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Je souhaite écrire à présent une synthèse des résultats que j’ai pu obtenir à la suite des entretiens et de leur analyse. Je me focalise ainsi sur les quelques éléments qui ont particulièrement retenu mon attention.

8.1 L’″entre″ métis

Le premier élément que j’avais envie de souligner est la difficulté pour les personnes métisses interviewées de trouver un endroit où elles ne se sentent pas étrangères. Au fond d’elles, elles se sentent appartenir à cette Suisse qui est leur terre de naissance mais ce sentiment de non appartenance à la société viendrait de la population et du regard posé sur elles. Je me sens proche des témoignages d’Amina et de Roxanne qui se positionnent, socialement parlant, en tant qu’être étrangère dans leurs deux pays d’origine ; en Suisse, la personne métisse peut être considérée comme noire et en Afrique, comme une toubab, c’est-à-dire une blanche. Cette impression d’étrangeté peut être assez déstabilisante lorsque la personne métisse se cherche et tente de se rapprocher de ses racines. Elle peut alors se sentir appartenir ni à la Suisse ni à l’Afrique et avoir l’impression de représenter un entre-deux (Roxanne, Amina) : ″ne représentons-nous qu’un entre-deux ? N’existe-il pas de qualificatif pour définir les personnes avec deux origines ?″ Cet entre-deux fait partie de la complexité métisse où l’individu, en essayant de construire son identité culturelle, passe par des moments de questionnement et il se rend compte que de par son mélange culturel, il est entre deux sociétés, deux pays, deux continents ; mais que représente cet entre ? Est-ce le vide ou le plein de quelque chose ? Dans ce cadre-là, l’entre représente une caractéristique spatiale où la personne métisse a le ″cul entre deux chaises″. Cela montre alors la distance séparant deux signifiants, deux mondes. Cette disposition peut créer un conflit ou une tension interne car l’être métis se rend compte qu’il ne parvient pas à être l’un et l’autre en même temps, mais en alternance, ce qui peut entraîner des doutes et des questionnements sur la personne que l’on est, réellement.

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8.2 Transhumance culturelle

En reprenant ce qui a été dit précédemment, le métissage ne serait se réduire à cette spécificité de l’entre. Comme deuxième élément de cette syntaxe analytique, je souligne l’existence d’autres situations métisses où l’individu métis parvient à vivre et évoluer avec ses deux cultures qui forment alors un côte à côte. Ainsi, au sein d’un même être humain, deux composantes culturelles se rencontrent et dialoguent sans pour autant créer de conflits et d’affrontements (Linda, Angie). Elles forment alors un Moi pluriel, un Moi où cohabitent différents univers sans que se crée une quelconque hiérarchisation des cultures où l’une deviendrait souveraine.

Ce côte à côte fait alors naître des va-et-vient entre assimilation et rejet de ses deux cultures.

Dans le cas des récits des cinq personnes interviewées, ces mouvements ont été observés, et ce, dès le plus jeune âge, avec un focus sur la culture africaine. Dans certains cas (Linda et Roxanne), l’évolution et l’acceptation de cette origine se sont faites petit à petit, en grandissant et en construisant sa propre identité culturelle. Ainsi, ces jeunes femmes métisses parviennent à déclarer, aujourd’hui, qu’elles ne se sentent pas plus appartenir à l’une ou l’autre des cultures ou qu’elles ne se sentent pas entre ces deux cultures. Angie dit être 100%

suisse et 100% angolaise, quant à Linda, elle affirme être 100% métisse. Chacune à sa manière a pu trouver sa place au sein de la société suisse tout en étant une personne à part entière et parfaitement complète avec ses particularités qui la rendent unique.

Une personne métisse ne devrait pas être contrainte de faire un choix entre ses deux origines ; elle apprend à vivre avec et à les gérer au mieux afin de pouvoir évoluer au sein de la société.

Les données récoltées auprès des interviewées donnent des indices quant à leur situation par rapport à leurs deux cultures. Elles laissent supposer que plusieurs cas de figure sont possibles ; dans un premier cas, la personne fait son ″bricolage″ culturel avec ses deux origines ce qui aboutit à une nouvelle culture émanant d’une rencontre dont les éléments culturels utilisés sont encore visibles. Dans un autre cas, l’individu parvient à créer une cohabitation avec ses deux cultures valorisées et reconnues et tend vers l’une puis vers l’autre sans qu’aucune des deux ne soient minimisées ; se crée alors une sorte de jeu fait d’alternance culturelle. Dans tous les cas, s’il y a intervention de l’autre qui impose sa manière de penser et bloque la personne dans une de ces cultures, les mouvements d’alternance sont moins aisés à effectuer et engendrent des tensions ; ainsi, ils laissent des traces indélébiles sur le chemin de

83 chaque être métis qui apparaissant comme des cicatrices se refermant parfois difficilement suivant l’expérience vécue.

8.3 Diversité dans l’identité ″métisse″

Le dernier point important et principal qui ressort de ces rencontres est la diversité des récits et donc des expériences vécues par chaque personne métisse. Malgré le fait que nous ayons plusieurs paramètres en commun, tels que les origines européenne et africaine, la couleur de la peau et le parcours scolaire pour certaines, nous sommes toutes différentes et avons vécu ou vivons notre métissage de manière dissemblable. Le chemin de vie d’un individu métis peut parfois croiser celui d’un autre mais finalement, leur trajectoire ne se ressemblera jamais. Leur seul point commun est peut-être les caractéristiques de leur parcours qui ne se veut pas logique, linéaire et sans obstacles ; suivant les rencontres faites, la trajectoire initiale peut être chamboulée et ainsi modifiée.

Sur cette route, chacune des personnes interviewées a pu croiser et faire connaissance avec différents phénomènes ; ainsi, elles ont pu rencontrer l’humiliation, le défi, la revendication culturelle, l’amitié, diverses cultures, le doute, le sentiment d’appartenance, le rejet, la découverte, ou encore le ″voyage intérieur″. Ce ne sont que quelques exemples qui sont ressortis des témoignages des jeunes femmes interrogées et avec lesquels j’ai pu faire des liens avec mon histoire de vie. Ces différentes rencontres énoncées précédemment ont été vécues de manière distincte par chacune d’entre nous et les conséquences nous ont donc amenées à poursuivre notre route mais en suivant des trajectoires dissemblables ou opposées, suivant les personnes.

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