• Aucun résultat trouvé

1.3 Le syndrome de Gilles de la Tourette

Cette section est consacrée à la présentation du syndrome de Gilles de la Tourette (SGT), une pathologie répertoriée par les neurologues comme maladie du mouve-ment. Une des causes de cette pathologie serait un dysfonctionnement cortico-sous-cortical. La première partie de cette section est consacrée aux aspects cliniques et physiopathologiques du SGT (partie1.3.1). Les connaissances apportées par les mo-dalités d'IRM sont présentées en deuxième lieu (partie1.3.2).

1.3.1 Clinique et physiopathologie du syndrome de Gilles de la Tourette

1.3.1.1 Aspects cliniques

Le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) est une pathologie décrite en 1885 par le neurologue et physicien français Georges Albert Édouard Brutus Gilles de la Tourette (1857-1904). Il s'agit d'une pathologie classée par les neurologues comme une pathologie du mouvement, à l'interface entre la neurologie et la psychiatrie. Une des particularités de ce syndrome est la diversité des symptômes observés chez les patients. Néanmoins, la présence de tics, qui sont des mouvements anormaux involontaires et répétitifs, en est la première caractéristique. La plupart du temps, les tics moteurs sont les premiers à apparaître et débutent par le haut du corps, comme par exemple le visage (clignement des yeux, toux, raclement de la gorge, mouvements faciaux...), le cou ou les épaules. Les tics vocaux, comme la coprolalie (émission de grossièretés) ou l'écholalie (le fait de répéter) n'apparaissent en premier que chez moins de 20% des patients. D'après la revue [Hartmann et al. 2011], l'appa-rition des tics doit être  brève, soudaine, non rythmique, involontaire, stéréotypée et répétitive, dont la présentation (plasticité des tics), la fréquence (périodes d'exa-cerbation entrecoupées de rémissions, évolution en dents de scie) et la complexité sont extrêmement variables d'un patient à l'autre et au cours de leur vie . Des études approfondies de ce syndrome se trouvent dans le rapport réalisé par Sylvain Chouinard et François Richer de l'Hôtel-Dieu du Centre Hospitalier de l'Université de Montréal (Canada)3, ainsi que dans la thèse de doctorat du Dr Yulia Worbe [Worbe 2010].

Les patients atteints du syndrome de Gilles de la Tourette voient les tics ap-paraître durant l'enfance (vers 5-7 ans) avec une sévérité qui peut varier de légère (seulement des tics, à faible fréquence) à très sévère (avec addition de symptômes tels que les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), les troubles de l'attention, de

34 Chapitre 1. Contexte : les boucles cortico-sous-corticales du cerveau l'agressivité, des troubles d'hyperactivité avec décit de l'attention (TDAH)). Les TOC, plus présents dans la population féminine que masculine, se traduisent par une idée obsessionnelle qui est souvent liée à un besoin de perfection (par exemple, le fait de se laver les mains plusieurs fois d'alée, de vérier à plusieurs reprises que la serrure de la voiture/maison est bien fermée... ). Le TDAH est, lui, plus présent chez les patients masculins. Les tics peuvent être canalisés par le patient durant une courte durée (variant suivant la sévérité des tics) au prix d'une forte concen-tration. Cependant, à la suite de cette période, un phénomène de rebond apparaît avec une augmentation importante des tics. Les tics sont souvent accompagnés de pensées ou sensations prémonitoires à caractère désagréable, l'expression du tic pro-curant un soulagement et un arrêt de ces pensées/sensations désagréables. Dans les cas d'association entre tics et TOC, on suppose que le tic soulage l'anxiété générée par le TOC. Cela laisse entendre que le cadre environnemental et le stress jouent un rôle important dans le développement et la sévérité de la maladie. Au cours de l'adolescence, les symptômes s'aggravent puis, à l'âge adulte, ils s'améliorent, une rémission complète des tics peut même être observée. En eet, seuls 20% des pa-tients diagnostiqués dans l'enfance gardent un handicap sévère à modéré à l'âge adulte [Bloch et al. 2006]. La prévalence du SGT est de 1% de la population et une prédominance masculine est constatée (4 garçons/hommes pour une lle/femme). Du fait que les symptômes sont plus importants durant l'enfance et l'adolescence qu'à l'âge adulte, où les signes peuvent disparaître, les enfants ont une probabilité jusqu'à 20 fois plus élevée que les adultes d'être considérés comme atteints du SGT. Une manière de quantier la sévérité des tics est l'emploi d'une échelle de sévérité établie dans l'Université de Yale aux États-Unis (YGTSS : Yale Global Tic Severity Scale) [Leckman et al. 1989]. Plus la valeur du score YGTSS est élevée chez un patient, plus il est atteint du SGT de manière sévère.

À ce jour, aucun traitement ne soulage durablement et de manière ecace les patients atteints du SGT. Néanmoins, des traitements à base de neuroleptiques peuvent être proposés.

1.3.1.2 Diagnostic du syndrome de Gilles de la Tourette

Les critères de diagnostic des patients atteints du SGT, d'après le DSM IV TR (quatrième édition du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux [Association 1994]), sont les suivants :

 présence de tics moteurs multiples et d'un ou plusieurs tics vocaux, à un moment quelconque au cours de l'évolution de la maladie, mais pas nécessai-rement de façon simultanée ;

1.3. Le syndrome de Gilles de la Tourette 35  les tics surviennent à de nombreuses reprises au cours de la journée (généra-lement par accès), presque tous les jours ou de façon intermittente, pendant plus d'une année durant laquelle il n'y a jamais eu d'intervalle sans tics de plus de trois mois consécutifs ;

 la perturbation entraîne une sourance marquée ou une altération signica-tive du fonctionnement social, professionnel, ou dans d'autres domaines im-portants ;

 début avant l'âge de 18 ans ;

 les tics ne sont pas dus aux eets normaux d'une substance (par exemple des stimulants) ni à une aection médicale générale (par exemple, la chorée de Huntington).

D'après [Robertson & Baron-Cohen 1998], on peut distinguer trois types de pa-tients atteints du syndrome de Gilles de la Tourette :

 Le SGT  simple  pour les patients ne présentant que des tics moteurs et vocaux simples (par exemple toux, raclement de la gorge, haussement des épaules... ) ;

 le SGT  complet  dans le cas de patients ayant des tics moteurs et vocaux complexes (il s'agit de séquences motrices, de gestuelles ou de phrases nor-males, mais placées dans un contexte non adapté) ;

 le SGT  plus  lorsque l'on associe aux tics des troubles psychiatriques (comme les TOC).

Dans la suite de cette thèse, lors de la phase d'étude de ces patients, nous conser-verons cette distinction an de caractériser leurs boucles cortico-sous-corticales par l'imagerie.

1.3.1.3 Aspects physiopathologiques

D'un point de vue physiopathologique, il est suggéré que l'hétérogénéité cli-nique des symptômes du SGT résulte de dysfonctions des diérents circuits cortico-sous-corticaux [Mink 2003], probablement en raison d'un mécanisme aber-rant lors du développement neuronal [Kalanithi et al. 2005, Kataoka et al. 2010]. [Kalanithi et al. 2005] ont en eet montré que le nombre de neurones de projection dans le pallidum interne serait plus élevé chez les patients atteints du SGT que chez les témoins (gure 1.16), alors que pour le noyau caudé, le pallidum externe et le putamen, le nombre de neurones de projection serait plus faible chez les patients que chez les témoins. De plus, il a été suggéré que les circuits fonctionnels cortico-sous-corticaux sensorimoteur, associatif et limbique pourraient contribuer spéciquement

36 Chapitre 1. Contexte : les boucles cortico-sous-corticales du cerveau à diérentes expressions cliniques du SGT, comme les tics simples et complexes, ou les co-morbidités psychiatriques [Worbe et al. 2010].

Figure 1.16  Pourcentage de neurones de projection par noyau gris central chez les témoins (à gauche) et chez les patients atteints du SGT (à droite), pour le noyau caudé (Cd), le GPi, le GPe et le putamen (Pt). Source : [Kalanithi et al. 2005].

1.3.2 Le syndrome de Gilles de la Tourette en IRM

Les aspects cliniques et hypothèses physiopathologiques de la pathologie étant établis dans la section précédente, cette section a pour but de faire un bref état de l'art des études réalisées en imagerie dans le cas du SGT. Nous présenterons les résul-tats mettant en avant un dysfonctionnement des boucles cortico-sous-corticales ou, du moins, présentant des lésions au sein de structures corticales ou sous-corticales. Des études détaillées se trouvent dans le rapport de Sylvain Chouinard et François Richer4 et dans [Worbe 2010]. Nous présentons d'abord les aspects structurels (par-tie 1.3.2.1), puis les aspects de diusion (partie 1.3.2.2) et, pour nir, les aspects fonctionnels (partie 1.3.2.3).

1.3.2.1 Imagerie structurelle

Plusieurs études structurelles en neuroimagerie corroborent l'hypothèse que les tics seraient liés aux boucles cortico-sous-corticales motrices et sensorimotrices [Sowell et al. 2008]. En eet, des études ont montré que l'épaisseur corticale de régions du cingulaire antérieur, de l'insula, et des cortex temporal et pariétal diminuait chez des enfants atteints du SGT [Sowell et al. 2008] par rapport à des enfants témoins, et qu'elle augmentait dans les cortex préfrontal et frontal [Peterson et al. 2001] par rapport à des témoins de 6 à 63 ans. Une diminution du volume du striatum (plus précisément de la tête du noyau caudé et du puta-men) et du globus pallidus a également été rapportée [Peterson et al. 2003]. D'autre

1.3. Le syndrome de Gilles de la Tourette 37 part, la présence de co-morbidités psychiatriques, principalement de TOC et de TDAH, est négativement corrélée avec une augmentation des volumes au sein de structures limbiques comme le noyau caudé [Peterson et al. 2003], l'amygdale [Peterson et al. 2007] ou l'hippocampe [Ludolph et al. 2008].

Cependant, des études en IRM anatomique pondérée en T1 montrent des dié-rences signicatives de volume du striatum et du pallidum chez des patients atteints de SGT comparés à des sujets sains [Hyde et al. 1995, Peterson et al. 2003]. Plus précisément, [Peterson et al. 2003] montrent que le noyau caudé serait signicative-ment plus petit chez les patients atteints de SGT (adultes et enfants) que chez les témoins. De plus, les volumes du putamen et du pallidum seraient également plus faibles chez les patients atteints de SGT et présentant des TOC. Ils concluent que la diminution de volume du putamen et du pallidum serait un marqueur pour la présence de la co-morbidité TOC, et pour la persistance des tics chez les adultes.

Chez l'adulte, une étude de l'épaisseur corticale [Worbe et al. 2010] a permis de séparer les patients en trois catégories correspondant à trois types d'atteinte du syndrome, tel que proposé par [Robertson & Baron-Cohen 1998] (page35), avec des diminutions de l'épaisseur corticale diérentes suivant que les sujets présentent des tics simples, complexes ou associés à une co-morbidité.

1.3.2.2 Imagerie de diusion

[Thomalla et al. 2009] ont montré que les valeurs de fraction d'anisotropie (FA) des gyri pré-central et post-central, de l'aire motrice supplémentaire primaire, et du thalamus postérieur latéral étaient plus élevées chez les patients atteints du SGT que chez les témoins. Pour cela, une analyse voxel à voxel des coecients de FA a été réalisée sur un modèle de tenseur de diusion. [Neuner et al. 2010] ont mis en évidence une diminution de la FA dans les régions du corps calleux, de la capsule interne et du faisceau cortico-spinal.

Chez les enfants atteints du SGT, [Makki et al. 2008] ont montré une diminution de la connectivité anatomique entre le cortex préfrontal dorsolatéral et la partie antérieur du noyau caudé. Cette connectivité a été obtenue grâce à la tractographie probabiliste (Annexe B) et au calcul de la probabilité de connexion entre le noyau caudé et le cortex. De plus, toujours chez les enfants, [Govindan et al. 2010] ont montré que les valeurs du coecient de diusion apparent (ADC) augmentaient au sein du circuit reliant le cortex frontal au striatum, et que cette augmentation corrélait positivement avec la sévérité des tics.

38 Chapitre 1. Contexte : les boucles cortico-sous-corticales du cerveau 1.3.2.3 Imagerie fonctionnelle

En IRMf, [Peterson et al. 1998] ont montré que la suppression volontaire des tics aectait l'activité dans le striatum, le thalamus et le cortex frontal. Lors d'acqui-sitions en IRMf sur 22 patients, ils ont comparé les périodes durant lesquelles les patients devaient réfréner leurs tics avec les périodes durant lesquelles les patients devaient laisser leurs tics apparaître normalement. [Biswal et al. 1998] ont montré que lors de mouvements volontaires répétitifs, on observait une hyperactivation des cortex sensorimoteur et prémoteur. [Stern et al. 2000] ont mis en place une étude an de montrer que l'activité cérébrale était synchronisée à l'apparition des tics dans les régions suivantes : cortex sensorimoteur, prémoteur, préfrontal, cingulaire et pariétal, NGC et insula.

Toutes ces études montrent que les boucles cortico-sous-corticales sont impli-quées dans les symptômes observés chez les patients atteints de SGT.

En IRMf au repos, une seule étude a été publiée à ce jour et concerne les enfants [Church et al. 2009]. Les auteurs mettent notamment en avant le fait que la connec-tivité fonctionnelle serait plus élevée chez les enfants atteints de SGT que chez les enfants volontaires sains dans le lobe frontal, et plus faible dans les lobes pariétal et temporal. Néanmoins, cela n'a pas été vérié chez les patients adultes.

En neuroimagerie métabolique, des dysfonctionnements des systèmes fronto-striés sont mis en évidence dans le SGT. Lors d'une étude en TEMP, [Riddle et al. 1992] ont mis en évidence une hypoactivité striatale chez des enfants. [Drake et al. 1992] ont montré que les mesures eectuées en EEG étaient géné-ralement normales chez des patients atteints du SGT âgés de 10 à 36 ans.