ 𝐹𝑒2++ 3𝐻2𝑂 1,057 -0,182 E = 1,057 − 0,177pH − 0,059log(Fe2+) Fe3(OH)8 /Fe2+ 𝐹𝑒3(𝑂𝐻)8+ 8𝐻++ 2𝑒−↔ 3𝐹𝑒2++ 8𝐻2𝑂 1,373 -0.279 E = 1,373 − 0,236pH − 0,0855log(Fe2+)

SO42-/ H2S 𝑆𝑂42−+ 10𝐻++ 8𝑒−↔ 𝐻2𝑆 + 4𝐻2𝑂 0,303 -0,215 E = 0,303 − 0,074pH + 0,0074log ( [SO42−] [H2S] ) SO42-/ HS- 𝑆𝑂42−+ 9𝐻++ 8𝑒−↔ 𝐻𝑆−+ 4𝐻2𝑂 0,252 -0,212 E = 0,25 − 0,066pH + 0,0074log ( [𝑆𝑂42−] [𝐻𝑆−]) SO42-/ S2- 𝑆𝑂42−+ 8𝐻++ 8𝑒−↔ 𝑆2−+ 4𝐻2𝑂 0,15 -0,263 E = 0,15 − 0,059pH + 0,0074log ( [SO42−] [S2−]) CO2/CH4 𝐶𝑂2+ 8𝐻++ 8𝑒−↔ 𝐶𝐻4+ 2𝐻2𝑂 0,169 -0,244 E = 0,169 − 0,059pH + 0,0074log ( [PCO2] [PCH4])

Le Eh aura indirectement des effets sur la disponibilité de tous éléments même pour ceux qui sont insensibles à ces variations. En effet, l’oxydation/réduction de N, Mn, Fe et S aura à

son tour des conséquences sur les autres éléments présents dans le sol. La libération de Fe2+

et Mn2+ engendrera une compétition accrue sur les sites d’adsorption du complexe d’échange

du sol et provoquera la désorption d’autres cations comme notamment Mg2+ et Ca2+ et donc

des concentrations plus importantes de ces espèces dans la solution du sol. Le phosphore, pouvant être précipité ou adsorbé sur les oxydes de fer sera également libéré lors de la réduction du fer. Il pourra en être de même pour le cuivre, le bore et le molybdène, également adsorbés sur les oxydes de fer.

Les plantes prélèvent les nutriments contenus dans le sol par l’intermédiaire de leurs racines (Figure 1). Cependant, comme il a été vu, de nombreux facteurs peuvent affecter la disponibilité des nutriments, ces derniers pouvant être immobiles ou fortement retenus par le sol ou présents sous des formes que les plantes ne peuvent pas utiliser (Morgan and Connolly 2013). Une carence en l'un d'entre eux peut alors entraîner une diminution de la productivité et / ou de la fertilité des plantes.

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Les espèces végétales utilisent diverses stratégies de mobilisation et d’absorption de nutriments, ainsi que de chélation, de transport entre les différentes cellules et organes de la plante et de stockage, pour atteindre l’homéostasie des nutriments de la plante entière (Morgan and Connolly 2013). Ces dernières ont ainsi développé des mécanismes pour s’adapter aux déficiences en nutriments et améliorer leur nutrition.

L'une des adaptations les plus courantes dans l’absorption des nutriments est le changement de la structure racinaire. Selon la disponibilité des éléments dans le sol, la plante peut soit augmenter la surface totale de la racine et accroître ainsi l'acquisition des éléments, soit augmenter l'élongation du système racinaire pour accéder à de nouvelles sources de nutriments (López-Bucio et al. 2003; Morgan and Connolly 2013). Selon les carences en éléments les plantes peuvent réagir différemment. Ainsi les modifications les plus courantes du système racinaire peuvent être (Figure 1) :

➢ Une inhibition de la croissance des racines primaires, souvent associée à un déficit

en P

➢ Une augmentation de la croissance et de la densité des racines latérales, souvent

associée à un déficit en N, P, Fe et S

➢ Une augmentation de la croissance et de la densité des poils absorbants, souvent

associées à une carence en P et en Fe

Figure 31 : Modifications de l'architecture des racines en réponse à une carence en nutriment (Morgan and Connolly 2013)

En plus de la modification de la structure racinaire, les plantes augmentent également la disponibilité des nutriments dans la rhizosphère en sécrétant des composés organiques (anions carboxylates, phénoliques, glucides, acides aminés, citrate, enzymes...) et inorganiques (protons...) (Marschner 1995; Rengel 2015).

Un exemple marqué est le cas du fer. En raison de la solubilité limitée du fer dans de nombreux sols, les plantes doivent souvent d'abord mobiliser le fer dans la rhizosphère avant

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de le transporter à l’intérieur des cellules (Marschner 1995). Selon les variétés des plantes, certaines peuvent notamment acidifier la rhizosphère engendrant une baisse du pH et une augmentation de la solubilité du fer ferrique (Lindsay and Schwab 1982), le rendant plus mobile. L'activité d'une chélate réductase ferrique liée à une membrane plasmique permet ensuite de réduire le Fe3+ en Fe2+, permettant ensuite son absorption par la plante (Figure 32)

(Colombo et al. 2014). Cette stratégie d’acquisition du fer est appelée « Stratégie I » (Walker and Connolly 2008). Les graminées quant à elles, utilisent une autre stratégie (Stratégie II) pour acquérir du fer dans des conditions de limitation de l’élément (Walker and Connolly 2008). Elles ont recours à la synthèse de phytosidérophores (PS), qui présentent une forte affinité pour le fer ferrique. Les PS sont sécrétés dans la rhizosphère où ils se lient étroitement au fer ferrique (Figure 32) (Colombo et al. 2014). Les complexes PS-fer ferrique sont ensuite transportés dans les cellules de la racine par des transporteurs PS-Fe (III) (Figure 32) (Morgan and Connolly 2013).

Figure 32 : Mécanismes de la stratégie I et de la stratégie II pour l'absorption du fer (Morgan and Connolly 2013) En milieu inondé, pauvre en oxygène, certains végétaux ont la capacité de transférer l’oxygène capté par la surface foliaire aux racines, grâce aux aérenchymes (Figure 33). En effet, les racines de riz, par exemple, les plantes forcent également certaines réactions d’oxydoréduction dans la rhizosphère en oxydant certaines espèces. Les racines de certaines plantes possèdent un parenchyme cortical constitué de cellules à parois minces avec de larges espaces intercellulaires (Renault et al. 1997). Cela s’appelle l’aérenchyme. Ce phénomène est observé dans le cas de racines se développant en milieu inondé. Un apport d’oxygène à partir des parties aériennes et jusqu’aux parties racinaires est ainsi réalisé. Il permet alors l’oxydation de composés réduits dans la rhizosphère (Renault et al. 1997).

Alors que les carences en éléments nutritifs peuvent constituer une menace sérieuse pour la productivité des plantes, les nutriments peuvent également devenir toxiques en excès. C’est principalement le cas des oligoéléments.

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Figure 33 : Coupe histologiques de racines de maïs (a) sans aérenchymes et (b) avec aérenchymes (Renault et al. 1997) Enfin, la nutrition des plantes a également un impact sur le pH de la rhizosphère. En effet, l'équilibre électrique dans les cellules de la plante devant être maintenu (Marschner 1995), le prélèvement d’un ion chargé positivement par la plante engendre la libération d’un cation dans le milieu. A l’inverse, l’absorption d’anions comme par exemple les nitrates engendre la libération de HCO3-/OH- ou l'absorption de H+, en raison du cotransport H+/NO3- nécessaire

dans la plante (Lucena 2000; Tischner and Kaiser 2007; Poschenrieder et al. 2018). L'équilibre entre l'excrétion de H+ et de HCO

3-/OH- par les racines des plantes dépend ainsi du ratio

d'absorption de cations / anions (Rengel 2015).

Plusieurs auteurs ont souligné que l’azote, et notamment les formes de l'azote, était l’élément le plus important dans la détermination du rapport cations / anions (Rengel 2015).

Les plantes ayant une nutrition azoté principalement composée d’ammonium (NH4+)

absorbent plus de cations que d’anions et ont généralement une rhizosphère plus acide que le pH global du sol, alors que les plantes ayant une nutrition azoté principalement composée de nitrates absorbent plus d'anions que de cations et montrent la relation inverse entre la rhizosphère et le pH global du sol (Tang et al. 2000; Tang and Rengel 2003; Jing et al. 2012; QingHua et al. 2014). Ce phénomène a notamment été mis en avant par Römheld et al. (1984), dans le cadre de leur étude sur l’extrusion de protons par les racines de tournesols en fonction de la forme azotée utilisée comme nutriment (Figure 34), et a également été souligné par Marschner (1995) puis Hinsinger (2009; 2011).

Figure 34 : Acidification de la rhizosphère par les racines de tournesols en fonction de la forme azotée utilisée comme nutriment. Une couleur blanche indique une acidification (Römheld et al. 1984)

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