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Chapitre 2 : Les hérétiques et les marchands

2.1 L’hérésie : un regard nouveau sur la façade

2.1.2 Les symboles représentatifs de l’Eucharistie présents sur la façade

L’une des oppositions des hérétiques était le refus de reconnaitre le sacrement de l’Eucharistie. Expliquons maintenant en quoi consiste ce sacrement et quels sont les symboles attribuables et les thèmes bibliques qui y sont associés.

L’Eucharistie fait allusion au sacrifice du Christ et évoque les moments de la Passion du Christ. La croyance chrétienne stipule qu’après la mort du Christ, ce dernier ressuscite. C’est dans la pratique du sacrement de l’Eucharistie que le Christ se manifeste au même titre que lorsqu’il est apparu aux disciples d’Emmaüs ou aux apôtres; c’est seulement la forme dans laquelle il apparait qui est différente (Sagne 2007 : 107). Cette nouvelle forme se manifeste dans la transsubstantiation, c’est-à-dire lorsque le pain et le vin se changent en corps et en sang du Christ. Cela est repris de La Cène, épisode raconté par les quatre évangélistes. Ils ont tous raconté le dernier repas du Seigneur en présence des apôtres où Jésus a rompu le pain en disant : « ceci est mon corps, qui est donné pour vous; faites ceci en mémoire de moi » (Jn 22 : 19). Donc, les scènes bibliques de la Passion rappellent la mort du Christ par crucifixion, sa résurrection, ses apparitions après sa mort, etc. Lors de son dernier repas, il a enseigné aux apôtres comment se souvenir de lui, c’est-à-dire en reproduisant le dernier repas et en reprenant sa gestuelle de rompre le pain et de boire le vin, ce qui est repris dans le sacrement de l’Eucharistie. Ainsi, les symboles de la croix, du calice, du ciboire, de la patène et de tous les objets qui renvoient à la crucifixion (éponge de vinaigre, lance, fouet, clous, etc.) font également référence à l’Eucharistie et à tout ce que les hérétiques rejetaient.

Sur la façade de l’église abbatiale de Saint-Gilles-du-Gard, les historiens de l’art ont déjà fait allusion à plusieurs éléments liés à l’Eucharistie dans le but de mettre de l’avant la valeur de ce sacrement pour l’Église et de rappeler son importance. Ces thèmes, qui ont été largement

traités, sont La Cène97 (Figure 23) et La Crucifixion98 (Figure 5) et sont, en plus, des sujets que nous retrouvons très rarement sur les façades à cette même époque. Mais reste-t-il d’autres éléments cachés sur la façade saint-gilloise qui renvoient à l’Eucharistie? Nous avons déjà mentionné, au chapitre un, le calice que tient l’apôtre lorsque le Christ apparait devant lui (Figure 13.2, 13.3). Nous pouvons affirmer que ce disciple croit en l’Eucharistie, la transsubstantiation, donc la mort du Seigneur par crucifixion. Mentionnons que cette représentation n’est pas précisément un moment rapporté dans la Bible, donc il a dû être modifié à la demande des commanditaires de la façade pour le bien de la cause contre les hérétiques et pour renforcer la croyance des dogmes chrétiens. De plus, derrière cet apôtre, se trouve la scène où les femmes sont venues dire aux disciples que le Christ est ressuscité. Dans le passage biblique, rappelons que les disciples ne croyaient pas, au départ, aux propos rapportés par les femmes et c’est pourquoi, sur la façade, ils sont représentés dos à l’apparition du Christ (Figure 13, 13.1, 13.2, 13.3). Sur le portail méridional, il y a en plus deux autres apparitions du Seigneur : Noli me tangere (Figure 10, 10.1) où Jésus est représenté comme un miroir à cette autre scène d’apparition que nous venons de décrire située directement en face (Figure 13.2) et Les pèlerins sur le chemin d’Emmaüs (Figure 14, 14.1). Ce total de trois apparitions de Jésus après sa mort concentrées sur un même portail est sans doute significatif, quoiqu’inhabituel. Ceci met l’emphase sur le fait qu’il est mort sur la croix, ce qui est mis en valeur par La Crucifixion qui se trouve sur le tympan de ce même portail, et qu’il est ensuite ressuscité. Et

97 Nommons quelques exemples d’église où nous retrouvons le thème de La Cène sur la façade : la frise de la

collégiale Notre-Dame-des-Pommiers de Beaucaire (XIIe siècle, située à moins de 25 km de Saint-Gilles), la

cathédrale Saint-Pons de Saint-Pons-de-Thomières (seconde moitié du XIIe siècle, située à moins de 200 km de

Saint-Gilles et à 100 km de Toulouse), l’église Saint-Étienne à Condrieu est située, en France, à environ 250 km de Saint-Gilles. Mentionnons que cette dernière église, sur son tympan et son linteau (datant du XIe siècle), il y a,

en plus de La Cène, une Crucifixion. Même si produit un siècle avant Saint-Gilles, il est intéressant de noter que la mise en scène de La Cène se ressemble entre les deux églises par le drapé de la nappe, l’effet de perspective des jambes, la gestuelle des personnages ainsi que le fait que la personne représentée au centre est penchée sur son voisin. L’église à Condrieu peut sembler loin de Saint-Gilles, toutefois, les deux villes ont accès à un port qui donne sur le Rhône. Il serait intéressant d’analyser les déplacements entre ces deux villes, afin d’y observer si les échanges de styles sont envisageables à cette époque.

98 Nommons quelques exemples d’église où nous retrouvons le thème de La Crucifixion sur la façade : la cathédrale

Saint-Pons de Saint-Pons-de-Thomières en France (seconde moitié du XIe siècle, située à moins de 200 km de

c’est par le sacrement de l’Eucharistie que nous affirmons la présence du Christ ressuscité parmi nous (Sagne 2007 : 108). Également, toutes les scènes de la Passion présentes sur les frises et les linteaux des deux autres portails (Figure 3), rappellent la mort du Christ. Bien entendu, sur le tympan central (Figure 18), Jésus est représenté entouré du tétramorphe lors de l’Ascension, puisqu’il est représenté supporté par des nuages, renforçant ainsi le fait qu’il est mort. Ce dernier sujet est toutefois très fréquent sur les façades, pensons simplement à la cathédrale d’Arles (Figure 20).