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Chapitre 1 Introduction

1.4 Les Cnidaires

1.4.3 La symbiose

De nombreux Hexacoralliaires et quelques Octocoralliaires vivent en symbiose mutualiste avec des organismes Dinoflagellés unicellulaires photosynthétiques du genre Symbiodinium (Freudenthal, 1962) (voir figure 1.9). Cette symbiose est caractérisée par des échanges mutuels et bénéfiques entre les deux partenaires, qui vivent alors étroitement ensemble, formant l’holobionte*. Le symbiote, communément appelé zooxanthelle, réside dans une vacuole à l’intérieur même des cellules du gastroderme (Trench, 1979). Les zooxanthelles apportent les produits de la photosynthèse, notamment l’oxygène et les sucres mais aussi des acides aminés et de petits peptides (Muscatine, 1990; Trench, 1979) nécessaires au métabolisme de l’animal (ou hôte). L’ensemble des photosynthétats produits et amenés par les zooxanthelles contribue en moyenne à 60% et jusqu’à 95% des besoins en nutriments et énergétiques de l’hôte chez les Scléractiniaires (Muscatine, 1990). Ce pourcentage varie en fonction de l’espèce et est beaucoup plus faible chez les Anthozoaires tempérés (Muller-

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Parker et Davy, 2001), mis à part pour quelques exceptions comme l’anémone de mer symbiotique Anemonia viridis (Forskål, 1775) chez laquelle on retrouve des valeurs similaires aux coraux (Davy et al., 1996). En contrepartie, l’hôte va amener les nutriments nécessaires pour la photosynthèse aux zooxanthelles (ammonium, phosphate, CO2,…) ainsi

qu’une protection contre l’environnement extérieur (Trench, 1979) permettant aux zooxanthelles de vivre dans un environnement très stable.

En plus de vivre en symbiose, il existe des souches de Symbiodinium qui vivent dans la colonne d’eau, dans les sédiments, dans le sable et les décombres coralliens,… (les différents habitats possibles pour Symbiodinium sp. sont repris dans Pochon et al., 2014). L’étude des phylogénies croisées a montré une forte flexibilité d’association entre l’hôte et le symbiote à l’échelle macroévolutive (Baker, 2003). Malgré l’homogénéité de forme au sein du genre, il existe une diversité cryptique très importante (Baker, 2003).

a. Phylogénie du genre Symbiodinium

Le genre Symbiodinium se retrouve dans toutes les mers du monde, en symbiose avec un autre organisme ou vivant directement dans la colonne d’eau. Depuis la description par Freudenthal en 1962 de Symbiodinium microadriaticum, de nombreuses espèces sont aujourd’hui décrites selon le concept d’espèces morphologiques (Baker, 2003). Toutefois, la diversité génétique découverte au sein de cette espèce a remis en question le statut de S. adriaticum comme une seule espèce. Aujourd’hui, la diversité retrouvée au sein du genre Symbiodinium est divisée en clades et sous-clades selon des critères phylogénétiques. L’utilisation des sous-unités ribosomales chloroplastique et nucléaire a permis de décrire neuf clades, de A à I (Pochon et Gates (2010), figure 1.9), présents dans 5 phyla différents : les Foraminifères, les Porifères, les Mollusques, les Plathelminthes et, ce qui nous intéresse ici, les Cnidaires (Trench, 1993). Chaque clade peut être divisé en sous-clades à l’aide de la région ITS (Internal Transcribed Spacer), une autre région ribosomale nucléaire (LaJeunesse, 2001; Rodriguez-Lanetty, 2003).

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Figure 1.10 : Arbres phylogénétiques construits en maximum de vraisemblance à l’aide de deux

marqueurs moléculaires classiquement utilisés pour la phylogénie du genre Symbiodinium. (A)

Sous-unité 28S de l’ADN ribosomal (B) Sous-unité 23S de l’ADN chloroplastique. La phylogénie donnée par les deux arbres est similaire et démontre la concordance des résultats entre deux organelles différentes

(Pochon et Gates , 2010).

Il a été montré que les clades, sous-clades et souches de Symbiodinium ne sont pas forcément répartis aléatoirement chez leurs hôtes. Chez les hôtes généralistes, l’hôte abrite systématiquement plusieurs souches de Symbiodinium sp. quel que soit le lieu d’échantillonnage. Chez les hôtes spécialistes, l’hôte abriterait le même symbiote indépendamment du milieu, mais les spécialistes stricts sont rares (Fabina et al., 2012).

b. Rupture de symbiose

L’augmentation de la température des océans, combiné à d’autres facteurs comme les maladies et l’acidification des océans (Hoegh-Guldberg, 1999; Hoegh-Guldberg et al., 2007), agissant en synergie (Coma et al., 2009), conduisent fréquemment à une rupture de la symbiose entre l’hôte et le symbiote, ce qu’on appelle le blanchissement. Sans son symbiote, lui fournissant la majorité de ses besoins en énergie, l’animal risque de périr. Le blanchissement, comme son nom l’indique, est caractérisé phénotypiquement par une décoloration de l’hôte due à l’expulsion des zooxanthelles hors du corps de l’hôte. Il est fréquemment utilisé comme marqueur de stress chez les Cnidaires symbiotiques.

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Ce phénomène est particulièrement intense ces dernières décennies dû au changement climatique global et est la cause des mortalités massives au niveau des récifs coralliens, déjà précédemment mentionné (Alvarez-Filip et al., 2011; De’ath et al., 2012; Hoegh- Guldberg, 1999; Hoegh-Guldberg et al., 2007; Lesser, 2004; Normile, 2016).

c. Adaptation des Anthozoaires face au changement climatique

La tolérance face aux variations environnementales dépend du potentiel d’adaptation spécifique à chaque espèce ou chaque population (Brown et Cossins, 2011). Toutefois, dans un cadre évolutif, la vitesse actuelle d’adaptation et d’évolution des Anthozoaires ne sera peut-être pas suffisante par rapport à la vitesse des changements environnementaux (Gates et Edmunds, 1999). L’interaction qu’il y a entre l’hôte, ses symbiotes et l’environnement va pouvoir conditionner la fitness de l’holobionte (Mieog et al., 2009).

Par la mise en place de la symbiose, il y a eu une évolution réciproque (ou co-évolution) des deux partenaires, amenant à une fitness plus grande lorsque les deux partenaires sont considérés comme un tout. L’avantage de cette association est de pouvoir répondre à un grand nombre d’environnements différents car la sélection ne se fait plus au niveau de chacun des partenaires mais plutôt sur l’holobionte en entier (Parkinson et Baums, 2014), qui est alors vu comme une unité de sélection dépendant du génotype de l’hôte et du symbiote (Maynard Smith, 1991).

La répartition des clades au sein des coraux n’est pas homogène. Ceci est dû au fait qu’une partie de la diversité génétique au sein du genre Symbiodinium est liée à des capacités fonctionnelles variables en fonction de l’environnement et donc il en résulte des spécificités différentes dans la tolérance aux changements environnementaux. On voit par exemple que dans le cas du genre Pocillopora (Scleractinia) dans le Pacifique Est, la présence de Symbiodinium de type D1 est un déterminant important qui explique pourquoi les colonies le possédant survivent à de longues périodes de stress (LaJeunesse et al., 2010).

La capacité de photoacclimatation de l’holobionte et la diversité génétique au sein du genre Symbiodinium a donc permis la colonisation de nombreux habitats avec un taux d’irradiance très variable. Mais avant d’acquérir un type de symbiote adapté à son environnement, l’holobionte passe par une phase de stress pouvant provoquer un phénomène de blanchissement.

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Buddemeier et Fautin, (1993), ont premièrement émis l’hypothèse que ce blanchissement est en fait un mécanisme adaptatif grâce auquel l’hôte peut acquérir de nouvelles zooxanthelles plus adaptées au milieu environnant : c’est l’hypothèse du blanchissement adaptatif ou ABH (Adaptative Bleaching Hypothesis). L’ABH est définie comme la perte des symbiotes d’un hôte permettant le rétablissement de la symbiose avec un autre type de symbiote, résultant en un nouvel holobionte mieux adapté aux nouvelles conditions environnementales (Buddemeier et Fautin, 1993; Fautin et Buddemeier, 2004; Ware et al., 1996). L’explication évolutive du blanchissement est assez obscure. Deux hypothèses : le blanchissement amènerait un avantage sélectif à l’hôte dans des conditions environnementales différentes (mais bénignes) des conditions actuelles, ou alors le blanchissement serait un produit dérivé négatif d’un trait symbiotique avantageux comme l’élimination de zooxanthelles endommagés (Douglas, 2003).

Toutefois, tous les Cnidaires symbiotiques n’ont pas forcément cette flexibilité d’association. La co-évolution a construit, chez certaines espèces, une spécificité entre hôte et symbiote qui empêche le changement de partenaires et par conséquent peut limiter les capacités d’acclimatation et d’adaptation. L’étude de la diversité génétique au sein d’Eunicea flexuosa (Lamouroux, 1821) et des Symbiodinium sp. a montré une association étroite entre des lignées distinctes du symbiote avec son hôte en fonction de la profondeur (Prada et al., 2014). De plus, une transplantation réciproque a révélé que l’effet de l’association génotype hôte et génotype symbiote est plus forte que la relation avec la profondeur, prouvant le lien étroit entre les deux partenaires (Prada et al., 2014). Ceci prouve clairement qu’une co-évolution existe entre le génotype hôte et le génotype symbiote, pouvant amener à un potentiel d’adaptation différent et mener à une divergence de chaque holobionte par spéciation.

En conclusion, l’acquisition de la symbiose et la diversité génétique au sein du symbiote et de l’hôte ont permis la colonisation d’un grand nombre d’environnements par les Cnidaires car le potentiel d’adaptation entre les génotypes hôte et symbiote est important. Connaitre la diversité génétique chez les deux partenaires est un préalable essentiel, car l’association entre l’hôte et le symbiote pourrait être le fait d’une co- évolution pouvant amener à une spéciation de chaque holobionte.

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