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Chapitre 3 Délimitation d’espèces au sein d’Anemonia viridis

3.1 Le concept d’espèce

3.1.4 Mécanismes de spéciation

La spéciation est définie comme l’apparition et l’accumulation de barrières à la reproduction entre populations permettant le maintien de la divergence génétique et phénotypique (Seehausen et al., 2014). L’évolution de l’isolement reproducteur*, causé par les barrières à la reproduction au sein d’une espèce ancestrale, résultera en l’apparition de deux ou plusieurs espèces descendantes (Rabosky, 2015). En d’autres termes, la spéciation peut être vue comme un processus par lequel une barrière au flux de gènes se met en place entre deux populations et amène à un isolement reproducteur de l’une des populations par rapport à l’autre (Halliburton, 2004). Les barrières au flux de gènes peuvent être initiées de deux manières distinctes, correspondant aux deux types de spéciation. Dans le cas où les barrières sont initiées par la dérive génétique dû à un isolement géographique, on parle de spéciation allopatrique*. Lorsque les barrières à la reproduction sont formées grâce à la sélection divergente*, on parle de spéciation sympatrique* ou écologique.

Dans le cas de la spéciation allopatrique, le flux de gènes entre les deux espèces naissantes est réduit ou même supprimé par un isolement géographique. Lorsque les populations se retrouvent à nouveau en contact (= contact secondaire), un isolement reproducteur est né parfois de l’évolution indépendante des populations, les empêchant de se reproduire entre elles. Ainsi, lors d’une spéciation allopatrique, les populations évoluent dans un équilibre mutation-dérive, dans lequel des mutations apparaissent et sont fixées ou supprimées par dérive génétique. La sélection n’est donc pas la force majeure amenant à la divergence des populations même si quelques mutations peuvent avoir un effet avantageux sur cette population et seront fixées elles aussi, accentuant cette divergence (Schluter, 2009).

Dans le cas de la spéciation sympatrique, les deux espèces naissantes ont une aire de répartition qui se chevauche, aucune barrière géographique n’empêche le flux de gènes. Toutefois, un gradient de sélection sur un paramètre environnemental réduit le flux de gènes entre les deux populations et finit aussi par créer un isolement reproducteur. Contrairement à la spéciation allopatrique, les deux populations étant toujours en contact, c’est l’effet de la

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sélection divergente qui va amener à la divergence des populations (Schluter, 2009). La spéciation sympatrique est aussi, en ce cas, appelée spéciation écologique.

a. Mise en place de la spéciation écologique

Le processus de spéciation écologique qui s’opère entre deux populations peut être divisé en trois composantes : une source écologique de sélection divergente, un isolement reproducteur et un lien génétique liant la source écologique et l’isolement reproducteur (Rundle et Nosil, 2005).

1°) Source écologique de sélection divergente. La première composante nécessaire

pour qu’il y ait spéciation écologique est une source de sélection divergente. Il peut par exemple y avoir une différence environnementale comme la structure de l’habitat, les ressources, la prédation, tout cela englobé dans le concept de niche écologique (Schluter, 2000). On peut aussi trouver une origine de sélection divergente dans l’interaction qu’il peut y avoir entre différentes populations, comme par exemple, la compétition interspécifique pour une même niche écologique. L’ensemble de ces sources de divergence va créer un gradient qui sera nécessaire pour induire la divergence entre les deux populations.

2°) Isolement reproducteur. Après l’apparition d’une source de divergence, il faut

qu’un isolement reproducteur apparaisse. Ceci va limiter le flux de gènes encore présent entre les deux populations. Il existe de nombreuses formes d’isolement reproducteur. Ceux-ci sont classés en différentes sous-catégories en fonction de l’étape dans la reproduction sur laquelle elles agissent : on distingue isolement pré- zygotique* et post-zygotique*. L’isolement pré-zygotique concerne toutes les barrières à la reproduction qui vont se passer avant la fécondation telles qu’une différence au niveau de la période de maturité des gonades, des stratégies différentes de détection du partenaire sexuel ou encore un isolement écologique. Les barrières post-zygotiques vont affecter le développement embryonnaire (via des processus de méiose perturbée) ou la fitness de la descendance (diminution de la fertilité ou de la viabilité des hybrides qui se seront formés entre les deux populations).

3°) Liaison entre la source écologique et l’isolement reproducteur. Le dernier

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lequel le trait sélectionné devient lié aux gènes causant l’isolement reproducteur. Deux cas de figure peuvent se présenter. Soit, les gènes intervenant dans le trait sélectionné sont identiques aux gènes intervenant dans l’isolement reproducteur. Soit, ces gènes causant la divergence sont différents de ceux provoquant l’isolement reproducteur. Dans ce cas, l’isolement reproducteur évolue par sélection indirecte provenant de l’association non aléatoire des gènes codant pour l’isolement et les gènes codant pour le trait sélectionné (traduisant donc un déséquilibre d'association).

b. La spéciation écologique existe-t-elle ?

Il y a aujourd’hui un débat concernant l’existence de la spéciation écologique. En effet, la spéciation sympatrique, définie comme ci-dessus semble être une hypothèse simplifiant un peu trop ce qui se passerait dans la réalité. Le point central de ce débat tourne autour du flux de gènes entre les deux populations en sympatrie. Une population adaptée localement reçoit en continu de nouveau migrants, maintenant un flux de gènes constant empêchant le génotype adaptatif de se fixer dans la population. Pour que celui- ci puisse se fixer, il faudrait que la sélection positive sur ce génotype soit extrêmement forte pour contrer l’effet du flux de gènes, ce qui semble peu probable.

Ceci amène à une reconsidération de la définition de la spéciation écologique. A la base, il existerait déjà un isolement reproducteur de type post-zygotique (Barton et de Cara, 2009) sur lequel se superpose un gradient environnemental qui induit une adaptation locale, résultant en un couplage entre l’incompatibilité génétique intrinsèque et l’adaptation locale (Bierne et al., 2011). Ce gradient environnemental favorise la fixation de génotypes adaptés ce qui renforce l’isolement reproducteur par la mise en place d’incompatibilités pré-zygotiques (Abbott et al., 2013; Bierne et al., 2013b).