• Aucun résultat trouvé

Chapitre III : Complexes neutres de Pt(II) à organométalloligands o-

III.2 Synthèse et caractérisation

III.2.1 Synthèse de l’organométalloligand

Nous allons présenter ici la nouvelle voie de synthèse qui a été développée pour former l’organométalloligand désiré [Na][Cp*Ru-4-o-(C6H4S2)] 10-Na. On l’a vu au chapitre précédent, la  -coordination directe d’un arène soufré à un fragment "Cp*Ir" est impossible. En effet, les atomes de soufre se coordonnent préférentiellement à l’iridium et donnent des produits de S-coordination. L’exemple de la figure ci-dessous illustre ce phénomène : la topologie particulière de l’o-dithiobenzène induit un effet chélate qui favorise un mode de coordination  par rapport à une -coordination.[19]

Figure III.10 Complexe [Cp*Ir(o-dithiobenzène)].

Chapitre III : Complexes neutres de Pt(II) à organométalloligand o-dithioquinonoïdes

73 Le même phénomène existe avec le ruthénium. Le précurseur [Cp*Ru(MeCN)3][OTf] s’associe dans des conditions très douces et avec d’excellents rendements à des arènes variés pour donner des complexes sandwiches [Cp*Ru-6

Ar][OTf]. En revanche, les arènes soufrés se coordonnent préférentiellement par leurs atomes de soufre au centre métallique. Le ruthénium possède en effet un caractère thiophile très marqué. Ainsi, Hidai et son équipe ont montré que la coordination du précurseur [Cp*RuCl2]2 à un thioarène conduisait quelles que soient les conditions réactionnelles adoptées, exclusivement à des produits de S-coordination (Figure III.11.a).[20]

Ces résultats ont été confirmés par l’équipe de Kölle qui a obtenu avec le dithiocatéchol un complexe bimétallique [Cp*Ru(µ2-4-o-C6H4S2)RuCp*] où les deux unités "Cp*Ru" sont S-coordonnées aux dithiocatéchols (Figure III.11. b).[21]

Figure III.11 S-coordination du fragment "Cp*Ru" à un thioarène. a) Hidai et al. b) Kölle et al.

[20] Takahashi A., Mizobe Y., Matsuzaka H., Dev S., Hidai M., J. Organomet. Chem., 1993, 456, 243-253.

Chapitre III : Complexes neutres de Pt(II) à organométalloligand o-dithioquinonoïdes

74 Plus récemment enfin, Mochida et son équipe ont montré que même s’il ont pu obtenir un complexe -coordonné avec un arène monosoufré, celui-ci s’isomérisait rapidement en présence de lumière pour reformer un complexe S-coordonné.[22]

Figure III.12 Travaux de Mochida et al., photoisomérisation.

A notre connaissance, le seul exemple d’un produit stable de -complexation d’un thioarène sur un fragment "Cp*Ru" a été décrit par Nishibayashi (Figure III.12).[23] Un encombrement stérique très important autour de l’atome de soufre du thioarène est apporté par des groupements trimethylsilyles. De cette façon, le produit de -coordination est thermodynamiquement favorisé par rapport au produit de S-coordination.

Figure III.13 Travaux de Nishibayashi.

Après la formation rapide du produit cinétique de S-coordination, le produit thermodynamique [Cp*Ru(5

-SAr)] est formé après vingt jours de réaction. A travers ces exemples, on voit que la forte affinité du ruthénium pour le soufre est un défi pour la synthèse de l’organométalloligand 10. Ainsi la complexation directe du 1,2-benzènedithiol sur le précurseur de ruthénium [Cp*Ru(MeCN)3][OTf] s’est avérée infructueuse : seules des mélanges complexes de produits ont pu être obtenus.

On l’a vu au chapitre précédent, un organométalloligand soufré a pu être obtenu grâce à la substitution nucléophile aromatique de chlorures par des soufres sur le précurseur [Cp*Ir(6

-Ar-Cl)][BF4]21. Nous avons donc cherché à appliquer la même stratégie. En effet, l’équipe de Dembek a montré que des complexes de chloroarènes -métallés par un fragment "Cp*Ru" étaient fortement

[22] Mori S., Mochida T., Organometallics, 2013, 32, 283–288.

Chapitre III : Complexes neutres de Pt(II) à organométalloligand o-dithioquinonoïdes

75 activés et pouvaient ainsi subir des substitutions nucléophiles aromatiques avec des nucléophiles variés.[24] Nous avons alors dans un premier temps synthétisé le chloroarène -métallé 11 qui nous a servi de précurseur à la synthèse de l’organométalloligand 10-Na. La voie de synthèse adoptée est présentée dans le schéma ci-dessous :

Schéma III.1 Synthèse du chloroarène métallé 11.

La synthèse du chloroarène métallé 11 se fait facilement par des réactions classiques de la chimie du fragment "Cp*Ru".[25] Le précurseur de ruthénium(III) [Cp*RuCl2]2 est réduit par un borohydrure de lithium, et après réaction avec le triflate d’argent, le fragment "Cp*Ru" solvaté est obtenu avec un très bon rendement sous la forme d’un solide jaune-orangé. Celui-ci est mis à réagir dans des conditions douces avec le 1,2-dichlorobenzène en excès pour donner le chloroarène métallé 11 avec un très bon rendement, sous la forme d’un solide incolore. Ces produits ayant déjà été décrits, nous ne détaillerons pas leurs caractérisations, mais celles-ci seront néanmoins données en partie expérimentale.

Dans un second temps, nous avons cherché les conditions permettant d’obtenir, après une double substitution nucléophile aromatique des chlorures par des atomes de soufre, l’organométalloligand [Na][Cp*Ru-4-(o-C6H4S2)] 10-Na. La méthode de synthèse adoptée est présentée dans le schéma III.2 suivant. Pour étudier la réactivité de 11 face à un nucléophile soufré, un suivi de la réaction par RMN 1H dans le DMSO-d6 (400 MHz, TA) a été effectué. Contrairement au fragment "Cp*Ir" qui permet la double substitution nucléophile aromatique du dichloroarène métallé 1 par des atomes de soufre à température ambiante en moins de 30 minutes, la réaction de 11 avec un excès de sulfure de sodium à température ambiante ne permet pas d’obtenir le produit 10-Na.

[24] a) Dembek A.A., Fagan P.J., Organometallics, 1995, 14, 3741-3745. b) Dembek A.A., Fagan P.J., Organometallics, 1996, 15, 1319-1322.

Chapitre III : Complexes neutres de Pt(II) à organométalloligand o-dithioquinonoïdes

76 Schéma III.2 Synthèse de l’organométalloligand 10-Na.

On observe en effet après cinq minutes de réaction à température ambiante la formation d’un produit présentant en RMN 1H un unique signal pour le Cp* (non visible sur la figure) et quatre protons non équivalents à plus bas champ, ce qui est incompatible avec une homo-disubstitution sur le cycle chloré (Figure III.14 en rouge). Lorsque le milieu réactionnel est laissé à réagir jusqu’à trois jours à température ambiante, ce produit se dégrade sans donner naissance au composé 10-Na. Bien qu’il n’ait pas été isolé, nous pouvons émettre l’hypothèse que cet intermédiaire est le produit d’une mono-substitution nucléophile aromatique d’un chlorure par un sulfure. En effet, la non-équivalence des protons, leur multiplicité (deux triplets à 5,36 et 5,47 ppm et deux doublets à 5,63 et 5,86 ppm) ainsi que leur intégration (1H pour chaque signal) montrent que ce produit est constitué d’un cycle o-hétéro-disubstitué pour un fragment "Cp*Ru". De plus, le blindage de ces signaux par rapport à ceux de 11 (Figure III.14 en bleu), est cohérent avec un passage à un mode de coordination en 5

.

Figure III.14 Etude en RMN 1H (400 MHz, DMSO-d6, 296K) de la réaction de 11 avec un excès de sulfure de sodium. En bleu : 11 seul ; en rouge: après 5 min de réaction avec le sulfure de sodium à

TA ; en vert: après une heure de réaction à 175°C.

Partant de cette hypothèse, nous avons cherché à effectuer la seconde substitution nucléophile aromatique. Par suivi de la réaction en RMN, nous avons pu montrer que la deuxième attaque d’un sulfure ne s’effectuait qu’à une température d’au minimum 170°C. Après une heure de chauffage à 175°C, nous avons obtenu un spectre RMN 1H cohérent avec la formation du produit 10-Na (Figure III.14 en vert). Deux signaux à 5,43 et 4,90 ppm qui intègrent chacun pour deux protons,

Chapitre III : Complexes neutres de Pt(II) à organométalloligand o-dithioquinonoïdes

77 correspondent au cycle homo-o-disubstitué. Un singulet à 1,62 ppm (non visible sur la figure) intègre pour quinze protons et correspond au Cp*. Le fort blindage des protons du cycle -métallé par rapport à 11 semble corroborer l’hypothèse d’une coordination via un mode 4

. Ce décalage vers les hauts champs accompagnant le passage d’une coordination d’un mode 6

à 4

a en effet déjà été observé par notre équipe lors de la synthèse de l’organométalloligand o-quinonoïde [Cs][Cp*Ru(4

-C6H4O2)].[26]

Ayant ainsi déterminé les conditions réactionnelles permettant la formation de 10-Na, nous pouvions alors effectuer la réaction sur des quantités plus importantes. Le chloroarène métallé 11 est mis à réagir avec un large excès de sulfure de sodium dans le DMSO. Après une heure de chauffage à 175°C, le solvant est évaporé sous vide. Le résidu en résultant est alors extrait à l’acétonitrile puis filtré sur célite pour retirer l’excès de sulfure de sodium. Une solution brune de 10-Na dans l’acétonitrile est alors obtenue. Le complexe 10-10-Na n’a pas pu être isolé, se dégradant rapidement en solution ainsi qu’à l’état solide. Il a pu néanmoins être piégé par divers briques de platine(II) pour former des complexes qui confirment sa formation comme nous allons le voir dans la partie suivante.

III.2.2 Synthèse des assemblages.

Disposant de l’organométalloligand 10-Na en solution dans l’acétonitrile, nous avons pu le faire réagir avec plusieurs briques de platine cyclométallées pour donner différents composés hétéro-bimétalliques.

Afin d’étudier la modulation du ligand cyclométallant sur les propriétés optiques, nous avons appliqué la même méthodologie à quatre ligands de type (C^N) qui seront appelés par la suite La-d

(Schéma III.2 en bas). Le ligand La est la 2-phenylpyridine (ppy), le ligand aromatique de type C^N cyclométallant le plus commun. Le ligand Lb (2-(2,4-difluorophenyl)pyridine, dfppy) permettra de voir ou non l’influence de la fonctionnalisation du cycle phenyl par des groupements électroattracteurs. Enfin, les ligands Lc (benzoquinoline, bq) et Ld (dibenzoquinoline, dbq) permettront de mesurer l’influence de la conjugaison dans des systèmes -étendus. Dans un premier temps, ces ligands sont mis à réagir avec un sel inorganique de platine(II) pour former les dimères cyclométallés [(La-d )-Pt-(µ2-Cl)]2. Cette réaction bien connue dans la chimie du platine(II) a été décrite par Lewis et son

[26] Damas A., Ventura B., Moussa J., Degli Espoti A., Chamoreau L.M., Barbieri A., Amouri H., Inorg. Chem.,

Chapitre III : Complexes neutres de Pt(II) à organométalloligand o-dithioquinonoïdes

78 équipe [27] et consiste à chauffer les réactifs pendant une nuit dans un mélange ethoxyéthanol/eau (Schéma III.3). Les dimères sont obtenus par simple filtration et lavage à l’eau sous la forme de solides jaune pâles avec des rendements supérieurs à 70%.

Schéma III.3 Synthèse des briques de platine(II) cyclométallées présentant deux sites de coordination solvatés.

Dans un second temps, la réaction dans l’acétonitrile de ces dimères avec le triflate d’argent donne, après filtration du chlorure d’argent formé, les briques solvatées. Les deux molécules d’acétonitrile constituent deux ligands suffisamment labiles pour être substitués par l’organométalloligand 10-Na. Ainsi, à la solution d’organométalloligand 10-Na sont ajoutées celles des briques solvatées [(La-d)Pt(MeCN)2][OTf] (Schéma III.4). Après quelques secondes d’agitation, des précipités apparaissent. Après filtration de ces derniers et lavages à l’acétonitrile et au diethylether, les complexes hétéro-bimétalliques [10-Pt-La-d] 12a-d sont isolés sous la forme de solides jaunes-ocres avec des rendements allant de faibles à moyens.

Chapitre III : Complexes neutres de Pt(II) à organométalloligand o-dithioquinonoïdes

79 Schéma III.4 Synthèse des assemblages 12a-d.