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I. première partie : le symbole ; de la linguistique à la littérature

4. Le symbole dans le discours mystique

La poésie soufie se rattache à cette profonde tradition mystique qui recherche un contact spirituel avec une réalité suprême à travers une recherche de soi-même. « La ressemblance entre mystique et poésie ne se limite d’ailleurs pas à une introspection subjective et à un langage lyrique, elles sont, l’un et l’autre exposées, précisément à cause de leur tendances, aux mêmes tentations : la recherche de soi, la complaisons en soi même».41

Il paraît indéniable que l’expérience poétique a contribué puissamment à l’expérience mystique à tel point que la parole poétique semblait indissociable de la parole mystique. Jacques Maritain appelle cette relation de mystique et de la poésie : « Le voisinage, en la même divine source, de l’expérience du poète et celle du mystique ».42 De ce point de vue, on estime que, toute vraie poésie comporte une dimension mystique, et que toute vraie mystique comporte également une dimension poétique.

La poésie reste le moyen d’expression privilégié dans la mesure où la connaissance de l’inconnu ne s’acquiert pas par la logique et la raison. Nous comprenons que celle-ci n’est pas un simple ornement mais un véritable instrument de l’expérience mystique, d’après Habib Sharifi, cet « art poétique, est devenu le moyen privilégié d’une expression philosophique métaphysique » 43 de la mystique de l’Islam.

4. Le symbole dans le discours mystique

4.1 Le discours mystique

Quand on lit un discours mystique, on croit l’avoir compris d’après sa signification habituelle, c’est-à-dire le sens dénotatif des termes symboliques qui se veut objectif. Or, ce discours est toujours connoté dans son propre langage. Il faut donc prendre en considération de tous les niveaux de connotation, historiques, culturels, religieux, littéraires, dans discours mystique.

Cependant, il est souvent difficile de bien saisir avec précision le sens dans le discours mystique. Il évite de dire les choses de façon simple et directe, car La langue ordinaire, dans ces limites, peut causer un malentendu entre l’intention de l’auteur et la

41 MIQUEL Pierre, Op. cit, p40

42 MARITAIN Jacques, Quatre essais sur l’esprit dans sa condition charnelle, Ed Desctée de Brouwer, Paris, 1939, p 142

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compréhension du lecteur. De là, L’herméneutique devient un passage obligé pour réduire le risque de malentendu. L’ambiguïté dans le discours mystique n'est plus un échec, mais une invitation à penser plus et à dire autrement.

En outre, Ce qui peut manquer prioritairement aux lecteurs ordinaires désireux de lire le discours mystique, c’est en plus de la langue poétique ambigüe, la culture partagée des poètes mystiques. Cette culture gouverne la plupart de leurs attitudes, de leurs expériences de leurs écritures, dont les lecteurs ordinaires saisissent mal les mécanismes s’ils ne réfèrent qu’à leur culture savante. La culture partagée est celle qui devrait être acquise par les lecteurs de discours mystique pour que la compréhension ne reste pas limitée à une simple lecture, mais qu’il puisse aller en profondeur afin de connaitre les implicites culturels de ce discours caractérisé par sa richesse langagière.

4.2 Le lexique des auteurs mystiques

Il y a souvent des écrivains qui utilisent les mots connus de la langue poétique, et d’autres créent ou recréent un nouveau lexique particulier, comme l’ont fait les poètes de mystique musulmane après avoir créé une méthode de vie spirituelle toute spécifique et propre. « Le soufisme est un courant de pensée qui possède son lexique, ses principes méthodologiques et ses thèses propres».44 Ceux-ci tentent de rapprocher leur vocabulaire de la langue sacrée. De fait que leur lexique devient un résultat d’un choix. Ce choix naît d’une attention aux mots, d’une conscience des mots et de leurs valeurs qui sont, sans doute, un des traits caractéristiques de la poétique par rapport à la langue ordinaire.

La langue de la poésie se distingue, le plus souvent, de la langue commune par son lexique. Le mystique tente d’éloigner son vocabulaire de la langue commune, car son expérience spirituelle échappe à tous ces mots de langage habituel. « Le poème doit créer, dans et par le langage, une figuration de ce qui échappe aussi bien au sujet, au langage, au monde ».45 « Le choix des mots oblige à laisser de côté des mots réputés communs et à les remplacer par des mots spéciaux, des mots nobles ».46 Là, le lexique de la poésie va de la langue courante aux formes d’expression les plus hermétiques.

44 BEN SAYYID Ali Sayyid Nour, Op. cit. p 7

45 VERDIER Lionel, introduction à la poésie moderne et contemporaine, Ed Hachette, Paris, 2001, p 77

46 MOLINO Jean et Joelle Gardes-Tamine, introduction à l’analyse de la poésie, Ed PUF, Paris, 1992, p 96

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Le mystique tente de traduire ces sensations le plus fidèlement possible en utilisant un vocabulaire choisi qui est limité à un certain nombre de mots préférés par le poète, mots qui contribuent à l’obtention d’un ensemble unitaire représenté par un texte cohérent et cohésif. Mais ceux-ci possèdent une grande valeur sémantique ayant une importante capacité suggestive.

Le mystique, par son propre lexique, a créé un paradigme auquel divers poètes ont contribué à un style nouveau et riche. Ce « vocabulaire poétique va y gagner une signification et une richesse nouvelles, ainsi de nombreux mots ou expressions acquièrent un sens mystique ».47 Il tente encore une fois de choisir des mots où il les mariera de sorte à se rapprocher le plus possible de son expérience mystique qu’il désire partager. Le poète mystique : « Dhul Nun l’égyptien a dit : Le soufi est celui dont le langage, quand il parle, reflète la réalité de son état ».48

Par conséquent, on trouve généralement deux champs lexicaux dominants, celui de la religion, et celui de la nature, c’est leur interprétation à travers le texte qui donnera naissance au sentiment d’un amour pur qui chante l’union avec Dieu et l’univers, où le mystique ne veut pas exprimer ses émotions autant qu’il amène le lecteur à en ressentir, ou plutôt, à en vivre.

Il est bien connu le fait que pour le mystique, le mot ne doit pas représenter, mais suggérer. Nous pouvons affirmer que le lexique du mystique est particulier, unique, caractérisé par des symboles séduisants et des images vibrantes qui flattent agréablement les oreilles et ouvrent des vaques perspectives qui prolongent nos cœurs, nous attirent, et se dérobent, avant même de retenir le sens.

Ce choix de lexique, à la fois poétique et mystique, est la condition nécessaire pour jouir de la profonde révélation de cette poésie spirituelle. Le mystique emploie des termes symboliques spécifiques au registre poétique.

4.3 Le symbole comme moyen

La théorie de symbole dans le discours mystique, qui est en réalité une théorie de la poésie en général, est lourde et riche de conséquences. Cette théorie est liée à certaines

47 SHARIFI Habib . Op.cit. 142

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conceptions historiques et à des convictions philosophiques et religieuses, qui ne sont seulement à sa base mais qui sont devenues ses éléments intégraux. Le symbole comme l'un des éléments de l'expression poétique est compris comme facteur spécifique et acquisition principale de la poésie mystique. Celui-ci est tout d'abord perçu comme un moyen d'évasion pour échapper à l’ordinaire. Il nous importe vers un autre monde, répondant enfin à notre question principale :

Comment exprimer une expérience spirituelle le plus souvent ineffable, Car elle reliée à des réalités invisibles. Sinon par des symboles ? Le symbole, précisément, a pour fonction de faire pointer les réalités du monde phénoménal vers des réalités d’un ordre supérieur, où elles ont leur principe et leur fin.49

On peut considérer le symbole dans le discours mystique comme une représentation du monde divin : le symbole est donc un moyen de passer au-delà. Le poète à travers le symbole va du monde terrestre au monde céleste. Toute réalité n’est qu’un symbole à interpréter pour connaître des mondes cachés et spirituels. Les mystiques ont décidé de confronter l’impossible tâche de dire l’ineffable. De cette manière, le symbole, pour eux, joue en quelques sortes un rôle de contact avec le monde invisible où le langage ordinaire ne peut jeter ses pas.

Il est vrai que celui qui a vécu une telle expérience spirituelle se trouve devant une difficulté à l’exprimer dans des mots ordinaires. Cet obstacle pousse le poète mystique à chercher pour trouver des moyens d’exprimer un infini dans la limitation de la langue habituelle. Par conséquent, Il a trouvé refuge dans des symboles qui vont de son langage à son cœur, et de son cœur à son langage agréablement mystique. Symboles dansants, et images ivres, se mêlent, et s’unissent avec leur propre expérience spirituelle. : « Le langage mystique exprime une expérience symbolique, ce n’est pas seulement l’expression de l’expérience mystique qui a recours au symbole comme un genre littéraire plus adéquat que le concept, c’est l’expérience elle-même ».50

Ils introduisaient donc le symbole en tant qu'élément principal de leur poésie. Proclamant qu'elle devrait avoir un caractère musical et qu'au lieu de dire directement ne

49 56 GEOFFROY Eric, Un éblouissement sans fin, la poésie dans le soufisme, Seuil, Paris, p 67

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devrait que faire allusion. « Son symbolisme reste toujours métaphysique. Il n'est pas représentation, mais allusion ou signe ».51

Le discours mystique contient un bon nombre de symboles qui ont pour but de faire allusion ou de donner un signe spirituel d’un sujet qui dépasse la réalité et la compréhension humaine, il est intéressant de constater que les symboles y sont souvent présents. Le mystique, comme le poète, tend souvent au silence, la parole et l’écriture le trahissent toujours. Cependant, il fait appel aux symboles pour transmettre son expérience mystique. « Si tu ne veux pas trop discourir et tu ne veux pas cerner l’idée et la définir ou parler d’une chose sans la dire c’est au symbole qu’il faut recourir».52

Le mystique entreprend le voyage spirituel de l’âme dans une voie entourée des symboles. Ces instruments de transfert privilégiés pour passer du visible à l’invisible, d’un univers à un autre, est d'un rôle assez séduisant à la vie spirituelle du soufisme. « Le soufi vit ainsi dans un univers de symboles ».53

4.4 Symboles inspirés du Coran

Les auteurs mystiques attachent une importance toute particulière aux symboles religieux.

4.4.1 Marie

Marie est la seule femme qui était mentionnée explicitement Dans le Coran, Dieu a réservé à elle une sourate toute entière qui porte son nom, alors qu’une dizaine d’autres porte des noms de leurs époux, des prophètes dans la plupart des cas.

Nous lisons dans le Coran : « Rappelle dans l’écris Marie, lors elle s’isola des siens dans un lieu oriental ».54 Marie est considérée comme l’une des femmes les plus saintes et les plus pures de toutes les histoires religieuses. « Son nom revient souvent dans les oraisons que le fidèle peut entendre ».55 Les oraisons qui signifient dans le langage

51MEYEROVITCH Eva De Vitray, Op. cit, p 65

52NOURI Tayeb : Ibn Arabi : poésie et mystique soufi, Ed Lulu, Paris, 2015, p 72

53 BONAUD Christian , Le soufisme, Al-tassawof et la spiritualité islamique. Ed Maisonneuve et Larose,

1991 p 19

54Coran (19 : 16)

55 CHEBEL Malek, Dictionnaires des symboles musulmans, rites, mystique et civilisation, Ed Albin Michel, Paris, 1995, p 260

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mystique, une communication de l’âme avec Dieu, sans entremise d’une formule de prière.

Marie, Une femme dont la présence requiert une signification symbolique qui mérite d’être élucidée : « comment dit-elle aurais-je un garçon, quand nul époux ne m’a touchée et que je ne suis pas une gaupe ».56 Son statut en tant que symbole de la pureté, et de la virginité divine, n’a pas manqué d’attirer l’attention du soufi qui la considère comme : « le but suprême de la quête mystique».57

4.4.2 Arbre

Le Coran emploie souvent, le symbole de l’arbre, Pour désigner l’homme « La symbolique de l’arbre en Islam a été inaugurée par le Coran et par le corpus des hadiths. Si l’arbre en général symbolise l’Homme en quête d’un destin meilleur » 58

Tantôt, Un homme de bien, pareil à un bon arbre qui se dresse debout vers les ciels, bien planté en terre, avec des branches sur lesquelles les fleurs et les fruits réjouissent l’œil et le goût. « N’as-tu pas considéré comment Dieu tire semblance d’une parole bonne ? Ainsi du bon arbre dont la racine est ferme, la ramure dans le ciel ».59 Tantôt, un homme de mal, pareil à un mauvais arbre, avec des épines au lieu de fruits : « Et la semblance (tirée) d’une parole néfaste est celle d’un arbre néfaste qui s’arrache de la croûte de terrain, faute d’assises ».60

En outre, Le Coran assimile toujours l’homme à un arbre, Dieu ne lui donnera dans la vie dernière d’en haut que le fruit de ses actions dans le monde d’ici-bas. Tout arbre qui porte de bons fruits, sera abreuvé par dieu. Et tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. Par conséquent, le Coran évoque des arbres de paradis comme une récompense : « près du lotus des confins. Où se trouve le jardin du refuge ».61 . Puis il évoque également des arbres d’enfer comme un fait de châtiment : « pis encore ! vous qui égariez, démentiez. Vous voici mangeant de l’arbre de Zaqqûm ».62

56 Coran (19 : 20 )

57 CHEBEL Malek. op. cit. p261

58 Ibid. p 50

59 Coran (14 : 24)

60 Ibid. (14 :26)

61 Ibid. (53 :14-15)

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Quant aux mystiques, ils voient en arbre le lien entre le visible, qui est le tronc, et l’invisible, qui est la racine. Cette présence de l’arbre dans le langage mystique tire sa source des récits coraniques. Nous lisons tout d’abord dans le Coran : « Elle le conçut, et s’isola avec lui en un lieu lointain. Les douleurs la firent s’adosser au fût du palmier ; elle dit ; qu’avant cela ne suis-je morte, et ne suis-je oubliable oubliée ».63 Le palmier qui a préservé Marie de la faim et de l’insolation a un sens connoté dans le discours mystique, cet arbre symbolise le refuge à Dieu, de fait que Marie s’est réfugiée sous un ombre d’un palmier qui lui a procuré ombrage et nourriture.

4.4.3 Langage des oiseaux

Il est souvent question, dans divers traditions, d’un langage mystérieux appelé langage des oiseaux que nous ne devons point le prendre littéralement. Nous lisons dans le Coran que Salomon, héritier de David, dit : « Humains, on nous a enseigné le langage des oiseaux, nous sommes gratifiés de tout. C’est là le privilège éclatant. ».64 Nous comprenons que Dieu a accordé au prophète Salomon la grande faveur de comprendre ce cantique, ou ce langage, que nous pouvons appeler également langage angélique.

Conclusion partielle

Le discours mystique, qui est particulièrement dense, peut se lire à différents niveaux. Il est une quête intérieure, avec une très belle langue, dont les symboles côtoient des significations culturelles et des connotations religieuses extrêmement profondes. Le discours mystique est ainsi caractérisé par une double réflexion pertinente qui oscille entre le fini et l’infini, la terre et le ciel. Le mystique n’a pas manqué d’aller jusqu’aux limites de la langue humaine, pour essayer de dire l’indicible en créant des symboles et des images ésotériques, en cherchant à être à la hauteur de cet amour divin.

63 Ibid. (19 :22-23)

II. Deuxième Partie :

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