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Synthèse à l’interface entre deux liquides

Partie III : Fabrication et caractérisation

B) Synthèse à l’interface entre deux liquides

L’utilisation de l’interface entre deux liquides afin de fabriquer des structures intégrant des différents types de nano-objets a été largement explorée dans la littérature. Un système composé de deux liquides non-miscible peut exister sous différents états. A l’équilibre thermodynamique, le système présente deux phases séparées. Après agitation mécanique, on observe la formation d’une émulsion. La structure de l’émulsion obtenue dépend alors de la fraction de volume relative des différents liquides en présence. Le liquide ayant la fraction de volume majoritaire présente une phase continue dans laquelle est intégré le liquide présent en fraction de volume minoritaire sous forme de gouttes de taille variable. La quantité d’énergie cédée au système lors de la phase d’émulsification influence directement la taille des gouttes intégrées dans la phase continue [4, 5]. En absence d’agent stabilisant à l’interface entre les deux phases ou d’un apport d’énergie continue, les émulsions sont intrinsèquement instables et tendent à retourner vers un état présentant deux phases séparées sur des périodes variables. Ce changement est associé à la minimisation de la surface de contact entre les deux liquides à volume total constant et à la diminution d’énergie interne associée.

L’intercalation de nano-objet ou de molécules (surfactant) à l’interface entre deux liquides non miscibles permet d’augmenter la stabilité de l’interface entre les deux liquides en réduisant leur surface de contact commune [6]. La variation d’énergie interne associée peut être obtenue, en première approximation, sur la base d’argument géométrique simple. Il suffit de considérer, pour une interface plane, la variation de la surface de contact entre les deux liquides en fonction de la distance de la nanoparticule à l’interface et de la géométrie de la nanoparticule (figure 2). Pour une nanoparticule de volume fixé, l’énergie diminue selon qu’on considère respectivement un objet sphérique, tubulaire ou planaire. La position de la nanoparticule relativement à l’interface est déterminée par le rapport des tensions de surface entre les deux liquides. La diminution d’énergie associée à l’intercalation des nanoparticules à l’interface est supérieure de plusieurs ordres de grandeur à l’énergie associée aux fluctuations thermiques à température ambiante (E=kBT), l’intercalation de nanoparticules à l’interface entre deux liquides permet donc la fabrication d’émulsion présentant une stabilité plus élevée dans le temps.

Figure 2 : Différentes configurations possibles pour un objet à l’interface entre deux liquides selon le

rapport des tensions de surface des deux liquides. Dans le cas de l’eau et du chloroforme, l’énergie de surface plus élevée du chloroforme par rapport à l’eau induit un déplacement de la nanoparticule vers l’eau.

L’utilisation d’agents stabilisants (nano-particules ou surfactants) peut fortement modifier la morphologie des émulsions obtenues et stabiliser la fraction de volume liquide majoritaire comme phase

discontinue si sa viscosité est suffisamment élevée (phénomène utilisé pour réduire la viscosité d’émulsion de pétrole en solution aqueuse et faciliter son transport par exemple).

Après fabrication du film, plusieurs méthodes, que nous détaillerons dans les parties suivantes, permettent son transfert sur substrat. Le transfert peut se faire verticalement ou horizontalement. Le substrat peut être approché de l’interface liquide-liquide par le haut ou par le bas. Le choix de la direction d’approche dépend des interactions entre les différents liquides traversés et le substrat. Si des molécules de solvant sont adsorbées à la surface du substrat lors de son immersion, la présence d’une fine couche de molécules adsorbées peut empêcher le transfert des couches de nanotubes depuis l’interface liquide-liquide vers la surface du substrat.

B.1) Dans un système à l’équilibre

Comme dit précédemment, l’adsorption de nano-objets à l’interface entre deux liquides non-miscibles est un phénomène présent dans la plupart des systèmes biphasiques dont une phase au moins intègre des nano-objets. Ce phénomène peut être exploité afin de fabriquer des films fins de nano-objets. La formation de film peut s’opérer sur différentes interfaces du système considéré (liquide/liquide, liquide/air et liquide/solide) selon les rapports de tension interfaciale entre le contenant, les liquides en présence et les nano-objets utilisés.

Comme dit dans la section matériaux, les nanotubes utilisés forment des dispersions stables à concentration relativement élevée (0,1 wt %) dans le chloroforme. Il est donc intéressant d’étudier le comportement des nanotubes à l’interface entre les deux liquides ainsi que la possibilité de former des films fins à l’interface entre la dispersion de chloroforme et de l’eau distillée. Dans le cas d’un système biphasique ou d’une émulsion réalisée à partir d’eau distillée et d’une dispersion de nanotubes dans du chloroforme, étant donnée la différence de tension de surface entre l’eau et le chloroforme les nanotubes sont adsorbés du côté chloroforme de l’interface avec un angle de contact supérieur à 90° (figure 2). Un premier essai a été réalisé en déposant 0,5 mL d’une dispersion de MWCNT/chloroforme haute concentration au fond d’une fiole par-dessus laquelle on vient déposer 3 mL d’eau distillée. Un fragment de lame de verre est alors introduit verticalement dans la solution par le haut à l’aide d’une pince jusqu’à être partiellement immergée dans la dispersion de chloroforme puis retirée. L’observation des fragments de lame de verre au microscope optique ne permet pas de mettre en évidence la présence de fragments de films ou d’agglomérats visibles de nanotubes à leur surface.

Plusieurs hypothèses permettent d’expliquer l’absence de film visible sur le fragment de lame de verre. (1) Etant donnée la différence de tension de surface entre l’eau et le chloroforme, la surface de contact entre la lame de verre et les nanotubes est limitée lors d’une approche à travers la phase aqueuse. (2) La présence de groupe polaire à la surface de la lame de verre peut forcer l’adsorption d’une fine couche d’eau à la surface lors du transfert, ce qui empêche le contact entre le réseau de nanotubes et la lame de verre à l’interface. (3) Le réseau de film de nanotube déposé à la surface de la lame de verre est trop fin ou trop fragmenté pour une observation au microscope optique ou à l’œil nu. De plus l’opacité de la dispersion de chloroforme empêche l’observation visuelle de la formation de film à l’interface.

Un second essai a été réalisé en utilisant une solution moins opaque et en considérant l’utilisation d’un solvant afin de déstabiliser l’interface entre les deux films dans l’idée d’accélérer l’adsorption de particule à l’interface et la formation de film en suivant l’idée développée par J. Matsui et al. [7]. 0,5 mL de MWCNT dispersés dans du chloroforme à une concentration approximative de 0,02 wt% sont déposés au fond d’une fiole puis recouvert de 3 mL d’eau distillée. Une faible quantité d’acétone est alors transférée à l’aide d’une pipette directement dans la dispersion de nanotubes. Directement après injection, le système est fortement perturbé et la délimitation de l’interface entre les deux liquides n’est

plus clairement visible. Dans le même temps, on observe l’apparition de structures dans un volume situé autour de la position initiale de l’interface. Après quelques secondes, l’interface entre les deux liquides réapparaît. Les structures s’alignent alors sur l’interface. On observe alors une mobilité importante de ces structures le long de l’interface et l’apparition progressive de structures assimilables à des fragments de film résultant probablement de la coalescence des agglomérats à l’interface. En répétant le processus d’injection de l’acétone dans la dispersion de nanotubes, des agglomérats supplémentaires sont adsorbés aux interfaces liquide-liquide et liquide-solide en contact direct avec la dispersion de nanotubes. En répétant le processus d’injection plusieurs fois, on finit par obtenir un film continu tel que celui montré sur la figure 3. La suppression temporaire de l’interface peut s’expliquer en considérant la variation de miscibilité de l’eau dans la solution chloroforme/acétone et du chloroforme dans la solution eau/acétone directement après injection de l’acétone. La mobilité des structures à l’interface entre les deux liquides après sa reformation pourrait être due à un effet Marangoni associé à la diffusion de l’acétone dans la phase aqueuse et au gradient de tension de surface associé. Un essai de transfert sur un fragment de lame de verre a été réalisé de la même façon que précédemment en approchant le fragment de verre verticalement dans la fiole depuis la surface mais aucun dépôt n’est visible sur la lame de verre après transfert. En considérant la figure 3, on peut observer que l’interface liquide-liquide présente une courbure continue de sa surface, ce qui tend à minimiser la surface de contact avec la fiole en verre et pourrait être la résultante d’une affinité beaucoup plus faible du film interfacial fabriqué pour le contenant en verre que pour la solution eau/acétone. Dans le même temps, le verre étant polaire, la formation d’une couche fine de nanotube en contact direct avec sa surface n’est pas favorable en considérant les interactions électrostatiques et les forces de van der Waals.

Figure 3 : Synthèse d’un film à l’interface entre l’eau distillée et la dispersion MWCNT/chloroforme après

introduction d’une goutte d’acétone dans la phase inférieure.

B.2) Dans une émulsion

L’application de contraintes mécaniques à un système biphasique conduit à la formation d’une émulsion dont la structure dépend des fractions de volume des deux liquides et de l’énergie cédée au système. En présence de nanoparticules, ce comportement est modifié selon les affinités relatives des nanoparticules avec les deux phases liquides. Les émulsions stabilisées par l’utilisation de nanoparticules sont appelées émulsions de Pickering. Lors de la fabrication d’émulsions de Pickering avec des nanotubes de carbones, si ceux-ci sont initialement dispersés dans une des phases, ils s’alignent préférentiellement dans la direction parallèle à l’interface entre les deux liquides [8,9]. Si les nanotubes ne peuvent être dispersés dans aucun des deux liquides, l’émulsion est stabilisée par la présence d’agglomérats de nanotubes sans orientation définie aux interfaces [10]. La stabilisation de l’interface par les nanotubes est suffisante pour inhiber complètement l’inversion de phase normalement observée pour des fractions de volumes de 50% [11].

Les émulsions ont été fabriquées en préparant un système biphasique contenant 90 vol % d’eau et 10 vol % de dispersion de chloroforme. Le système transféré dans une fiole est placé dans un bain à ultrasons 15 minutes à une puissance de 150 W et 21 °C afin de former l’émulsion telle que montrée sur la figure 4.a. L’émulsion est composée de 3 phases superposées. De bas en haut : une phase transparente sans nano-objet, une macro-émulsion opaque composée de gouttes de quelques centaines de micromètres de dispersion de nanotubes / chloroforme insérées dans une phase aqueuse en une structure resserrée, et une micro émulsion blanchâtre composée de gouttes de diamètre inférieur à 100 µm (figure 4.c).

Après retrait de l’émulsion du bain de sonication, on dépose deux gouttes d’acétones à la surface du liquide, ce qui inhibe le changement de couleur au voisinage de la surface, tel que montré sur la figure 4.b. L’ajout d’acétone supplémentaire permet de libérer plus de structure à la surface du liquide jusqu’à formation d’un film continu à la surface.

Une image en microscopie optique de la surface de la phase supérieure en contact avec l’air est montrée sur la figure 4.c et permet de confirmer que la couleur blanchâtre est bien due à la présence de microgouttes et non à une dispersion colloïdale. Suite à l’introduction de l’acétone à la surface, on observe par réflexion lumineuse l’apparition de structures microscopiques à la surface du liquide. L’ajout de gouttes d’acétone supplémentaires permet l’apparition d’un nombre plus important de structure à la surface ainsi que la coalescence de ces structures sous formes de dendrites puis sous forme de films continus telles que montrées sur la figure 5.

Figure 4 : Emulsion d’une dispersion de chloroforme/nanotube multi-parois dans de l’eau. (a) après 15

minutes de sonication à 150 W, (b) après sonication et transfert de deux gouttes d’acétone à la surface. (c) image en microscopie optique de micro-gouttes à la surface de l’émulsion.